Un père comparaît devant la cour d’assises de Seine-et-Marne. Cheveux blonds peignés et regard terne, il se lève difficilement dans son box, soutenu par deux gendarmes – sa jambe et son bras sont paralysés. Christophe Champenois, 36 ans, est accusé d’avoir tué son fils de 3 ans en le mettant dans la machine à laver, qu’il a mis en marche sur le mode essorage. « Je ne me souviens de rien de cette journée du 25. » Juste avant, une mère s’est avancée à la barre à l’appel de la présidente : « Pour moi, y’a pas complicité », affirme Charlène Cotte, 29 ans. Elle comparaît libre, après trois ans de détention provisoire. Tous deux risquent la réclusion criminelle à perpétuité.
Novembre 2011, Germigny-l'Évêque, Seine-et-Marne. Charlène Cotte ramène Marie (le prénom a été changé), 5 ans, et Bastien de l’école. Le petit est un garçon turbulent, agité, hyperactif « comme son père ». Il aurait encore causé des troubles à l’école. La veille, il avait jeté le dessin d’un camarade dans les toilettes. Les parents décident de le punir – ce sera le placard, comme d’habitude. Enfermé et entravé par du scotch – parfois bâillonné – le petit garçon était séquestré lorsque ses parents le jugeaient utile. C’était surtout son père.
Vers 19 h, les secours constatent le décès de Bastien. Il est nu, allongé, humide. Le corps est mutilé d’ecchymoses et de fractures, des traces « susceptibles d’avoir été faites par la machine à laver », détaille à la cour le gendarme chargé de diriger l’enquête. Le médecin légiste confirme et décrit ces traces caractéristiques du tambour de la machine : des petites alvéoles. En 6 000 autopsies, il n’a jamais vu ça.
En garde à vue, Christophe Champenois ment. Il était devant son ordinateur et a vu la porte du placard ouverte. Bastien s’était échappé et en avait profité pour chuter lourdement dans les escaliers. Christophe le ramasse et le met dans une petite baignoire en plastique pour le ranimer, puis file appeler les secours. Quand il revient, le petit est immergé – et ne sera jamais ranimé.
Charlène Cotte soutient également cette version, puis en change. Elle affirme désormais que son compagnon a mis Bastien dans la machine en « mode essorage ». Elle dit avoir tenté de s’interposer, mais vaincue par les coups du père déchaîné, elle a été impuissante à le sauver.
« J’avais toujours été heureuse jusqu’à ce que Bastien arrive au monde »
Mais une petite voix contredit la défense de Charlène Cotte. Marie, la sœur aînée, a vu la scène. « Papa a mis Bastien dans la machine à laver parce qu’il a fait des bêtises à l'école », répète-t-elle à tout le monde. Maman faisait un puzzle avec elle, dans le salon qui jouxte la salle d'eau. Charlène n’a pas de traces de coups, pas de stigmates de la lutte contre un homme violent. L’appartement, un F2 exigu et insalubre, aux parois fines, n’a pas empêché la mère et la fille d’entendre les supplications de Bastien. « Laissez-moi sortir », hurlait-il du fond du tambour qui tourbillonnait. Ça a duré 5 minutes. Durant le cycle d’environ 45 minutes, Marie n’a pas vu sa mère tenter d’ouvrir la machine. Christophe Champenois surfait sur internet, dans la même pièce.
Les juges de Melun ont fouillé dans la vie des deux accusés pour tenter de trouver les raisons de l’acte. Devant la cour, Christophe Champenois apparaît d’abord apathique, la parole mécanique et l’élocution hachée. Il a un méningiome, une tumeur bénigne sur laquelle se forme parfois un œdème qui affecte sa personnalité. « Je deviens encore plus nerveux, je peux exploser », prévient-il.
Lui et Charlène Cotte racontent une enfance heureuse malgré la précarité de leurs parents. Ils se connaissent depuis que Charlène a 5 ans, sont en couple depuis 2001 et vivent ensemble depuis la majorité de la jeune femme. Ils partagent la peine d’avoir vu leur père périr par l’alcool. Joël Cotte est mort cette année d’une cirrhose. « Il a recommencé à boire à la mort de Bastien », explique Charlène. Quand il revient sur son enfance, Christophe Champenois raconte : « Mon père était alcoolique, mais pas un grand alcoolique. Il m’emmenait au bar pour jouer au Flipper, dès qu’il avait un jour de repos. – De quoi est-il mort ? demande la présidente. – Delirium tremens. » Christophe avait 7 ans.
La naissance de Marie en 2006 comble le couple. Charlène décrit une petite fille « sage, en avance, qu’on entendait jamais ». Elle ajoute : « J’avais toujours été heureuse jusqu’à ce que Bastien arrive au monde. Après j’étais heureuse avec mes enfants, mais pas avec Monsieur. »
Un enfant « un p’tit peu blond, un p’tit peu rond »
Bastien n’était pas désiré, surtout par son père, et c’est pour cela que Charlène a fait un déni de grossesse, assure-t-elle. Elle pense qu’il lui aurait demandé d’avorter, tandis que lui soupçonne – à l’époque – que l’enfant soit le fruit d’une infidélité. Ainsi naît Bastien en même temps que meurt l’amour de ses deux parents, un enfant « un p’tit peu blond, un p’tit peu rond », mais turbulent et agité dont les bêtises attirent le courroux du père. Tant bien que mal, l’enfant est élevé par sa mère.
Christophe Champenois a lâché prise. Il trompe Charlène dans le lit conjugal, ne s’occupe plus de rien mais dicte ses volontés à sa compagne. « J’avais peur de Monsieur, je faisais tout ce qu’il disait. » Il se drogue et boit sur « la CAF et les indemnités chômage », pendant que Charlène va mendier aux Restos du cœur.
La veille des faits, un assistant social en congé qui suivait la famille reçoit un appel de Christophe Champenois, qui vocifère dans sur son répondeur : « Je vais le balancer du deuxième étage, même si je dois faire 15 ans. » Au moment où le corps du petit garçon est emmené par les pompiers, l’un d’eux entend le père bougonner : « Comme ça, il ne nous emmerdera plus », tout en regrettant de ne plus toucher la CAF « que pour un ». L’OPJ chargé de sa garde à vue a décrit un homme froid, apparemment insensible – tandis que Charlène Cotte était en larmes. Celle-ci va devoir convaincre la cour qu’elle n’a pas cherché à détourner l’attention de sa fille avec un puzzle. Qu’elle a réellement tenté d’empêcher son compagnon de faire entrer un enfant de 17 kg dans un lave-linge. En même temps que la cour d'assises, au fond de sa mémoire et de sa cellule, Christophe Champenois cherche ses souvenirs dans une photo de son fils. « Une photo du cimetière, afin de faire un électrochoc, voir si y’a quelque chose qui revient. »