Alors qu’elle ferme le stand qu’elle tient au marché de Noël des Champs-Élysées, la jeune femme aperçoit un homme agité qui, sans que cela ne puisse s’expliquer, par un grand mouvement circulaire, tente de lui donner un coup de ciseau. Elle esquive en reculant, part en courant, hurle dans la rue, alerte des passants et se réfugie sur l’arrière d’une moto, celle d’un ami qui partait lui aussi.
C’était le début d’une soirée glacée de décembre, entre l’avenue des Champs-Élysées et le Palais de la découverte, sous les guirlandes lumineuses très ostensibles à cet endroit, le long des allées gravillonnées qui bordent les contre-allées pavées des grands axes de l’Ouest parisien. Sous les regards alertés des promeneurs, l’agresseur crie, part dans une crise de larmes puis d’hilarité, vocifère et crache tout en tiraillant ses vêtements, qui sont de vieilles guenilles. Il pousse des cris d’animaux, part dans une transe inquiétante, se jette au sol et bondit. Des gestes désordonnés frappent l’air, puis le tronc d’un marronnier innocent. Enfin, il se tape la tête contre les murs et est interpellé.
La présidente de la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris vient d’énumérer, avec un soupçon de malaise dans la voix, les délirantes turpitudes de Vladimir, ce grand Roumain abimé de 36 ans, teint livide, œil vitreux, qui examine la salle d’audience avec inquiétude. Vladimir se remémore cet accès de démence, puis le trajet en voiture qui s’en suit et qui, manifestement, ne suffit pas à le calmer, les policiers ayant dû le casquer, car tout en poussant des hurlements, il se jette la tête la première contre tous les murs de sa cellule. Au moment de l’interroger sur les faits de violence avec arme, Vladimir, toujours aussi agité, ôte tous ses vêtements, monte sur un bureau et urine sur les fonctionnaires, qui finissent par le convaincre – c’est le terme employé par la présidente – de se revêtir. C’est donc un Vladimir habillé qui, enfin, tente de se précipiter à travers la baie vitrée mais sans parvenir à la briser, si bien qu’il s’y écrase.
Vladimir, qui écoute son interprète lui raconter la scène, paraît désemparé. Il nie les coups de couteaux : « J’ai réagi comme ça parce que je ne comprenais pas pourquoi j’étais interpellé », dit-il. Son avocat plaidera la relaxe, contestant qu’il ait été formellement identifié. Le prévenu explique son délire par les troubles psychologiques, et même psychiatriques dont il souffre et pour lesquels il est traité. Mais à l’issue d’un séjour de 10 jours à l’hôpital Sainte-Anne, le diagnostic médical est négatif : « Ni confus, ni dépressif. Ne souffre d’aucun trouble psychotique. »
L’indisposition du tribunal est palpable. « Bon. Eh bien, cela voudrait dire que monsieur n’est pas malade, et surtout, qu’il est accessible à une sanction pénale », résume la présidente. La vie actuelle de Vladimir se déroule dans les beaux quartiers, où il s’installa en mai à son arrivée en France. Il dut ensuite s’écarter des Champs-Élysées, où il avait l’habitude de mettre le feux à des tas de cartons (Vladimir aime le feu) et de faire l’hélicoptère avec son sexe. Désormais, il réside dans un cabanon – c’est le terme employé par Vladimir – qu’il s’est construit tout près du Palais de la découverte. « On vous a laissé construire un cabanon ? », s’étonne la présidente. Vladimir dit que son logis est discret, niché sous un pont, et que de ce fait, ça va. Vladimir a deux petites filles, qui vivent avec leur mère respective, en Grande-Bretagne et en Italie.
Prudemment, en son réquisitoire, la procureure avance l’idée que l’enfermement n’est pas une réponse pénale indiquée pour Vladimir, qui pourrait profiter de tous ces murs pour s’y fracasser le crâne pour de bon. Il demande six mois de prison avec sursis, assortis d’une mise à l’épreuve (SME) l’obligeant à suivre des soins psychiatriques. La défense plaide la relaxe, et à titre subsidiaire, demande à ce que l’altération de son discernement soit retenue, et donne au tribunal une liste de médicaments que Vladimir ingère depuis 10 ans, et qui font de lui un parfait schizophrène. Les médecins de Sainte-Anne sont vivement morigénés pour leur inconséquence professionnelle, et Vladimir, qui en guise de dernier mot dit « Aidez-moi ! » dans une douloureuse grimace, est condamné à 3 mois de SME.