« Il va falloir que vous grandissiez », sermonne la présidente. Dans le box, le prévenu tombe le regard vers ses baskets. Âgé de 20 ans, Sofiane porte un polo Hugo Boss qui ficelle sa bedaine. Il parle avec la voix d'un enfant contraint de s'excuser pour avoir boulotté tout le paquet d'Oreo. « Ce jour-là j'ai paniqué car j'avais pas le droit d'être sur Nantes. Je ne savais pas comment réagir, j'ai eu peur, j'ai essayé de m'échapper. » Mutique pendant sa garde à vue et pas beaucoup plus bavard lors du déferrement, Sofiane a réservé ses explications pour les magistrats de la chambre des comparutions immédiates, ce 26 mai. « Je ne voulais pas parler à la police, je préférais en parler devant vous », explique-t-il à travers son masque. Alors que le dossier avait été ouvert sous le volet criminel de tentative de meurtre, le jeune homme est jugé pour violence avec arme. Pas de calibre ni de couteau chez ce nounours mais une BMW X6 blanc aux vitres teintées. « Un monstre de fer qui fonce droit sur vous », image la procureure. C'est au volant de ce 4X4 que Sofiane a tenté d'échapper aux policiers lors d'un simple contrôle d'attestation de déplacement, en période de confinement.
Il était bientôt midi ce 12 avril. Deux agents accompagnés d'une jeune adjointe de sécurité étaient positionnés au niveau de la Route de Pornic, à Rezé, commune limitrophe de Nantes. Sofiane, seul à bord, a fait semblant de s'arrêter avant de repartir façon Schumacher. Le policier placé au milieu de la chaussée a juste eu le temps de plonger sur le bitume pour éviter le choc. Son collègue a dégainé son arme et fait feu à trois reprises. Une première balle dans le capot, une seconde dans la calandre et la dernière dans l'aile avant droite. « Je suis persuadé que cet homme a voulu nous percuter délibérément », dira le fonctionnaire en audition. « En douze années de terrain, il n'avait jamais utilisé son arme de service », précise son avocate. Sur une jante, Sofiane est parvenu à franchir le pont de Cheviré puis a abandonné le véhicule, moteur tournant. Dans sa fuite, il a oublié sa casquette, sur laquelle sera retrouvé son ADN. Lorsque son nom sort des fichiers, les enquêteurs découvrent que le jeune homme a trois condamnations au casier pour des délits routiers, dont une histoire de blessures involontaires avec délit de fuite, en 2017. Mais surtout, Sofiane a interdiction de paraître à Nantes. Sous contrôle judiciaire dans un dossier de complicité de tentative d’assassinat, il a fait trois mois de détention provisoire à l'été 2019 avant de s'installer chez un cousin, dans l'Ain. « Pourquoi êtes vous revenu dans le secteur ? demande la présidente. – Avec le confinement c'était difficile, je me sentais seul et je voulais revoir ma famille », murmure-t-il.
« Une famille qui s'est sacrifiée pour vous », reprend au bond la procureure. De ce qui ressort de l'enquête sociale rapide, on apprend que Sofiane est tombé malade à l'âge de neuf ans. La prise en charge médicale étant insuffisante en Algérie, ses parents ont fait le choix d'émigrer en France. Remis sur pieds, il a vécu une adolescence peinarde. Sofiane, c'est le petit dernier que la fragilité a dispensé des contraintes. Celui qui a arrêté l'école à 16 ans et ne justifie que d'un bout de formation avortée depuis. « Vous n'êtes plus un enfant, il va vraiment falloir songer à vous prendre en main », insiste la procureure. Dans la salle, le père du prévenu fait semblant de ne pas entendre. Ni lui ni aucun autre membre de l'entourage n'ont mis son fils face à ses responsabilités. Sofiane a d'abord été se planquer chez une copine. C'est elle qui a été chargée de noyer le poisson auprès de la société qui avait loué le 4X4 à un copain du quartier. Le véhicule aurait tourné de mains en mains pendant le week-end avant que Sofiane ne puisse bénéficier d'un essai, conclu par un gros coup de panique. « J'ai jamais voulu faire de mal à quelqu'un, depuis je fais des cauchemars chaque nuit », raconte-t-il, les yeux humides.
La carte des remords ne passe pas vraiment auprès du tribunal. La présidente rappelle qu'avant d'être interpellé dans une chambre d'hôtel une semaine plus tard avec 900 euros en liquide et sa conso de shit, Sofiane a visiblement passé du bon temps, au restaurant notamment. « Monsieur pleure sur son sort sauf que les policiers attendaient des explications et des excuses », assène l'avocate de la partie civile. 10 mois de prison avec maintien en détention sont requis. En défense, Me Franck Boezec en remet une cuillerée sur l'immaturité : « Oui, nous avons affaire à un garçon qui s'est un peu trop regardé le nombril, mais la maison d'arrêt n'est pas l'école qui va l'aider à grandir. » Une plaidoirie qui tape dans les oreilles de la présidente et ses deux assesseurs. Après délibération, Sofiane est condamné à un an de prison, sans maintien en détention, plus six mois de sursis probatoire pendant deux ans. Il devra justifier d'un travail ou d'une formation, aura interdiction de conduire et devra verser 5 000 euros aux parties civiles.