« Tous les deux, je crois qu’ils pensaient vraiment s’en sortir »

« Tous les deux, je crois qu’ils pensaient vraiment s’en sortir »

La mère s’appelle Bushra Taher Saleh. Elle a 29 ans, de grands yeux noirs un peu tombants et raconte sa vie à la cour d’assises de Melun (Seine-et-Marne). Une éducation stricte mais heureuse et la rencontre avec Grégoire Compiègne, 26 ans aujourd’hui, assis à l’autre extrémité du box. « J’aimerais ne jamais avoir croisé le regard de M. Compiègne », confie-t-elle à la présidente qui lui demande d’exposer ses plus grands regrets. « J’ai énormément de rancœur, j’ai la haine contre lui », le père d’Inaya, tuée un soir d’hiver et enterrée dans le sous-bois d’à côté.

Les deux accusés répondent du crime de violences volontaires par ascendant sur mineur de 15 ans, ayant entrainé la mort sans intention de la donner. Grégoire Compiègne est en récidive de violences et risque la réclusion criminelle à perpétuité. Quatre associations de protection de l’enfance se sont portées partie civile.

Bushra Taher Saleh accuse Grégoire Compiègne d’avoir tué la petite fille, tandis que Grégoire Compiègne clame avec force que la coupable, c’est elle, Bushra Taher Saleh. Le ressentiment est manifeste et le mensonge plane sur ce dossier depuis la première heure, servi aux enquêteurs par ce couple « toxique ».

Lorsqu’ils placent les deux parents en garde-à-vue, le 22 janvier 2013, les policiers n’ont qu’une seule préoccupation : retrouver Inaya. Les parents leur serinent depuis un mois qu’elle est logée chez des « personnes de confiance » mais qu’ils n’en sauront pas plus. Ils ne veulent pas qu’elle soit placée. Leurs deux autres enfants l'ont été, après qu'un examen médical eut constaté de graves maltraitances à leur encontre : hygiène déplorable, sous nutrition, retard de développement, traces de coups.

À gauche dans le box, les accusés. Au fond la présidente et un assesseur. De dos, la directrice d'enquête. (Illustration : Clarisse Le Chaffotec)

Bushra et Grégoire tiennent la même ligne tout au long du premier interrogatoire. La directrice d’enquête, venue témoigner devant la cour, décrit des suspects qui « ont réponse à tout ». Grégoire est « arrogant », Bushra est une « femme très sûre d’elle, qui ment avec un aplomb certain lors de ses premières déclarations ». « Tous les deux, je crois qu’ils pensaient vraiment s’en sortir », estime-t-elle.

Mais au second interrogatoire, la mère craque : Inaya est morte et enterrée. C’est Karim, le fils aîné qui l’a tué en la poussant. La petite a fait une mauvaise chute. Après avoir réfléchi toute la nuit, les parents décident de l’ensevelir par peur d’être accusés de meurtre. Ils mettent Inaya dans trois sacs poubelle, parcourent 800 mètres et creusent un trou au pied d’une souche, à la lumière de leurs téléphones. L’enfant y restera plus d’un an.

« Fugueur, impulsif, violent, menteur »

Grégoire Compiègne n’y comprend rien, puis admet cette version. Mais sa compagne, pressée par les policiers en sert rapidement une seconde dans laquelle elle s’accuse. Elle a secoué le bébé qui pleurait trop et l’appelait Vivi, surnom donné à l’assistante sociale qui l’a élevé pendant 15 mois après sa naissance. « Ça m’a énervé, c’était comme un rejet », admet aujourd’hui Bushra Taher Saleh, qui se campe en mère aimante. Compiègne confirme et ajoute même que sa compagne aurait récité des sourates pour exorciser l’enfant qu’elle croyait possédée.

Puis elle adopte finalement – et définitivement – un déroulé des faits qui accable le père : il s’énerve contre l’enfant, empêche la mère de protester et roue Inaya de coups de pieds, ce qui la tue. À la cour, Bushra Taher Saleh décrit son quotidien de femme soumise, sous l’emprise d’un homme qui la battait. « Qu’est-ce que vous aviez comme liberté ? », lui demande son avocat. « C’est quand j’étais au travail, quand j’étais seule, quand il n’était pas là », témoigne-t-elle.

M. Compiègne est dépeint sous ce profil : sa famille adoptive le qualifie de « fugueur, impulsif, violent, menteur ». Lui n’a cessé de décrire un couple méchant et un père qui le battait : « Je me faisais frapper, ils me disaient que ma mère était une prostitué, me traitaient de "sale bougnoule" (son père biologique est tunisien) », raconte-il. Un jour, il frappe le père et s’enfuit.

Il rencontre Bushra très jeune et Karim nait en 2008, Puis Inaya en 2010 et Aïcha en 2011. Les parents de la jeune femme n’aiment pas Grégoire, ce qu’il déplore. Ils sont là aujourd’hui, partie civile, de l’autre côté du prétoire. Subjugués par l’impudence de cet homme qui, ils en sont persuadés, battait leur fille et ses enfants.

« Cette femme qui se prétend sa mère et qui lui a donné la mort »

En attendant, le voilà qui accuse son ex compagne : il l’affirme comme une évidence dans des formules fracassantes : « Cette femme qui se prétend sa mère et qui lui a donné la mort. » Il se dit « dégouté » par la vie, aujourd’hui « injuste ». « Quand on connaît la vérité, quand on sait ce que cette femme a fait… », ou encore : « Mon projet, c’est que justice soit faire pour ma fille. » Les violences sur sa compagne ? « Ça arrivait que des fois elle se fasse des violences elle-même. Mais je ne vais pas vous dire que je la violentais alors que ce n’est pas le cas. » Bushra a été vue plusieurs fois, par divers témoins, porteuse de trace de coups.

Le casier judiciaire de M. Compiègne compte cinq condamnations, dont deux pour des violences volontaires. Il a « frappé fort », selon ses mots, son fils aîné. Il prend un air contrit : « J’ai tapé mon fils, c’est quelque chose que je ne me suis jamais pardonné, c’est une réaction de père indigne. » La présidente lui fait remarquer que Bushra avait signalé qu’il le frappait déjà six mois auparavant :« Est-ce qu’elle dit la vérité ? Non, voilà, déjà elle mentait », balaye-t-il.

À deux mètres de lui, Bushra l’observe du coin de l’œil. Elle souffle, dépitée, en entendant ce jeune homme à la fine barbe, vêtu d’une chemise blanche cintrée, impeccable, l’accabler avec morgue et mépris. Ces deux accusés qui maintenant se déchirent ont été unis dans la plus lourde des impostures. Pendant un an que le corps de leur fille gisait sous terre, protéger l’autre, c’était se protéger soi-même. Si le temps du procès a changé la donne, le mensonge perdure et la posture du père d’Inaya interroge jusqu’à l’avocat général : « On s’est demandé, et on se demande toujours si vous ne jouez pas un rôle, si vous n’êtes pas spectateur de votre propre violence ».

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