L’homme de 36 ans avachi sur le rebord de son box est accusé de quatre assassinats, mais paraît s’en fiche royalement. C’est peut-être le plus inquiétant, pour celui qui risque la réclusion criminelle à perpétuité. Certes il nie, mais mollement, sans y mettre les formes. Les explications avancées sont parfois si saugrenues qu’on les croirait empruntées au répertoire des dealers à la petite semaine. Yoni Palmier, le « Tueur de l’Essonne » encore présumé innocent, qui sema la terreur à peu près en même temps que Mohamed Merah et mobilisa la bagatelle d’un millier de policiers, joue mal la bête immonde.
Entre le 27 novembre 2011 et le 5 avril 2012, quatre personnes ont été assassinées en Essonne, dans un rayon de cinq kilomètres, dans des parkings et cages d’escaliers. Nathalie Davids, une jeune femme seule de 35 ans. Jean-Yves Bonnerue, le père d'une famille soudée. Marcel Brunetto, paisible retraité. Une mère de famille célibataire, Nadjia Boudjemia. Aucun lien n’a pu être établi entre ces personnes, aucun profil type de victime n’a pu être dressé. Aucun mobile ne semble se dégager. Tous ont été abattus d‘une à huit balles de 7,65 mm par un homme casqué, qui se déplaçait en moto Suzuki GSX-R 1000. Après le quatrième meurtre, l’enquête s’est dirigée vers Yoni Palmier, qui fait aujourd’hui un solide accusé. « Si les faits étaient avérés à son égard, relèvent les experts qui l’ont analysé*, leur mode opératoire froid, déterminé, expéditif (…) renverrait à une motivation de type tueur en série. »*
L’accusé tient sa version : « Moi personnellement, je ne suis pas l’auteur de ces assassinats, mais je suis effectivement concerné. » Le président Hervé Stéphan tente une incursion en fin de première journée, qui pousse l’accusé à développer sa démonstration :
« Pour être très clair, j’ai subi une succession d’agressions dans ma vie, j’ai donc pris contact avec certaines personnes qui ont commis ces faits.
– Qui sont ces personnes ? tente le président
– Je ne peux pas le dire, je n’ai pas envie de risquer ma vie. En détention ou dehors, de toute façon, j’suis mort.
– Bon. Combien sont-ils ?
– Quatre.
– Ils auraient donc agi pour vous venger ? Comment expliquer un tel altruisme ?
– Je leur ai raconté mon histoire et ils ont décidé d’agir, c’est vrai que je me sens un peu responsable. Ce qui s’est passé, à force de tourner pour trouver les personnes qui m’ont agressées, on m’a soumis à un délire de ce genre, tuer des innocents. J’étais dépassé, c’est parti en couilles. »
« Yoni, on va aller sur le terrain du sentimental »
Ce scénario – auquel personne ne croit – ne sera pas plus développé, pas plus étayé. À aucun moment Yoni Palmier ne semble vouloir fournir plus d'explications que ce qui est contenu dans les questions qui lui sont posées. Il donne l'impression d'être hermétique, répond par oui ou par non dès qu'il peut, esquive le reste du temps. L'impression générale est qu'aucune vérité ne sortira de ce box dans les trois semaines qui viennent.
Au cours des débats qui semblent voler loin au-dessus des préoccupations, Yoni Palmier regarde souvent le sol – quand il ne murmure pas à l’oreille de ses avocats. Il fuit l’œil inquisiteur des nombreuses parties civiles, parquées dans des sortes de gradins à quelques mètres en face de lui. L’un d’entre eux, au deuxième rang le poursuit de son regard le plus noir. Il le traque dans son box quand l’accusé baisse la tête.
Leurs quatre avocats portent haut et fort l’accusation, la voix de l'avocate générale Béatrice Angelelli se faisant assez discrète depuis le premier jour. Me Elisabeth Auerbacher, pour la première victime, pilonne l’accusé à chaque occasion, après que les témoins qui défilent en nombre à la barre ont été interrogés par la cour. Elle le tance, elle l’engueule même :
« Quel jeu jouez-vous monsieur Palmier, ça fait deux témoignages qui disent que vous êtes intelligent, et là devant cette cour d’assises vous ne voulez pas répondre ? Vous savez qu’il y a des morts, des gens qui ont perdu leur fils, leur mari, et vous fuyez vos responsabilités ? »
Il bredouille trop près du micro qui crache, comme à chaque fois. Ça énerve tout le monde, Me Auerbacher en premier : « On ne vous entend pas !
– Peut-être que je n’ai pas envie de répondre », lâche-t-il en s’asseyant, avec la même désinvolture déplacée, qui énerve aussi tout le monde.
Confronté à l’attitude horripilante de Yoni Palmier, ses trois avocats – qui connaissent bien l’insaisissable immaturité de leur client – ne l’interrogent qu’avec parcimonie, évitent de prolonger son temps de parole. Sauf Me Aurélie Bousquet, qui prend la responsabilité de le questionner sur un ton très libre :
« Yoni, qu’est-ce que tu souhaiterais dire de plus général sur ta vie ? On va aller sur le terrain du sentimental, t’as déjà eu des sentiments pour quelqu’un ? Tes frères et sœurs, tu les connais ? Tu te sens seul ? Tu aurais aimé faire quoi dans la vie ? »
Le prétoire devient soudain le plateau de Confessions intimes, mais le ton de bonne copine adopté par l’avocate a mis l’accusé à l’aise, qui explique en presque trois phrases sa passion de la musique et son envie de devenir garde du corps, « pour protéger les gens ». Vaine tentative de rehausser la part d’humanité de son client.
L’empathie ne prend pas franchement, et ne sera pas suscitée par les nombreux témoignages qui clôturent cette première semaine. Toutes les personnes qui défilent l’ont rencontré peu avant les meurtres, la période où il est soupçonné d’avoir préparé ses crimes. Les « actes préparatoires » qui caractérisent la préméditation.
« Il m’a demandé comment faire un lance-flammes, je le sentais pas »
Après Fabrice F., dont Yoni Palmier avait usurpé l’identité pour immatriculer sa moto, vient l’ami maçon de son beau père qui lui a construit une mezzanine dans son box de parking, auquel il voulait également ajouter une cheminée. « Pour ramener des prostitués », prétexte l’accusé. On y a retrouvé l’arme du crime et les munitions. Suit le gérant de l’armurerie qui a vu un client « qui n’y connaissait rien » tenter d’acheter des armes pour lesquelles il n’avait pas d’autorisation. « Je le sentais pas, c’était un client lourd. Il se méfiait des caméras, mais on avait beau être méchant avec lui, il revenait quand même. » Il finit quand même par acheter des lunettes de visée nocturne, pour fixer sur « tout type d’arme ».
Vient ensuite le responsable du garage moto à qui Yoni Palmier a demandé de fixer un rail sur le toit de sa voiture sans permis, afin d’y installer une moto, que l’on hisserait à l’aide d’un treuil, ce qui est difficilement réalisable et parfaitement absurde. À ce garagiste, l’accusé en a profité pour demander s’il savait où se procurer « un flingue ».
Ensuite, Mathieu D., 27 ans et électricien de son état, s’est vu demandé de raccorder le box de parking à l’électricité. Puis de construire un sauna dans son appartement de Draveil. Enfin, de piéger sa porte, dont l’ouverture devait tout simplement déclencher l’explosion d’un pain de plastic. Mathieu D. a décliné.
Béchir donne des cours de maths et de physique aux particuliers, lycéens, étudiants, Yoni Palmier : « Il m’a demandé comment faire un lance-flammes, pour un projet dans le cadre de sa classe de terminale, je le sentais pas. J’ai trouvé ça très bizarre car moi-même j’ai fait une terminale STI, et mon projet c’était un support de flash. Et puis vu son âge (32 ans à l’époque, ndlr), j’ai trouvé ça incohérent. Il voulait un système "discret", pour placer le lance-flammes sous le bras. Il voulait faire un projet atypique pour "impressionner son prof". »
On apprendra que c’était au bras de la porte que l’arme devait être placée, afin de carboniser quelque intrus qui aurait tenté une incursion chez lui. Pourquoi un tel arsenal, pourquoi de telles précautions ? « On voulait me rentrer dedans, c’était pour me protéger », lance Yoni Palmier comme une évidence.
Le procès se poursuit jusqu'au 17 avril.