« Y’a deux maisons dans le lotissement et on est déjà au tribunal »

« Y’a deux maisons dans le lotissement et on est déjà au tribunal »

Ils auraient pu être amis. Patrick avec Yves, qu’il ne connaissait pas. Maranatha avec Tiphaine, sa voisine. Mais un jour de l’an dernier, faute d’avoir réussi à s’entendre, ils ont cogné.

Le 4 avril, pas loin de Rennes, Yves, un conducteur de car, attend sur un parking une cinquantaine de gamins en sortie scolaire. Il reçoit un appel : il doit déplacer son bus. Il l’avance un peu. Pas suffisamment au goût de Patrick, un résident en pré-retraite à qui on ne la fait pas.

Patrick descend pour aller à la pharmacie. Et le car est encore là, sur son parking. « Il gêne. » Il redemande à Yves « de bouger son car, mais il m’a dit d’aller me faire voir ». Il fait bon, Yves a laissé les portes du bus ouvertes. Dans son rétroviseur, il voit Patrick, 58 ans, plutôt « bien bâti », prêt à s’engouffrer dans la navette. Patrick monte « pour essayer de le décider un peu plus ».

Patrick devant le tribunal de police de Rennes. (Illustration : Pierre Budet)

Patrick devant le tribunal de police de Rennes. (Illustration : Pierre Budet)

On ne saura jamais qui a commencé, mais Yves se fait agripper par le col à un moment. Patrick le cogne avec ses poings en le plaquant contre son siège. Yves, la figure en sang, réplique à l’aveuglette. Les lunettes de Patrick valsent. Puis ils s’arrêtent d’eux-mêmes. Le chauffeur de bus, parti à la retraite depuis, se débarbouille comme il peut et met ses lunettes pour ne pas faire peur aux enfants. Et « repart comme ça ». Il se fera prescrire cinq jours d’incapacité totale de travail (ITT). Patrick s’en sort avec une ecchymose, sans ITT.

« Garagiste de mon cul ! »

Le 18 septembre, pas loin de Rennes non plus, Maranatha s’en prend à Tiphaine, sa voisine. L’unique voisine, puisque le lotissement est tout neuf. Elles y vivent chacune avec leur mari et leurs enfants. Mais Maranatha, « très jalouse », soupçonne Tiphaine de voir son mari un peu trop souvent. « On dirait qu’elle attend qu’il soit dans la cour pour sortir. »

Dans la cour justement, Tiphaine dépanne le mari de Maranatha, qui a un problème de voiture. Maranatha sort et balance un « Garagiste de mon cul ! » à Tiphaine. On ne saura jamais qui a commencé non plus. Mais Tiphaine dit avoir reçu des coups de la part de sa voisine. Le mari de Maranatha, qui « n’a jamais eu d’aventure avec la voisine », les sépare.

Le 6 février dernier, Tiphaine et Maranatha, puis Patrick et Yves, se sont retrouvés devant le tribunal de police de Rennes. Là où on juge des contraventions de 5e classe, comme des violences ayant entraîné une ITT de moins de huit jours. On est loin des assises, qui promettent de « grands instants d’audience ». « Là ça ne vole pas haut », résume l’huissier audiencier, en parlant des deux affaires.

« On vient de faire construire, c’est pas pour me taper le voisin »

Maranatha, une grande tige furibonde, traverse la salle pour se planter derrière le micro. Dans son dos, Tiphaine, lunettes sur le crâne et chignon fait à la va-vite, bout intérieurement. Maranatha raconte sa version : elle n’a pas tapé Tiphaine.

« Vous ne l’avez pas frappée ?, interroge le président. Même votre mari le dit pourtant. » Elle mime la scène devant le tribunal, qui n’en demandait pas tant. « Je lui ai dit : « Tu tournes tes fesses et tu rentres chez toi. » Je l’ai prise par le bras, c’est tout. »

Tiphaine attend son tour pour parler, les bras appuyés sur les cuisses. C’est à elle. Elle bondit, comme si elle n’attendait que ça. « Elle peut pas dire qu’elle ne m’a pas frappée. J’ai pris des coups et j’ai fait une fausse couche après. Je suis aussi jalouse que madame. Mais là, c’est de la gaminerie sérieusement. Je viens de me marier, on a deux enfants et on vient de faire construire, c’est pas pour me taper le voisin. »

La procureure, qui jusque-là se contentait d’afficher un sourire gêné, souffle son ras-le-bol. Le président prend le relais face à Maranatha : « Madame, dans un régime démocratique, on a le droit de se parler. Se retrouver ici avec un comportement de cour de récréation, ça m’attriste. » Il répète sa question. Est-ce qu’il y a eu des coups échangés ? Maranatha nie et « lève la main devant dieu ».

« Vous êtes au tribunal, vous n’avez pas à jurer devant dieu ! » s’exclame le magistrat, dépité. Il rappelle au passage sa condamnation pour violences sur mineur.

C’était un cas particulier. L’enfant venait d’Haïti, elle faisait n’importe quoi… ça peut arriver à tout le monde, considère Maranatha, mère de deux enfants.

Je ne peux pas vous laisser dire ça, recadre le magistrat. En tout cas, ça montre l’impulsivité de votre caractère. »

Maranatha à la barre et Tiphaine, sa voisine, sur le banc des victimes. (Illustration : Pierre Budet)

Maranatha à la barre et Tiphaine, sa voisine, sur le banc des victimes. (Illustration : Pierre Budet)

Tiphaine ne demande pas de dommages-intérêts, « pour ne pas l’enfoncer plus. Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Y’a deux maisons dans le lotissement et on est déjà au tribunal. »

La procureure semble consternée. « On se croirait au lycée. J’ai vraiment eu honte en vous écoutant. Et je suis inquiète de voir que quelques mois après les faits, on en est toujours là. » La magistrate s’interroge au sujet de Maranatha. « Devant ce tribunal, je n’ai pas beaucoup de choix : taper au porte-monnaie ou la faire travailler gratuitement pour la société, si elle accepte. »

Maranatha refuse, à cause « des petits boulots et des enfants à aller chercher ». Alors ce sera 400 € d’amende et un avertissement du président. « J’espère que vous avez bien entendu le discours de madame le procureur. Vous n’avez plus 15 ans. »

« C’est pas de ma faute si mes coups ont beaucoup plus porté que les siens »

C’est au tour de Patrick et Yves d’expliquer pourquoi ils se sont foutus sur la gueule. Eux sont côte à côte, car ils sont tous les deux à la fois prévenus et victimes. Patrick, bloqué sur le mode « c’est lui qui a commencé », reconnaît avoir mis deux-trois coups de poing à Yves. « J’étais en état de légitime défense, avance le quinquagénaire, sûr de lui. C’est pas de ma faute si mes coups ont beaucoup plus porté que les siens. »

S’ensuit une grotesque pantomime par laquelle Patrick veut prouver par A + B — des photos de bus et le témoignage du propriétaire de la résidence — qu’il était dans son bon droit.

« Quand les gendarmes sont arrivés, ils ont remarqué qu’aucun véhicule ne gênait, informe le président.

Je vous montrerai les photos ! le contredit aussitôt Patrick.

Si je le désire, tonne le magistrat, pensant le faire taire. Les gendarmes sont assermentés, le propriétaire de la résidence pas.

Je veux bien que ça gêne pas comme disent les gendarmes, mais ça gênait, grommelle Patrick, borné de chez borné. Le parking public, il est à deux minutes à côté...»

La procureure lève les yeux au ciel. « On a affaire à des gens bien, incapables ce jour-là de se parler. C’était évident qu’en montant dans le bus ça allait mal finir. » Elle requiert une amende de 200 € pour Yves, un peu en retrait à l’audience et 300 € pour Patrick. Et rappelle un des critères de la légitime défense : « Le geste doit être proportionnel à l’attaque. » Le président prononce une peine de 600 € avec sursis pour Patrick et 500 € avec sursis pour Yves. Le juge fait aussi en sorte que les dommages-intérêts s’annulent : 400 € chacun. Ils ne se devront rien.

Afficher les commentaires