Le box est plein de prévenus qui ont l’air affligés. Richard, 42 ans, la figure ronde et rose, joufflu binoclard à l’air fouineur. « Voulez-vous être jugé aujourd’hui ou plus tard ? – Oui, madame. » Il prend un air distingué, solennel. Campé bien droit devant son micro, il attend son effet. « Non, attendez. » La présidente se frotte les yeux. L’audience débute à peine et voilà déjà que ça cafouille. Elle reformule, Richard n’écoute plus. Il est ailleurs, son esprit clabote encore dans le fog de ses folies nocturnes. Son avocat lui souffle : « Aujourd’hui, aujourd’hui. » Richard émerge et sursaute : « Aujourd’hui ! »
Richard, il faut bien le dire, n’a pas l’air affligé du tout. Pas même gêné, tout juste embêté de ne pas savoir quoi répondre quand on lui expose les faits : complètement ivre et hurlant à la fenêtre, il a tiré au pistolet d’alarme. Ça s’est passé au domicile qu’il partage avec son ex-compagne, en haut de la rue de la Fontaine au roi, qui serpente et monte de la Folie-Méricourt au boulevard de Ménilmontant. Les policiers l’ont cueilli en transe, bouillonnant d’imprécations loufoques. La présidente précise : « En plus de l’arme, on a trouvé un arsenal de médicaments. Vous êtes malade, monsieur ? – Gnié ! » Il n’écoute pas, tout concentré sur son pantalon qui lui dégringole sur les chevilles. Il boucle une ceinture imaginaire et fixe des yeux le tribunal d’un air hébété : « Suivez-vous un traitement, monsieur ? » Oui, mais en ce moment « pas trop ». Les choses s’éclaircissent, Richard est frappadingue, alcoolique et en rupture de traitement. « Nous n’avons eu le dossier qu’à midi, nous découvrons ceci, dans ces conditions, que faire ? » Le procureur lève le doigt, il veut un renvoi pour expertise psychiatrique. Tout le monde opine, l’air grave et consterné. « Maitre, votre avis ? » et la défense s’avance, l’avocat déjà s’emporte et disserte, tournoie du verbe, brandit un procès verbal. La présidente soupire : « Maître, je vous arrête tout de suite, je vous donne l’occasion de vous exprimer sur l’opportunité du renvoi pour expertise psychiatrique. » Ça ne l’arrête pas : « Mais toute la question est de savoir si… » Elle l’interrompt : « Bon, le tribunal se retire pour délibérer. » La salle se lève, Richard s’assoit.
« Hein ? – Deux ! »
Ce sera un renvoi, il s’agit alors de fouiller dans le passé de Richard, voir s’il est digne de confiance, établir un pedigree. C’était un Néerlandais jusqu’en 1990, lorsqu’il est naturalisé Français. Richard, la main sur le pantalon, écoute attentivement les bribes de sa vie que l’enquêteur de personnalité a pu lui extirper. Vient le présent : « De quoi vivez-vous ? » intervient la présidente. Richard, évidemment, n’était pas prêt : « Hein ? – Deux ! » déconne la magistrate agacée. Il narre d’un ton docte : « J’étais psychothérapeute au Venezuela, psychanalyste et enseignant, et maintenant consultant informatique. Comment ? Diplômes ? Ah non, non. Autodidacte ! »
Pour les médicaments et l’alcool, il concède, désolé. Jusqu’à récemment, il triplait la mise au Subutex, mais à la fin, il ne tolérait plus. Depuis l’âge de 20 ans, il « connaît des épisodes psychotiques » et depuis peu, il ne supporte plus ses anti-dépresseurs. Le procureur demande très vite qu’on le place sous contrôle judiciaire, l’avocat prend plus de temps pour dire la même chose. Il insiste sur la « fragilité mentale » de son client, incompatible avec la détention. Le tribunal est pensif, le doute l’habite : va-t-il se rendre au rendez-vous avec le psychiatre ? Et peut-il être logé ailleurs ? « Non, non, pour le travail, je dois rester. » Il répare des vieux ordinateurs, impossible de déplacer le fatras insensé qui stagne dans son actuel logis, prodigieux monticule de camelote informatique.
Son casier est vierge, sa santé chancelante. Les violences dont il est accusé n’ont pas causé d’ITT, seulement effrayé son ex et fâché les voisines qui n’en peuvent plus de ce « maboul ». Alors ce soir, pour Richard, c’est détention provisoire.
Après un maboul, deux mutins insolents se présentent à leur tour : truculente affaire à lire ici.