« Voler à Tati, d'accord, mais là c'est Dolce & Gabbana ! »

Une après-midi habituelle de comparution immédiate à Paris. Dans le box, un vol de carte bleue en récidive, des violences, en récidive aussi, des menaces de mort, de la conduite en état d'ivresse… et puis Helena. On lui donnerait la cinquantaine finissante, elle n'en a que 48. Une petite dame discrète, portant chignon et grosses lunettes rectangulaires, vêtue d'une longue jupe grise et d'un gilet bleu passé, qui a pourtant dérobé pour plus de 2 000 euros dans un magasin de la très luxueuse avenue Montaigne à Paris.

Le président ouvre le dossier : « L'agent de sécurité du magasin Dolce & Gabbana repère sur les caméras de surveillance une femme accompagnée d'un enfant de 5 ans et d'un homme, tous de type de l'Europe de l'Est (Helena est née en Roumanie), en train de voler deux paires de chaussures, l'une à 175 euros, l'autre à 975 euros. » Pas maline, Helena est revenue deux heures plus tard pour essayer cette fois de piquer une jupe à 950 euros. « Vous avez été arrêtée par l'agent de sécurité, emmenée dans une cabine et fouillée. On trouvera sur vous une poche type kangourou. Combien j'ai vu ce type de sous-jupe dans ma carrière ! s'exclame le président en connaisseur. Vous aviez aussi un appareil qui permet de découper les antivols. »

Avant de prendre la parole, Helena réprime un léger sourire en se pinçant les lèvres, mélange de honte et d'enfantillage :

« Sincèrement… commence-t-elle.

– Oui, c'est préférable, prévient le président.

– Mon mari m'a quittée, je peux pas me débrouiller avec mes enfants.

– Les chaussures, la jupe, qu'est-ce-que vous comptiez en faire ? Parce que voler à Tati pour habiller ses enfants, d'accord, mais là c'est Dolce & Gabbana ! Ça peut se revendre cher.

Une paire c'était pour moi, l'autre c'était pour vendre. La jupe, c'était aussi pour moi.

– Vous faites du combien ?

44.

– La jupe fait du 42.

– Oui, mais pour cette marque, 42… c'est 44.

– Ah oui, ça taille plus grand », complète le président, pas forcément ravi de parler chiffon.

La poche kangourou et l'outil pour couper les antivol l'intéressent beaucoup plus : Helena ne serait-elle pas une voleuse d'habitude ? Sur son casier, rien qui l'atteste si ce n'est un rappel à la loi vieux de 20 ans. L'enquête sociale ne montre que pauvreté et misère sociale. Helena travaille comme femme de ménage. « Enfin… quand vous trouvez du travail, vous gagnez entre 200 et 250 euros par mois », précise le président.

Son ancien compagnon était chauffeur livreur. Il lui a laissé deux enfants en la quittant, une fille de 18 ans, un fils de cinq ans. La famille a longtemps vécu dans un camion. Pour que le tableau soit complet, Helena a des ennuis de santé : opérée d'une tumeur il y a 4 ans, elle souffre de pertes de mémoire et prend des antidépresseurs.

Le magasin réclame 1 074 euros de dommages et intérêts. La procureure s'émeut qu'Helena emmène son fils pour voler – « Ce n'est pas un bel exemple que vous donnez là ! » – et requiert cinq mois de prison ferme, sans mandat de dépôt. L'avocat de la défense bronzé à l'UV râle contre les sous-entendus des PV – « Quel est le type de l'Est ? Moi-même je suis d'Europe de l'Est. » – et plaide l'amende ou le sursis. « Je suis désolée et je vous jure que c'est la dernière fois », récite Helena.

Après 45 minutes de délibérations, le tribunal s'est décidé sur une poignée d'affaires. Pour le voleur de carte bleue, six mois ferme avec mandat de dépôt. Le prévenu saisit le bord du box et se frappe violemment la tête dessus. Alors que les gendarmes se jettent sur lui, il crie, le front en sang : « Tuez-moi ! Tuez-moi ! » Le président suit la scène d'un œil dur, sans une lueur d'humanité, mécontent que l'on ose déranger l'ordre de son tribunal. Agacé, il enchaîne rapidement les autres jugements. Il condamne Helena à quatre mois, sans mandat de dépôt, et à 1 074 euros de dommages et intérêts pour Dolce & Gabbana.

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