Thérapie de couple en correctionnelle

Cela fait deux heures que la jeune présidente de la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil mène les débats à un rythme effréné. Elle foudroie les prévenus dissipés : « Mon audience est très longue, si on m’oblige à répéter 15 fois les mêmes choses, ça va vraiment m’agacer. » Elle compose seule ce tribunal qui ne juge que des prévenus libres.

Dans le public, un jeune homme souffle d’agacement. Il attend son tour, semble impatient de comparaître mais préfère aller fumer sur le parvis au lieu de guetter l’appel de l’huissier. Plusieurs fois, son affaire est appelée en son absence, puis il reparaît, déambulant nonchalamment entre les bancs, trois acolytes dans son sillage. Il passera en dernier.

Pour le moment deux femmes, à l’appel de leur affaire, s’avancent ensemble à la barre. Fatma B., 34 ans, est prévenue de violences ayant entraîné une ITT supérieure à 100 jours sur la personne de Cécilia M., 35 ans, elle-même prévenue de violences ayant occasionné une ITT inférieure à huit jours sur Fatma B. Les deux prévenues sont donc également victimes. La présidente toise les deux femmes : « Je vous préviens, on n’est pas là pour refaire le match. »

« D’où tu fais ta princesse là ! Viens ici on va s’expliquer »

Les deux protagonistes racontent à tour de rôle. Fatma se rend devant l’immeuble de Cécilia pour s’expliquer avec elle, l’interpelle mais se fait royalement ignorée. « D’où tu fais ta princesse là ! Viens ici on va s’expliquer », clabaude-t-elle alors avec virulence. « Va te faire soigner », rétorque Cécilia qu’une telle apostrophe échauffe. Suit alors un empoignement confus qui pousse Cécilia dans l’escalier donnant accès au hall de l’immeuble – Fatma dira que sa rivale s’est rattrapée à temps. Gravement blessée mais en furie, Cécilia attrape la tignasse et griffe le visage de son assaillante, qui se débat tant bien que mal. C’est une cousine de Cécilia qui, entendant le tapage, met fin au corps à corps.

La bagarre est irréfutable mais le fait générateur demeure flou. Qui agresse, qui se défend ? Devant le tribunal, l’ITT très importante de Cécilia – plusieurs fractures au pied et à la jambe – joue nettement en sa faveur. L’avocate de Fatma le sent bien et assaille son adversaire de questions précises sur le déroulement des faits et d'insinuations :

« Comment avez-vous fait pour vous relever ?

Les nerfs je suppose, mais une fois rentrée, je me suis écroulée de douleur.

C’est étonnant, avec une double fracture et une luxation. Et pourquoi n’êtes-vous pas directement allée à l’hôpital ?

Mais j’y suis allée !

Ça n’apparaît pas.

Et bien si, j’ai les radios datées.

Ça n’apparaît pas non plus !

Ça apparaîtra dans les éléments que je vais verser », l’interrompt l’avocat de Cécilia.

La présidente appelle alors un témoin, Kamel A., 35 ans. Elle lit son état civil : il est l’époux de Fatma B. – avec qui il a deux enfants - en instance de divorce. Il habite au « 34, rue… » La présidente s’interrompt, relève la tête avec le sourire de celle qui dénoue les liens tortueux d’un mystère conjugal. « Vous vivez avec Cécilia M. ? » Le témoin opine. « Compte tenu de votre position, le tribunal vous dispense de prêter serment. »

Mais Kamel A. n’est pas venu pour démêler l’affaire. D’ailleurs, il n’a rien vu. Il est là pour parler de sa relation exécrable avec Fatma. « Elle est très agressive, depuis toujours. Elle passe son temps à nous insulter, j’ai fait plein de mains courantes, rien à faire. Je suis venu témoigner pour que cela cesse. » La juge se renfrogne : « Ce n’est pas de la compétence du tribunal. Pas de connaissance directe des faits ? Pas de question », dit-elle sèchement.

La défense de Fatma cueille alors Kamel A., qui commence à vaciller :

« Voici une main courante déposée par Fatma pour des violences contre votre fils Mehdi. Qu’est-ce donc ?

Un jour, nous nous disputions, et j’ai claqué la porte sur le bras de Mehdi qui s'est cassé.

Rien à ajouter. »

« On n’est pas là pour faire une thérapie de groupe »

Le procureur passe son tour, il n’est pas là pour faire « une thérapie de groupe ». Mais bientôt, la présidente l’invite à requérir : « Puisque la partie civile est également en défense, nous écouterons M. le procureur en premier. » Alors il se lève, dans son coin, dans le contre-jour de la lucarne creusée dans l’épais mur de béton du tribunal. D’un air las et agacé, il expédie son propos en deux phrases : « Quand on voit ces faits, on ne peut être que consterné. On n’est pas là pour faire une thérapie de couple, la prochaine fois ça se terminera en comparution immédiate et on pourra trancher dans le vif. » Les réquisitions sont proportionnelles aux préjudices : six mois avec sursis contre Fatma, 750 euros d’amende contre Cécilia.

Les plaidoiries n’éclairent pas d’avantage les débats. La défense de Fatma reproche à Cécilia de ne pas s’être précipitée dans un commissariat pour porter plainte – comme Fatma – alors qu’elle attendait à l’hôpital d’être opérée. Puis l’avocate dénonce la situation des enfants de Fatma et Kamel : « Le petit Mehdi est maltraité par Cécilia M. lorsqu’il est chez son père. Ma cliente voulait simplement s’expliquer avec Cécilia dans l’intérêt de ses enfants, et là, elle se fait agresser. » Elle plaide la relaxe de sa cliente, la condamnation de l’autre et demande un euro symbolique. Son confrère rejette illico l’initiative de l’agression sur Fatma, plaide la relaxe de Cécilia, la condamnation de Fatma et demande un euro.

Dernières déclarations : Cécilia décline. Fatma fait un pas : perchée sur ses hauts talons, la mine défiante surplombée d’une fière frange brune, elle déblatère une tirade sur la maltraitance de ses enfants lorsqu’ils séjournent chez leur père. Alors Cécilia se sent piégée, essaie d’enchaîner, mais la présidente clos le débat : « Non, ça suffit, ça va pas recommencer, délibéré après la suspension. »

Fatma et Cécilia prévenues sont relaxées, Fatma et Cécilia parties civiles sont déboutées. « C’est plus simple pour tout le monde, et puis au vu des éléments, il était impossible de trancher. » On n’est pas là pour faire une thérapie de couple.

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