« Un lieu symbolique, entre la niche et le cachot »

Cécile de Oliveira se lève et s'avance vers le pupitre. « Madame la présidente, madame monsieur les assesseurs », démarre-t-elle avant d'être gagnée par l'émotion. L'avocate fait quelques pas en arrière pour saisir une bouteille d'eau posée sur la table où sont éparpillées plusieurs pièces du dossier. Elle avale une gorgée, prend une respiration et se présente de nouveau face aux juges de la sixième chambre. Assis à la même table en attendant son affaire, une autre figure du barreau nantais affiche une bobine lugubre à chaque fois qu'il relève le nez de l'écran de son téléphone. En ce mercredi, jour d'audience dite famille, le banc de la partie civile accueille deux frères de 10 et 13 ans dont personne n'entendra le son de la voix au cours des débats. Tous deux partagent une « grande capacité à masquer les émotions », a expliqué dans son rapport le médecin de l'unité d'accueil des enfants en danger du CHU de Nantes qui les a rencontrés. Le petit dernier, âgé de 6 ans, a été logiquement préservé. Après avoir prévenu ses assesseurs qu'elle allait sortir un peu de son rôle, la présidente, une ancienne juge des enfants, s'adresse solennellement à ses grands frères : « Chapeau les gars ! Chapeau d'être encore là et de continuer à avancer, vous avez de sacrés ressources. »

Pendant plus d'un an à compter de mai 2017, dans la maison de leur père à côté de Nantes, la fratrie a vécu sous la férule d'une belle mère sadique. Brigitte* est âgée de 44 ans et travaille dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées. Vêtue d'un pantalon violet et d'un haut ample parsemé de motifs, elle se cramponne à la barre. « Je veux bien admettre certaines choses mais pas ça », répond-t-elle sèchement quand on lui demande s'il lui était bien arrivée d'étaler des excréments sur les brosses à dents des garçons. Les autres sévices - les gifles, les griffures, les pincements, les coups de pieds et de cahiers, les insultes, les privations de nourriture, la confiscation des cadeaux, l'obligation de manger de la cervelle - ont été reconnus face aux gendarmes. « C'est à se demander si madame n'est pas allée chercher dans un conte pour enfants une liste de brimades pour s'en inspirer », commente la procureure. Le calvaire a pris fin grâce au signalement de l'école. Un beau matin de juin, la capuche recouvrant le crâne d'un des frères « tondu comme un mouton », la veille a éveillé les soupçons du corps enseignant. Mais ce qui cristallise l'effroi dans cette affaire, c'est ce placard de trois mètres carrés dans lequel les enfants étaient enfermés dès leur arrivée de l'école, un manche à balai bloquant la poignée. « Un lieu symbolique entre la niche et le cachot », image Cécile de Oliveira, qui ne peut s'empêcher de pointer la « lâcheté très coupable », du père, très souvent absent de la maison pour des raisons professionnelles.

« Vous étiez au courant ? l'interroge la présidente.

- Malheureusement oui. Au courant mais pas de tout, j'ai appris des choses après coup.

- Parfois il y a des choses qu'on ne veut pas voir mais qu'un parent doit voir. Si l'institutrice s'en rend compte on peut se dire que le père le peut. Vous pourriez être poursuivi pour non dénonciation.

- Je culpabilise beaucoup vous savez, c'est évident que je ne les ai pas assez protégés. »

Un sentiment de culpabilité mis à mal par la réalité du dossier. Après le placement en urgence des enfants aux premières lueurs de l'enquête, leur père a poursuivi la vie commune avec Brigitte pendant six mois. Le couple s'était marié quelques semaines avant la révélation des faits. Cela faisait un an qu'il se fréquentait. « On a voulu aller trop vite », concède l'homme. Ses fils ont vu Brigitte entrer par effraction dans une vie de famille marquée par la disparition brutale de la seule femme du foyer. « Une mère décédée, une belle-mère maltraitante et un père non protecteur », synthétise, dépitée, la présidente. « Mais quel enfer ! majore la procureure. Madame aurait pu soigner les plaies d'une famille en deuil et à la place ça n'a été que de l'insécurité. La femme providentielle s'est muée en bourreau. »

Face à ce que la procureure qualifie de sadisme, « madame ne pinçait pas les mollets quand les garçons étaient en pantalon, elle le faisait uniquement quand ils étaient en short », Brigitte n'a pas grand chose d'autre à offrir aux juges qu'un visage blême et un corps saturé de tensions. A quoi bon s'expliquer puisqu'elle est passée à table après tout. Si l'aîné, celui qui a fait bouclier pour les deux autres en proposant systématiquement d'être le seul châtié, se répétait chaque soir qu'elle était « complètement folle », l'expertise psychiatrique n'a rien apporté. A l'inverse de l'enquête de personnalité. On apprend que Brigitte a perdu la garde de ses cinq enfants issus de deux unions. Mutique sur ses propres traumatismes d'enfance, elle entrouvre une fenêtre sur son alcoolisme. « J'ai failli mourir à cause de ça il y a un an, je suis en sursis », dit-elle. A son casier judiciaire une mention pour une conduite sous l'empire d'un état alcoolique.

Après délibération, le tribunal s'aligne sur les réquisitions et prononce une peine de 24 mois de prison dont 18 assortis d'un sursis probatoire pendant deux ans. Convoquée devant le juge d'application des peines pour l'aménagement de la partie ferme, Brigitte devra suivre des soins psychologiques, travailler, assister à une stage de responsabilisation parentale et verser 1 500 euros de dommages et intérêts à chacun des enfants via le conseil départemental désigné administrateur ad hoc. Trois frères qui, outre tout le reste, ont eu à subir une séparation du fait de leur placement.

*Le prénom a été modifié

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