Quand il était petit, Ahmed fut condamné pour des vols, des dégradations. Vinrent les outrages, les menaces, les conduites sous l’empire de l’alcool, des violences, des stups. Le commissariat de Roanne a communiqué au tribunal toutes les mains courantes contre lui. Ahmed, 37 ans aujourd’hui, est devenu très grand, mais il a conservé « un comportement perturbateur », et le 28 avril 2018, il a tapé dans le rouge des « comportements perturbateurs » en menaçant de « tout faire sauter » dans la cathédrale Saint-Vincent de Chalon-sur-Saône.
C’était à l’office des laudes, un samedi matin, dans la salle capitulaire de la cathédrale. Une dizaine de fidèles et deux prêtres priaient ensemble, lorsque Ahmed, parfaitement alcoolisé, a débarqué en vociférant. « Je voulais juste visiter », dit-il à jeun pendant l’audience. Cris, insultes et des « propos obscènes et farfelus » a témoigné le père de Marsac en audition, il était « comme un fou » rapportent des témoins.
Le prêtre ainsi qu’une dame âgée ont usé du dialogue pour raccompagner le perturbateur, mais quand celui-ci est reparti pour un tour, arrachant le bréviaire des mains du prêtre, et faisant mine de sortir une grenade de sa sacoche, gueulant « vous allez voir, vous, la vieille ! Je vais tout faire sauter », « les personnes présentes ont eu très peur », dit la présidente Catala. Et « les victimes ont eu très peur », dira le procureur de la République, « on comprend leur peur dans le contexte d’aujourd’hui », dira Me Doyez, venu de Lyon défendre ce client qu’il connaît depuis un moment.
« Il y a quelques lieux sanctuaires dans la société »
Les victimes ont eu « très peur », mais elles ne sont pas venues pour en témoigner, et confronter ce qui les a sur l’instant traversées, à l’aune de celui qui se tient dans le box, front plissé, yeux écarquillés, et qui se mord la lèvre inférieure. Le parquet et l’avocat de la défense vont restituer cet écart.
Damien Savarzeix, chef du parquet du TGI de Chalon, s’est saisi de ce dossier : « L'événement a eu un retentissement local assez important, parce qu’il n’y a pas de conflits interreligieux dans le ressort, au contraire le dialogue œcuménique y existe. La violation d’un lieu de culte, c’est rare. Or, il y a quelques lieux sanctuaires dans la société. L’enceinte judiciaire, une mosquée, une synagogue, une église, en sont, parce que ce sont des lieux où l’on essaie de changer, de se changer, pour le meilleur. Monsieur n’est même pas en mesure de le respecter, même pas ça. »
Il est l’aîné de quatre enfants, et le père était un homme très violent. La mère est parvenue à se séparer et à emmener les enfants, mais l’aîné vit avec au cœur et à l’esprit, la blessure infligée par un père dont il se demande encore pourquoi il ne l’a pas aimé. Il y a en lui deux personnages, deux visages, il est le vilain petit canard de sa fratrie, il vit avec un tel sentiment de honte que lorsque ça ne va pas bien, il dégringole et agit. Aujourd’hui alcoolique et marginalisé, Ahmed avait quand même trouvé un travail chez Emmaüs, poussé par le juge d’application des peines qui l’a trouvé bien peu investi dans sa mise à l’épreuve.
« Dans la vie, je ne suis pas comme ça, madame »
Ahmed avait bien écouté la présidente exposer les faits mais « tenir de tels propos ? Non, c’est pas moi, je suis quelqu’un de logique. – C’est l’image que vous voulez donner de vous-même quand vous êtes à jeun », lui répond la juge. À jeun, il l’est parfois et souvent plus du tout : « Vous avez à juger le dossier d’un homme totalement ivre qui va faire et dire n’importe quoi », plaide Frédéric Doyez. C’est si vrai, mais le prévenu a 27 mentions à son casier, et « toutes les peines, tous les suivis, et la pédagogie ont échoué parce qu’il ne veut pas changer », rappelle le procureur. Et puis il y a « le contexte », et à voir le chef du parquet entrer dans la salle on comprenait que la menace terroriste prendrait le dessus dans cet nième dossier d’un pauvre hère violent, qui décidément, ne s’en sort pas.
Le procureur prend le temps de requérir, « j’espérais un autre discours que lors de l'audience de renvoi, un début de volonté de changer, mais ce n’est pas le cas ». Le grand Ahmed l’écoute, mordillant sa lèvre inférieure, offrant à nouveau davantage le spectacle d’un enfant que celui d’un homme d’1 m 90 pesant 100 kg qui terrorise le monde lorsqu’il pète les plombs. « Je dois vous dire, Monsieur, que si vous ne changez pas, vous ne verrez plus la lumière du jour avant longtemps. » Le prévenu acquiesce. « La seule circonstance atténuante que je vous reconnais, c’est que vous en êtes resté aux menaces. Si vous aviez porté la main sur ces prêtres et les fidèles… » Le procureur aurait alors requis bien plus que 18 mois de prison (dont six mois assortis d’un SME) et la révocation de quatre mois du SME antérieur.
Le tribunal suit les réquisitions, la présidente lui lit la décision : « Votre situation impose que vous soyez suivi. Vous avez compris ? – Non Madame, je n’ai pas compris. » La présidente réexplique alors, 16 mois de prison, maintien en détention et mise à l’épreuve à sa sortie. La société borde un cadre : terroriser en puisant de l’inspiration dans « le contexte », ça se paie cher, même si « dans la vie, je ne suis pas comme ça, madame », plaidait Ahmed qui, décidément, ne cessait de mordiller sa lèvre inférieure.