Schizo et violent : « À chaque fois, c'est moi qui suis victime »

Jeff échappe aux assises. Un coup de chance : en chambre correctionnelle, sa tentative d'homicide se transforme en violence avec arme, un délit puni de cinq ans. Sa victime a eu un poumon perforé par l'un des deux coups de couteau. L'autre a atteint la gorge.

« C'est pas moi ! » L'audience a à peine commencé, mais Jeff veut se faire entendre et coupe le récit d'une assesseuse. Ça râle dans le tribunal, son avocate le raisonne, il se rassied.

La victime ? Un sans-papier ivoirien revenant d'une friperie. Jeff en veut à son sac. Dedans, un pull acheté 3 €.

« Aux policiers, il dit qu'il n'aimait pas qu'on le fasse chier »

« C'est moi qui suis victime. Lui, il était avec ses dix collègues », jure Jeff. De toute façon, la victime, « c'est un vendeur de crack, comme tous les mecs de Barbès », insinuait-il lors de son audition. Mais rien ne vient appuyer ses dires.

Jeff reconnaît les coups de couteau. « Aux policiers, il dit qu'il n'aimait pas qu'on le fasse chier et qu'il ne se laissait pas faire. Il explique qu'il avait souvent un couteau sur lui parce qu'il traînait avec des toxicomanes », lit l'assesseuse.

Sur les vêtements de la victime, un ADN, déjà dans les fichiers de la police : celui de Jeff.

Car Jeff a un casier. Trois condamnations depuis 2013, toutes des violences avec arme, dont une fois contre un policier. Mais « à chaque fois, c'est moi qui est victime (sic) », assure Jeff.

« SDF de luxe »

26 ans, noir, trapu, barbe et cheveux en brousse, le regard dur, Jeff est SDF. « Mais un SDF de luxe, j'mange pas sale, et tout, j'vais dans les foyers prendre des douches », précise-t-il.

Né à Haïti, arrivé en France à 13 ans, à la rue à 18 ans, diagnostiqué bipolaire à 23 ans, « avec excitation psychique et mégalomaniaque ». Jeff a fait quelques passages en hôpital psychiatrique et en prison. Pour cette affaire, l'expert considère qu'il n'était pas responsable de ses actes.

« Est-ce que vous pensez que vous avez besoin de prendre un traitement ? demande l'assesseuse.

– Non, madame.

– Est-ce que vous pensez être malade ?

– Non, madame.

– Est-ce que vous pensez être dangereux ?

– Non, madame. »

Jeff reste certain de son bon droit. La présidente demande d'une voix bienveillante : « Vous n'avez pas remarqué quelque chose ? À chaque fois que vous êtes condamné, c'est en lien avec votre schizophrénie.

– Non, madame. Moi, j'ai un comportement adapté, j'suis dans la société. »

À la procureur la violence, à l'avocate la folie

La procureur et l'avocate de Jeff se divisent le dossier. À l'une la violence, à l'autre la folie. Obligation de soins ? Inutile, une ancienne condamnation doit déjà le forcer à se soigner.

Le tribunal suit les réquisitions de la procureur : quatre ans ferme, maintien en détention. « Je vais essayer de vous expliquer », commence la présidente. Elle insiste sur la « violence extrême » de l'acte et le peu de doute sur la culpabilité de Jeff, finit sur sa maladie : « Si vous admettez que vous devez prendre des cachets, vous pourrez considérablement alléger votre peine. Est-ce que vous avez compris ? »

Jeff lâche un simple « merci », tend calmement ses mains au gendarme et attend les menottes.

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