« C’est un brave homme, je le connais bien. » Maître Gaunet parle de Jacky, qui vit à Antully, près de Châlon-sur-Saône, que les gendarmes ont récupéré en état d’hypothermie vers 23h30 le 28 février dernier. Jacky revenait de la chasse avec ses chiens lorsqu’il a perdu le contrôle de son 4x4 et a versé dans le fossé, assommé par l’alcool. Son taux d'alcoolémie affiche 2,45 g. « J’avais emmené l’alcool avec moi, parce que je n’étais pas bien ce jour-là, mais je ne bois jamais quand je chasse. » Jacky est placé sous contrôle judiciaire le 5 mars et jugé le 23 avril.
Maître Gaunet s’attache à démontrer que son client, qu’il connaît depuis son enfance, n’est pas alcoolique, « ni un délinquant volontaire ». Pourquoi Jacky boit-il ? Parce qu’il en a gros. Il en a lourd sur les bras et le cœur parce que « la compagne de ma vie, la mère de mes enfants » a fait des AVC, trois en tout, qui ont grignoté son autonomie jusqu’à la supprimer, et que « depuis 1996, elle est malade. J’ai été en retraite à 55 ans, et quand elle a été dépendante totalement je m’en suis occupé seul. J’ai rien demandé, mais c’est difficile. » Jacky est né en 1949. « Ça fait 22 ans » que le cours de sa vie s’est infléchi. Il était chauffeur routier. « Elle m’a toujours aidé. Elle se levait en pleine nuit pour me préparer à manger, lorsque je prenais la route. »
« Monsieur, c’est vous qui auriez pu mourir ou tuer quelqu’un »
Et voilà que le routier n’a pas tenu la route, fin février, en rentrant chez lui. Jacky, à la barre, soutient qu’il ne boit que pour noyer un « ras-le-bol », c’est tout. « Alors là, monsieur, c’est vous qui auriez pu mourir ou tuer quelqu’un, ça aurait pu avoir des conséquences dramatiques, dit la présidente Therme. On comprend votre situation, mais reprendre le volant après avoir bu, ça ne va pas, c’est limite suicidaire. »
Justement Jacky a eu des velléités de suicide, comme une envie de mettre sur pause cet éternel retour, avec son arme de chasse, mais il s’est retenu, « elle ferait comment sans moi ? » La juge s’en inquiète, car en 2016 il avait également flanché, à 2,47 g à l’époque. Jugé selon la procédure de Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), ce retraité au casier vierge mais aux forces en voie d’extinction, avait pris cinq mois avec sursis. Il est donc en état de récidive légale.
« Je suis un buveur accidentel »
Est-ce que les enfants lui donnent un coup de main ? La présidente pense au quotidien rythmé par les besoins de leur mère dépendante (et qui le devint jeune), le prévenu croit qu’elle parle de son passage en jugement :
« J’ai rien dit à ma fille. On n’a pas des enfants pour leur créer des soucis. Voir ma femme comme ça, ça fait mal au cœur. Je suis un buveur accidentel.
– Vous êtes un buveur désespéré, le reprend madame Therme. Mais il faut que vous entendiez ce qu’on vous dit aujourd’hui, et que vous compreniez que vous vous mettez dans une situation qui sera de plus en plus compliquée. »
Le parquet requiert une peine mixte. Soit huit mois de prison, dont quatre seraient assortis d’un sursis mis à l’épreuve. « De ce soir-là, il dit "c’est le trou noir, je ne me souviens de rien". Au-delà de sa souffrance personnelle, il y a des enjeux de sécurité routière. »
« Déjà, rien que pour le pain, il faut faire 9 km alors… »
Maître Gaunet plaide pour qu’on lui évite la partie ferme, qui, aménageable qu’elle soit, compliquerait pas mal la situation car le port d’un bracelet grèverait le quotidien, et des jours-amendes sont trop lourds pour les modestes revenus du foyer. En réalité, la situation était déjà intenable, du propre aveu du prévenu : ce quotidien est trop lourd à porter seul, et ne le nourrit plus de choses positives, revigorantes. Il s’épuise, il s’évade dans des épisodes vaporeux, parfois comateux, jusque dans un fossé.
Le tribunal décide de condamner ce mari-courage qui n’en peut mais à huit mois de prison intégralement assortis d’un sursis mis à l’épreuve de deux ans. Son permis de conduire est annulé, il va devoir attendre six mois pour le repasser. Le tribunal, fait notable, ne confisque pas sa voiture.
Pas de prison, mais Jacky reste embarrassé dans la mesure où, s’il comprend qu’on le sanctionne, il a du mal à envisager que son quotidien, déjà si pesant, soit désormais maillé de rendez-vous, comme pendant son contrôle judiciaire : centre d’addictologie, psychologue, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation pendant deux ans. Le tout sans la moindre autonomie de transport. « Déjà, rien que pour le pain, il faut faire 9 km, alors, deux ans ! »