Cette chronique a été initialement publiée dans la revue Sang-froid.
Une grappe de jeunes encombre les abords d’un immeuble du XXe arrondissement de Paris. Il y a du deal et du désordre, la police met alors en place une surveillance sur la zone. Un soir, c’est la descente. Hakim se rue au premier étage pour bazarder son stock – 96 g de shit.
Mamadou a 2 g dans les chaussettes et, chez Florent, on trouve tout l’attirail du dealer. Les trois comparaissent aujourd’hui devant la 23e chambre, après un renvoi, notamment pour expertise psychiatrique, car Florent est malade. « Vous n’y êtes pas allé, et vous n’avez pas prévenu le médecin », déplore la présidente. Apathique et les bras ballants, Florent opine à la barre.
Florent est terne. Il était la « nourrice » d’Hakim, qui venait fumer des joints, stocker son matériel et couper des barrettes. Au policier qui lui demandait s’il avait conscience d’être complice du trafic d’Hakim, Florent a répondu : « Oui, mais il en valait la peine. » Hakim et Florent se sont rencontrés à l’hôpital psychiatrique, « à un moment où ça m’a fait du bien », explique Florent.
Psychotique, il a fait trois décompensations dans sa vie, est inapte au travail, vie d’une rente et fume beaucoup de shit. Mamadou trafique aussi. Depuis deux ans, il travaille pour un tiers, avant pour 600 euros par mois, mais désormais gratuitement. « J’ai perdu une cargaison, et depuis je rembourse. » Hakim est le seul détenu.
« Vous travaillez pour rien ? »
La présidente énumère l’enquête policière, la période de prévention court sur un an. Presque tous ses clients l’ont balancé : « C’est quelqu’un de très désagréable, il s’exprime très mal, il sert très mal, il tient les murs toute la journée », disent-ils en chœur. « J’ai vendu pour quelqu’un, ça fait quatre ans que ça dure. On m’utilise ! » dit Hakim d’une voix pâteuse. Sous la férule d’un « grand » à qui il aurait naguère dérobé sa provision de drogue, il vend pour rembourser sa dette.
« Vous travaillez pour rien ?, s’étonne la présidente. – Il connaît ma famille, vous connaissez ces gens-là, c’est des voyous ! » Il essaye sans trop y croire de tout mettre sur le dos de Florent, mais personne ne s’y attarde. Son avocat rappelle au tribunal qu’il a été en hôpital psychiatrique. « Quel est le nom de votre maladie ? – Je ne sais pas, je prends des injections ». La procureure requiert trois ans, sursis compris.
L’avocat développe : « Il est suffisamment malade pour ne pas avoir conscience de sa maladie. » Hakim, perdu dans son box, est schizophrène. L’avocat demande que ce soit pris en compte et déplore qu’on en fasse le grand vilain de la bande. Comme requis, Florent prend trois mois avec sursis, Mamadou dix mois, dont quatre de sursis avec mise à l’épreuve. Et Hakim part en prison pour deux ans.