« Il est important que vous compreniez qu'une bonne justice est une justice qui est comprise. C'est pour ça qu'il est nécessaire d'expliquer qui fait quoi.» Le magistrat présente alors cordialement tout le tribunal, huissier d'audience compris. Un sobre nœud papillon est soigneusement posé sur le rabat de sa robe : nous sommes en comparution immédiate, et le président Abassi va siéger pour la première fois au tribunal de Mâcon.
Mahrez Abassi est réputé à Paris pour son style qui fait de lui une espèce singulière, et le prévenu du jour va en apprendre quelque chose, pour autant qu'il soit en capacité d'entendre : « C'est à nous de rendre une justice humaine, équitable, et fondée. Est-ce que c'est bien clair, Monsieur ? »
Il sort de cellule, il est en manque, il en tremble
Le Monsieur en question est dans le box, hébété. Chopé lors d'un contrôle routier avec 3,58 grammes d'alcool dans le sang en juillet (« Chez d'autres, ça peut entraîner un coma, monsieur. »), il vient de réitérer avec un taux d'alcoolémie de 1,21 g du côté de Perrecy-les-Forges. Il avait terminé sa journée avec des copains, dans une cabane de chasse. Ce coup-ci c'est la garde à vue. Il sort de cellule, il est en manque, il en tremble. 56 ans, une chemise à fines rayures horizontales tendue sur une bedaine qui s'épanouit au fil des canons, partagés ou solitaires, il arrive de l'autre bout du département entre trois gendarmes, et reste abasourdi devant ce juge qui expose si chaleureusement ce qu'est « une bonne justice ».
« Vous êtes en train de choir, monsieur »
Lui, il a peur d'aller en prison. Il a essayé de se foutre deux fois en l'air cet été, mais la prison, si elle lui permettrait éventuellement de recommencer, reste une sortie basse. Le jaja rendait ses soucis vaporeux et donc vaguement supportables, le tribunal le réinsère dans les enjeux de la vie sociale : il ne veut pas aller en prison.
C'est un chef d'entreprise (cinq agences immobilières sur le département, 28 salariés) qui sombre, ce qui n'échappe pas au sémillant président : « Vous êtes dans un processus de déchéance lente, monsieur, vous êtes en train de choir. »
Il est en train de choir, c'est vrai, bien que ce verbe ne fasse pas partie de son langage courant. Il le sait, il le dit et le répète : « Je fais une dépression, je prends des anti-dépresseurs et des anxiolytiques depuis le mois de juin. »
« Où vont souvent les gens qui passent en comparution immédiate ? »
« Monsieur que cherchez-vous, qu'attendez-vous ?
– (profond soupir) J'ai beaucoup de mal à travailler. Dans ma profession la vie est plus compliquée qu'il y a 10 ans.
– Est-ce que vous attendez la mort des autres ou la vôtre ?
– J'ai décidé de me faire soigner, je vois un addictologue.
– Alors pourquoi, avec un traitement d'antidépresseurs et une consommation d'alcool, pourquoi prenez-vous le véhicule ?
– Ben, j'aurais pas dû. Mon état dépressif fausse ma raison.
– Où vont souvent les gens qui passent en comparution immédiate ?
– En prison.
– Comment envisagez-vous la prison ?
– Je ne l'envisage pas, je suis catastrophé. »
Il est catastrophé. Le parquet doute de sa prise de conscience, et requiert huit mois de prison dont quatre mois avec sursis avec une mise à l'épreuve, l'annulation de son permis. Il demande son incarcération immédiate.
« Je l'emmènerai directement, le tribunal a ma parole, à la clinique »
« Monsieur D. est un de mes amis, commence Maître Meunier, bâtonnier du barreau de Chalon-sur-Saône. Je l'estime, je le connais. Je vais essayer de resituer les choses dans leur contexte. J'ai vécu les deux tentatives de suicide cet été, et j'ai un regret car si j'ai été présent comme ami, je n'ai pas été assez ferme, j'aurais dû l'emmener à la clinique Val Dracy. S'il ne va pas en prison, je l'emmènerai directement, le tribunal a ma parole, à la clinique. Ses accidents n'ont jusqu'à maintenant eu aucune conséquence corporelle. Son permis va être annulé, ainsi la société est rassurée. L'enjeu pour lui c'est également sa vie de famille (qui elle aussi est en train de choir, ndlr). S'il va en prison, c'est fini pour lui. La justice, c'est la raison. »
Et le bâtonnier de prolonger deux minutes sur la situation des entrepreneurs en difficulté : « J'ai discuté avec le président du tribunal de commerce à Chalon de la possibilité d'une cellule d'aide psychologique pour les entrepreneurs, car on connait des drames, l'un d'eux a sauté du 2e étage il y a peu à Chalon. »
« Monsieur le bâtonnier, je compte sur vous »
Le tribunal condamne cet entrepreneur qui boit un mauvais bouillon à six mois de prison ferme, à quatre mois de prison avec sursis assortis d'une mise à l'épreuve de deux ans comportant notamment une obligation de soins.
Le tribunal ne décerne pas de mandat de dépôt : « Monsieur le bâtonnier, je compte sur vous, en tant qu'auxiliaire de justice, pour faire passer les messages. Monsieur semble en état de choc. »