Un braquage (presque) parfait : « Sur BFM TV, ma gueule ! »

Ils attendent devant le 59, boulevard Pereire, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Thomas P. et Christian S. sont convoyeurs. Leur Ford Escort blanche est stationnée devant le studio photo. Sur les genoux de Thomas, il y a un sac, et dans ce sac, il y a des bijoux, pour plusieurs centaines de milliers d'euros.

18 avril, 9 h 57, grand soleil. Ils sont arrivés quelques secondes plus tôt et patientent dans la voiture. Comme convenu, Thomas a envoyé un message à l'un de ses collègues, déjà dans le studio. Étienne H. doit descendre, s'assurer que la voie est libre, réceptionner la marchandise et accompagner les deux convoyeurs dans les étages pour sécuriser le shooting.

Quand Étienne se penche à la fenêtre du véhicule, les trois hommes plaisantent. À quelques mètres devant eux, un motard, casque vissé sur la tête, regarde le ciel. « Qu'est-ce qu'il veut lui ? Il est bizarre, non ? » Peu importe, tout est en ordre. Les deux convoyeurs descendent de la voiture pour monter les marches qui les séparent du studio.

Ils n'ont pas vu que derrière eux, deux individus s'avancent masqués. Au moment où ils posent le pied à terre, les braqueurs sont déjà là.

« A terre ou tu es mort ! » En moins d'un dizaine de secondes, Christian, le conducteur, est tiré à l'arrière de la voiture et forcé de s'allonger sur le sol. Son collègue Étienne est à genoux, une arme de poing et une lampe torche braquées sur le visage. Thomas est toujours dans la voiture, le sac de bijoux sur les genoux.

Rapidement, l'un des braqueurs s'empare du sac. Il fouille méthodiquement à l'intérieur et jette un traqueur sur le sol. C'est un dispositif qui permet de suivre la marchandise à distance.

À quelques centimètres de la main de Thomas, près du levier de vitesse, il y a un bouton d'alarme qui avertit l'entreprise en cas de problème. Le plus discrètement possible, il tente sa chance. Mais pas assez discrètement. Il est repéré par l'un des malfrats qui lui crie : « Tu as appuyé sur le bouton ! »

Fermement, « mais sans violence », témoigne-t-il à la barre, il est conduit au sol. Les secondes passent. Il perçoit le bruit d'un scooter qui tente de démarrer à plusieurs reprises.

Quand il lève les yeux, c'est pour apercevoir une moto qui s'échappe au loin, une silhouette qui disparaît sur un pont, et une voiture en feu qui glisse lentement au milieu de la route. La scène a duré moins de 3 minutes. Les bijoux ont disparu. Ils ne seront jamais retrouvés.

« Tu as vu le truc à la télé ? C'est moi ! »

« Professionnels ! » scande l'avocat général. « Amateurs ! » répondent les avocats de la défense. « Innocents ! » osent même deux d'entre eux. Il faut dire que le braquage pour lequel comparaissent les cinq accusés est un travail d'orfèvre. 420 000 euros de bijoux dérobés en trois minutes, sans un seul coup de feu, sans violence, et presque sans menace : un ouvrage presque parfait.

« Le braquage est très bien fait, il faut le reconnaître. » Pour le commandant Hervé C., de la brigade de répression du banditisme (BRB), le professionnalisme des braqueurs ne fait aucun doute.

« C'était une enquête facile ?, demande l'avocat de l'un des accusés.

Oui, pour une fois. S'il n'y avait pas eu ce scooter qui ne démarre pas, ça aurait été beaucoup plus compliqué. »

Et c'est vrai qu'il tombe très bien, ce scooter. Difficile de le rater, d'ailleurs. Stationné sur le trottoir, à quelques mètres de la scène, il interpelle, on ne voit que lui. Et pour cause : une fausse plaque a été scotchée dessus à la hâte, la moitié supérieure est recouverte d'adhésif. « Avec une plaque comme ça, vous ne faites pas 15 m dans Paris », constate Jean-Marc Heller, le président.

Une rapide consultation du fichier permet de remonter jusqu'à son propriétaire : Samuel D., inconnu des services. Étrange coïncidence : l'après-midi même, il se présente au commissariat, accompagné de l'un de ses amis, Elyas A., pour déclarer le vol de son scooter.

Les enquêteurs de la BRB flairent l'arnaque. Ils enregistrent la plainte et prennent soin de noter le numéro de téléphone de Étienne, pour le prévenir s'ils ont des nouvelles… et surtout, pour le placer sur écoute.

En attendant, il y a d'autres éléments exploitables. Dans le scooter, on trouve des gants. Sur ces gants, il y a l'ADN de Elyas A. Et, à quelques mètres du lieu du braquage, sous une petite passerelle qui enjambe l'ancienne ceinture ferroviaire, on trouve le casque que l'un des braqueurs a jeté dans sa fuite. À l'intérieur : l'ADN de Samuel D.

Ses relevés téléphoniques intéressent également la police : ils révèlent qu'il était en contact avec un certain Sofiane M., qui habite dans le même immeuble à Aubervilliers et qui travaille chez CESG, l'entreprise en charge de la sécurisation du shooting.

Moins d'une semaine avant le braquage, Sofiane avait participé à la première journée de cette mission qui devait durer plusieurs semaines. Chaque matin, des bijoux de grande valeurs étaient transférés depuis la prestigieuse enseigne Van Cleef & Arpels, l'un des bijoutiers les plus célèbres de la place Vendôme.

Le commandant de police ajoute : « La bijouterie, ce n'est pas une marchandise facile à vendre. Il faut avoir un réseau. Surtout ici : ce ne sont pas des grosses pierres. C'est le travail effectué dessus qui fait toute la valeur. » Et qui de mieux informé, pour écouler la marchandise, que le frère de Samuel, Ali, actuellement en prison pour recel de bijoux volés ?

Justement, quelques jours après le braquage, Samuel demande un parloir pour s'entretenir avec son frère. L'administration pénitentiaire, en lien avec la police, accepte. Après avoir pris soin de placer un micro dans la pièce.

Samuel dévoile tout :

Samuel : « Tu as vu le truc à la télé ? C'est moi !

Ali : Le truc, là, dans le XVIIe ?

Samuel : Sur BFM TV, ma gueule !

Ali : Avec qui ?

Samuel : Avec Boye (surnom de Lilian, son frère, NDLR) et Brams.

Ali : Qui ça ?

Samuel : Brams ! Brams le Balafré !

Ali : Ah ouais ! »

Et voici les cinq compères qui prennent place aujourd'hui sur le banc des accusés. Samuel D., 26 ans, et son frère Lilian, 32 ans. Sofiane M., 34 ans, qui a donné les infos nécessaires à l'organisation du braquage, sans y prendre part physiquement, Elyas A., 23 ans, à qui l'on reproche d'avoir été sur le lieu du vol quelques heures plus tard (« C'est une sorte de service après-vente, si vous voulez », explique le commandant de la BRB), et Ibrahim A., 36 ans, que les policiers soupçonnent d'être « Brams le Balafré » et qui clame son innocence.

Dans le couloir du tribunal, un avocat fait une promesse : « Ça va être intéressant cette semaine. Il va y avoir de la tension. Dès qu'il y a de la tension, c'est intéressant. »

« Un profil "capable de..." »

Le 5 juin 2013, tout le monde est interpellé. Quelques heures plus tard, Sofiane M. passe à table. C'est bien lui qui a fourni les informations à Samuel D. pour qu'il puisse réaliser le braquage, contre la promesse de 30 000 euros.

Elyas avoue également… qu'il n'a rien à se reprocher. « Oui, les gants dans le scooter, ce sont les miens. Samuel est mon ami. Parfois, il me prête son scooter, et j'ai dû laisser mes gants dedans. » Et son téléphone, qui borne à proximité du lieu du braquage, pendant l'après-midi ? « Ce jour-là, j'ai été me balader sur Paris avec Samuel. C'est lui qui m'a fait passer par là. Il voulait voir quelque chose, mais il ne m'a pas dit quoi. » Il est placé sous contrôle judiciaire jusqu'au procès.

En détention provisoire, Lilian, Samuel et Ibrahim restent muets, même quand les policiers de la BRB alignent les preuves devant eux. Il y en a une, pourtant, qui est particulièrement accablante : une carte SD où sont stockées des photographies des bijoux, juste après le braquage. Un collier, un bracelet et une montre, que l'assurance évalue à 420 000 euros, mais qui pourraient valoir bien plus.

Au bout de 18 mois d'instructions, alors que les charges s'accumulent, Lilian craque. Il envoie une longue lettre au magistrat instructeur dans laquelle il reconnaît sa participation au braquage. C'est lui, avec un complice dont il ne dévoile pas le nom, qui a menacé les convoyeurs.

Quelques jours plus tard, son frère Samuel le suit dans sa démarche. Le scooter qui ne démarre pas, c'était lui. Il devait incendier le Scenic volé utilisé par les braqueurs afin de bloquer le passage et détruire les preuves. Les deux frères disculpent Ibrahim A. : « Je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu de ma vie. »

Ibrahim, lui, ne reconnaît rien, et les preuves contre lui sont beaucoup plus minces. Oui, c'est vrai, certains le connaissent en tant que Brams le Balafré. Et alors ? « C'est un surnom courant. » Et son téléphone, qui entre en contact pendant huit et deux secondes avec celui de Samuel, la veille du braquage ? Il ne l'explique pas. Son téléphone, c'est le « téléphone du peuple », tout le monde l'utilise.

Devant chez lui, on a retrouvé une Audi A3 noire. Or, les caméras de surveillance le confirment, les deux braqueurs qui se sont enfuis à moto ont ensuite changé de véhicule, à quelques rues, et sont montés dans une Audi A3 noire. « En même temps, les Audi A3 sont rarement roses », souligne son avocat, Me Romain Boulet. Sans éléments plus probants qu'une marque et une couleur, la piste est mince.

Pour le confondre, les policiers organisent un tapissage. Les trois convoyeurs et un témoin sont convoqués pour tenter de confondre les suspects. Pas facile, puisqu'ils étaient cagoulés et casqués. Deux d'entre eux pensent reconnaître la voix d'Ibrahim. Une lettre d'un expert, lue par le président, jette un doute sur la pertinence de ces reconnaissances vocales.

Mais quelques jours après les aveux des frères D., une nouvelle lettre atterrit sur le bureau du juge d'instruction. Une lettre anonyme : « Vous trouverez les bijoux volés par Ibrahim A. et des explosifs dans un box à Sarcelle. »

« L'épreuve la plus douloureuse après la maladie et la mort »

Vérification faite, le box, qui appartient à la mère d'Ibrahim, est vide. Ce qui ne l'est pas, en revanche, c'est son casier judiciaire : « Un profil "capable de…" », comme il le reconnaît lui-même. 16 condamnations, dont une en 2005 pour le braquage d'une poste. À la barre, devant les jurés, il s'exprime très bien, raconte sa vie, son amour pour ses trois filles, en utilisant un lexique qui mêle franc-parler de banlieue, vocabulaire soutenu et formules toutes faites : « Si je devais regarder derrière moi, je serais obligé d'avancer à reculons. »

En tout cas, ce braquage, il n'y était pas : « Je ne connais aucun des autres accusés. Je ne fréquente pas cette nouvelle génération, j'ai un problème avec elle : je les trouve indisciplinés et insolents. – Vous n'avez peut-être pas de leçons à donner ?, souligne le président. Je rappelle ce que vous avez dit à l'un des policiers pendant votre garde à vue : "Je vais mettre ma bite dans ta bouche si je n'ai pas mon café et ma clope." »

Il se défend : « Pourquoi est-ce que je mentirais ? Dans toutes mes affaires, j'ai toujours reconnu les faits ! » Le président lui répond du tac au tac : « Oui, parce que vous avez toujours été pris en flagrant délit ! »

Né en 1986 dans l'Oise, Ibrahim a connu la DDASS pendant deux ans, lorsque sa mère s'est enfuie, loin de son père alcoolique. Dès l'adolescence, sa carrière délinquante est marquée par une erreur judiciaire, une accusation de meurtre qui le conduit en prison pendant neuf mois, avant d'être innocenté. Vif, intelligent, sentimental, il se définit lui-même comme « écorché et meurtri ».

Les deux frères Samuel et Lilian ont des profils différents. Lilian, l’aîné, a été condamné à de la prison ferme à cinq reprises, alors que le casier de son cadet est vierge. Samuel expliquera par la suite qu'il voulait prouver, avec ce coup, qu'il était capable, lui aussi, d'être un « caïd », dans une famille de 16 enfants où la plupart des garçons ont des problèmes judiciaires. Il s'accuse de toutes les charges, prétend être le vrai « cerveau » de toute l'opération.

Mais son frère ne le laisse pas faire. Pour lui, ce braquage est une œuvre collective. Quand il raconte les faits, il donne une version différente de toutes celles qui ont été fournies jusqu'ici, comme s'il était absent de son propre procès et n'écoutait que vaguement les débats. Des cinq accusés, c'est le seul qui soit encore derrière les barreaux.

À la barre, Melissa, la petite amie de Samuel depuis huit ans, livre une plaidoirie contre la prison. Melissa et Samuel, c'est le jour et la nuit. Elle est minuscule, c'est un géant. Elle est sociable, bavarde, solaire, c'est un garçon calme, discret, lunaire.

Elle raconte les parloirs, les codétenus qui se suicident, l'absence d'activité et de perspective qui ont été le quotidien de son compagnon pendant trois années de détention provisoire. Elle essaye de faire partager son expérience aux jurés : « Je ne veux pas vous jouer du violon, mais à mon sens, c'est l'épreuve la plus douloureuse après la maladie et la mort. » Comme un avocat rodé, elle termine son témoignage par une citation : « Il y a la peine qui punit, et celle qui pourrit. Après 34 mois de détention, il serait temps de le laisser avancer. »

Sofiane M., qui a livré les informations nécessaires au braquage, présente un profil très différent. Sympathique, souriant, petit et fluet, il ne semble pas taillé pour le costume qu'on lui demande d'endosser. En prison pendant deux ans, « il rasait les murs », selon son avocat. Son histoire est touchante parce qu'elle est simple.

Né en 1982, il a grandi à Aubervilliers, une enfance heureuse. S'il abandonne l'école avant le bac, il ne baisse pas les bras et trouve rapidement du travail, d'abord à l'aéroport Charles-de-Gaulle, puis à la société de sécurité CESG. Un an avant les faits, il vit une séparation très difficile avec sa femme et quitte la Seine-et-Marne, où il vivait depuis neuf ans, pour revenir chez ses parents.

Il renoue avec d'anciennes connaissances du quartier, à l'occasion de quelques parties de foot. Quand on lui demande ce qu'il fait, il explique : il est fier de travailler dans la sécurité. Mais Samuel, qui a entendu ça, revient le voir, semaines après semaines, pendant six mois, pour lui demander des informations. Un beau jour, le 11 avril, il craque et dévoile la mission qui doit se dérouler pendant plus d'un mois au studio Stella. Sa sœur le décrit comme quelqu'un de gentil, « trop gentil même : il ne sait pas dire, non ».

La jeune avocate qui représente Van Cleef & Arpels n'adhère pas à cette description. Le mobile, c'est l’appât du gain. Des cinq accusés, c'est Sofiane M. qu'elle charge le plus, rappelant aux jurés cette fable de La Fontaine, « La Poule aux œufs d'or » :

« L'avarice perd tout en voulant tout gagner […]
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ? »

Après une telle charge, les réquisitions de M. Demory, l'avocat général, paraissent très timide. Il se borne à résumer les faits, sans passion. Il plaide toujours le professionnalisme de la bande, mais sans grande conviction, comme si le contact avec les accusés avait fini par le convaincre de leur amateurisme. Quant à Ibrahim A., il est sûr qu'il est coupable. Il énonce ses réquisitions : 12 ans pour Ibrahim A. qui s'évertue à nier, dix pour Lilian D., six pour Samuel D. dont c'est la première condamnation, cinq pour Sofiane M. et la relaxe pour Elyas A., puisque personne ne sait trop ce qu'il fait là.

« J'aimerais vous dire que mon client est bloqué dans les toilettes »

Pendant près d'une journée entière, les six avocats de la défense vont plaider à l'inverse des réquisitions, depuis la peine la moins lourde jusqu'aux accusations les plus graves. La défense d'Ibrahim A., la plus attendue, passera donc en dernier.

À l'image de son client, Elyas A., l'avocat Julien Fresnault est surtout ici par solidarité. L'avocat général a demandé l'acquittement, sa tâche n'est donc pas la plus compliquée, mais il n'oublie pas ses confrères pour autant. Il met en garde contre une erreur judiciaire, argument qui vaut pour son client, mais également pour Ibrahim A., qui plaide non coupable. Après avoir parlé calmement et rationnellement, il laisse la parole à Frédéric Trovato, l'avocat de Sofiane M.

« Cinq ans de prison. C'est une lourde peine que demande l'avocat général, pour un dossier où la vie humaine n'a pas été retirée. » Pour son client, qui s'est réintégré à la société depuis un an et demi, c'est un retour automatique en détention. Il fait appel au cœur des jurés : « Jugez-les comme vous voudriez être jugés : c'est ça, l'honneur de la justice. » Il les implore de refermer l'épisode le plus douloureux de la vie de Sofiane : « Il travaille depuis 16 mois. Est-ce qu'il faudrait balayer tout ça d'un revers de la main ? »

Pendant plusieurs dizaines de minutes, il rappelle le parcours qui a mené son client jusqu'à ce jour d'avril 2013 : il travaille, se vante, ne veut pas passer pour un menteur et se retrouve pris au piège d'un univers qui ne lui ressemble pas. Et, dès que les faits sont commis, dès qu'il est interpellé : « Il joue cartes sur table, il avoue tout. » Pour l'avocat, la peine doit refléter l'implication dans le braquage. Et justement, Sofiane M. n'y était pas, il n'a même pas été payé.

Pour défendre Samuel, Xavier Nogueras se présente devant les jurés. Il reprend l'accusation à l'envers. Là où l'avocat général et les parties civiles voient des braqueurs professionnels, il souligne au contraire la grande part d'amateurisme qui entoure ce vol. Il pointe du doigt les erreurs de débutants : « Un braqueur qui utilise son propre scooter ? Une fausse plaque scotchée aussi grossièrement ? Un casque plein d'ADN jeté au milieu de la route, alors qu'il y a des endroits beaucoup plus discrets à quelques mètres seulement ? »

L'explication, selon lui, va bien au-delà de l'amateurisme : « J'ai commencé, pendant ce procès, à voir à l'intérieur de cette grande carcasse, dit-il en pointant Samuel du doigt. Son attitude ne relève pas de l'amateurisme, mais de l'acte manqué. » Il rappelle le lien très fort qui unit les frères de la famille D. Samuel voulait être considéré, respecté par ses grands frères. Mais ce caïd, ce n'était pas lui : tout son corps criait le contraire, d'où cette accumulation de ratés, jusqu'à ce scooter qui ne veut pas démarrer.

Il poursuit sa plaidoirie par le procès de la prison : « L'univers carcéral ne prive pas seulement l'individu de sa liberté, comme il le devrait. Il le prive également de sa dignité. » Alors, il propose un marché aux jurés : ne pas renvoyer Samuel en prison, lui qui y a déjà passé 34 mois, mais choisir une solution alternative, le sursis avec mise à l'épreuve, l'obligation contrôlée de trouver un travail et de s'insérer.

Marie Pompeï, qui s'avance à la barre, est l'une des deux avocates à défendre Lilian. Elle fait douter les jurés de leur capacité à rendre la justice, en citant le cinéaste Marcel Carné : « Pour pouvoir bien juger, il faut avoir été accusé au moins une fois. » Dans un récit peuplé de références à la littérature et au cinéma, elle s'adresse à la sensibilité de chacun et souligne que les voleurs ne sont coupables d'aucune violence. Appelé pour la défense de Lilian, elle vient plaider, en réalité, pour tous les accusés.

Tantôt possédé par sa plaidoirie, grondant à la barre, tantôt sur le ton de la confidence, l'avocat Hugues Vigier joue sur tous les registres émotionnels, rappelant l'histoire familiale des frères D., l'influence d'une enfance en banlieue, la détresse affective et sociale. À mesure que sa plaidoirie avance, il s'adresse de plus en plus à la raison : « Quand ils partent, ils savent qu'il n'y aura pas de violence. Ce sont des amateurs, et les armes étaient vraisemblablement factices. »

Il termine sa longue plaidoirie en se tournant vers Ibrahim A., prochain sur la liste : « Ibrahim , je suis convaincu que vous n'y étiez pas. » Il se penche ensuite vers son client : « Et Lilian, le plus horrible, c'est que je suis sûr que tu n'y étais pas non plus. C'est horrible, mais c'est vrai ! Ah, Lilian, comme c'est dur de te défendre… » À la suspension d'audience, toute la salle se surprend à douter, même des éléments les plus évidents.

Les minutes passent, et Ibrahim A., qui écoutait les plaidoiries quelques minutes plus tôt, ne se présente toujours pas. Son avocat se ronge les ongles. Tout le monde part à sa recherche. Trop tard : Ibrahim A. a disparu du Palais. Il ne reviendra pas.

Toutes les parties, le juge et les jurés se réunissent. Ils reviennent rapidement. Avec ou sans Ibrahim, le procès continu, il sera jugé par défaut. Son avocat est prié d'entamer sa plaidoirie.

« Mesdames et Messieurs les jurés, j'aimerais vous dire que mon client est bloqué dans les toilettes, et qu'il supplie en ce moment même que quelqu'un vienne lui ouvrir, mais je crois que ce n'est pas le cas. »

Il entame la plaidoirie qu'il avait prévue, il s'attache à démonter une par une les charges et les preuves que l'on oppose à son client. Association de malfaiteur ? « C'est l'accusation qui sert à tout quand on n'a rien. » Pour qu'il y ait association, encore faudrait-il prouver qu'il y a eu une préparation, des rencontres, des contacts. Rien de tout cela n'existe.

Les dix secondes de communication de son téléphone vers celui de Samuel ? « Êtes-vous certains qu'il s'agit de son téléphone ? Il n'est pas à son nom, et personne ne l'a retrouvé. » Ibrahim, lui, prétend que le téléphone est utilisé par les habitués d'un bar qu'il fréquente. L'avocat s'étonne : « Personne n'a vérifié l'existence de ce bar, alors que c'est son alibi ! » Et d'ailleurs, ce téléphone, il ne borne jamais sur les lieux du braquage.

Le tapissage ? « Je ne pensais même pas que l'accusation oserait utiliser ces témoignages. Quatre témoins sont interrogés, pour quatre versions différentes. En matière d'échec, c'est un cas d'école ! » Quant aux reconnaissances vocales, l'expert indique bien à quel point elles ne sont pas fiables.

L'Audi A3 retrouvée devant son domicile ? « Il y a des traces ADN, mais aucune ne correspond à Ibrahim A., c'est tout de même très étrange ? » Et d'ailleurs, personne ne sait si cette Audi est celle qui a été utilisée pendant le braquage. Chaque année, 15 000 Audi noires ou grises sont immatriculées. « Que se passera-t-il quand dans un, cinq ou dix ans, les experts découvriront que ces traces correspondent à celles d'un certain "Norbert", par exemple ? »

La lettre anonyme, que prouve-t-elle ? « Simplement qu'il y a des gens qui ont tout intérêt à ce que l'enquête s'oriente du côté d'Ibrahim A. » Il tempête contre le fait que cette lettre puisse être considérée comme un élément à charge : « On sait qui écrit les lettres anonymes dans les affaires criminelles : des voyous qui veulent écarter un concurrent ! »

Et puis ce surnom, Brams le Balafré : « Personnellement, dans ma carrière, j'ai déjà eu affaire à un Brams le Barge, à un Eddy le Balafré. En cherchant sur Internet, j'ai même trouvé un rappeur qui s'appelle Brams le Balafré ! » C'est sur cette conviction, sur cette identité supposée, que repose toute l'enquête. « Je comprends que mon client soit parti : on essaye de le coincer depuis le début ! »

Après s'être attaqué aux charges avec beaucoup de conviction, l'avocat s'adresse à la conscience des jurés : « Votre décision, vous allez l'emporter avec vous. Pendant les délibérations, il peut y avoir un effet de groupe. Mais ce soir, vous dormirez avec votre décision. La présomption d'innocence ne peut pas s'appliquer seulement à ceux qui n'ont pas de casier judiciaire. C'est la même pour tous. Dans les mois qui viendront, il sera trop tard pour se dire : "Peut-être que…" »

Au terme d'un délibéré d'une dizaine d'heures, Elyas est acquitté. Ibrahim A. et Lilian D. sont condamnés à neuf ans de prison ferme. Samuel D. : six ans ferme. Sofiane M. : quatre ans ferme, et une année de sursis.

Et les bijoux ? « Ça nous chatouille tous, qu'est-ce qu'ils sont devenus ? » avait demandé le président pendant les débats. « Il fallait s'en débarrasser, on les a bradés », avait répondu Lilian. Le même Lilian qui, selon son avocat, n'était pas présent lors du braquage…

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