Dans un carnet de bord, elle a tout consigné. Ses consommations d'alcool, de la bière et du whisky majoritairement, avec le nombre de verres. Ses soirées et ses dimanches matin à visionner du porno en boucle sur l'ordinateur. Ses textos quasi quotidiens annonçant « un coup dans le cul en rentrant » alors qu'il quittait le travail. Les rapports qui ne lui procuraient que dégoût. Leur cadence. Leur durée. La fois où il lui a retiré de force son tampon. Les viols au cours desquels la tête se détachait du corps traversé de douleurs. Et puis ce son qu'elle pourrait « reconnaître entre mille » : celui de la fermeture éclair de la sacoche où étaient rangés les sextoys.
« Me voir épuisée ne lui faisait rien, plus je disais non plus il continuait, plus je disais que j'avais mal plus il continuait », raconta Daphné aux gendarmes, qui ont attendu sa troisième déposition pour qu'elle confirme ses écrits. En 2019, après quatre années de calvaire, cette employée de restauration scolaire a été contrainte d'arrêter le travail. « Votre corps a lâché et on se demande comment il ne l'a pas fait avant », commente la présidente du procès, qui se déroule l'année des 20 ans de la rencontre du couple. L'ex-mari de Daphné ne comparait pas devant une cour d'assises puisque les viols ont été requalifiés en agressions sexuelles. Stéphane, un garagiste de 45 ans, est également poursuivi pour détention d'images à caractère pédopornographique.
Lors de la perquisition au domicile du couple, les gendarmes ont trouvé 238 000 images porno sur un ordinateur. Parmi ces photos, huit mettaient en scène des mineurs. « Je n'avais pas vu que c'était des enfants », se défendra Stéphane lors de sa garde à vue. On lui reproche enfin des violences. Contre Daphné d'abord qui, outre les rapports sexuels imposés, a subi des menaces avec un couteau de cuisine un soir où son mari avait bu encore plus que d'habitude. Et contre les deux enfants du couple, témoins directes des colères de leur père. Les filles étaient âgées de 5 et 10 ans quand leur mère a trouvé le courage de partir, en février 2020.
Quelques mois plus tard, une enquête était ouverte après le signalement du psychothérapeute suivant l'aînée. « Quelle serait cette procédure si ce médecin n'avait pas fait son travail », s'interroge la procureure. Puis elle relève : « En lisant les auditions de madame on a des hauts le coeur et en lisant celle de sa fille c'est un crève cœur. »
Stéphane a un physique assez imposant. Barbu, partiellement chauve, il porte un pull camionneur noir et des lunettes recouvrent son visage, pour l'instant dénué d'émotions. En garde à vue, il a simplement reconnu avoir été parfois agressif verbalement avec sa femme et ses enfants. Pour le reste, il s'est dissimulé derrière l'amnésie provoquée par l'alcool, qu'il dit avoir mauvais. « Quand j'étais alcoolisé, j'avais envie de faire un câlin mais je lui faisais mal et je m'en rendais pas compte », expose-t-il. La présidente : « Ce n'est pas juste "aïe !", elle le criait haut et fort.
- Je n'entendais pas ces cris, j'aurais dû mais je ne les entendais pas.
- Et quand elle vous disait non, qu'elle n'avait pas envie ?
- Malheureusement ce n'était pas moi, si j'avais été conscient jamais je n'aurais fait de telles choses.
- Pendant les rapports il lui arrivait de pleurer, ça non plus vous ne l'entendiez pas ? »
Un silence parcourt la salle. Sommé de s'exprimer sur l'impact de ses sévices, Stéphane retrouve la parole : « Les conséquences ? C'est que ça détruit une personne physiquement et psychologiquement. »
La présidente poursuit son interrogatoire sur les faits à l'encontre des enfants. « Je n'aurais jamais dû faire ça », réagit Stéphane au sujet des insultes qui fusaient pour un rien et d'un coup de pied donné à une des filles. Puis il revient sur la génèse de sa dérive tyrannique : « Le point de départ c'était l'achat de la maison, je ne pouvais plus l'assumer. Ça n'allait plus au travail, ça n'allait plus à la maison, la forte alcoolisation a commencé à partir de là. Tout le monde prenait, c'est comme si je me vengeais sur elles. J'y pense tous les jours, c'est dur, j'aimerais pouvoir lui dire un jour à ma fille... » « Pardon ! Lui dire pardon oui, c'est la moindre des choses », le coupe presque la présidente. « J'ai eu la force de guérir, de me prendre en main reprend Stéphane. Mais j'aurais préféré qu'un ami vienne et me mette une grande tarte dans la gueule. »
Quelques secondes plus tard, alors que les échanges portent sur son histoire personnelle, marquée par la brutalité d'un père alcoolique, Stéphane est pris de spasmes dans le bas du corps. Puis, celui que sa belle-soeur décrivait comme un gros macho, se met à pleurer comme un enfant. Après le silence, ce sont des gémissements d'une intensité rare qui résonnent. La présidente vient d'évoquer l'agression sexuelle dont aurait été victime Stéphane aux prémices de l'adolescence. La révélation paraît récente. Il s'en est ouvert pour la première fois au psy qui le rencontre dans le cadre de son contrôle judiciaire. Car en dépit du caractère sordide de l'affaire, Stéphane a échappé à la détention provisoire. Son casier porte trace d'une mention pour une histoire de délit de fuite et il est en CDI. Sûrement cela a-t-il joué en sa faveur.
Scotchée au banc, Daphné reste de marbre face à ce qui se trame à la barre. « J'ai rarement vu une relation d'emprise aussi prégnante, madame a été annihilée dans sa personne et considérée comme un vulgaire objet », plaide son avocate. « Ici on peut utiliser le terme d'emprise », confirme la procureure, référante violences intrafamiliales au parquet de Nantes. Elle évoque un « enfer sur terre » découlant d'une « exploitation de la soumission » de la part d'un homme « aux besoins sexuels primaires jamais assouvis. » Son réquisitoire se termine par le préjudice de Daphné. « Un an d'ITT ! Du jamais vu même aux assises. »
Conformément au quantum demandé, Stéphane est condamné à cinq ans de prison, dont trois ans ferme avec mandat de dépôt à effet différé et deux années assorties d’un sursis probatoire. Inscrit au fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles, il devra poursuivre les soins, verser 10 000 € à sa femme et 3 000 € à chacune des filles. La déchéance de l’autorité parentale est confirmée. « Quand on va le voir au travail, il est tout mignon » avait rapporté la plus jeune en audition.
Les prénoms ont été modifiés.