Alexis Dubruel est un avocat lyonnais qui « a tout perdu ». Il expose ses déboires devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, un peu brouillon, mais identifie derechef son « problème » :
« Je reçois des piles de lettres d’insultes de Juifs, j’ai perdu mon principal client, une entreprise installée dans une ville du Sud dont le maire est juif, et son gendre est un milliardaire juif qui vend des armes notamment à Tsahal. Je suis maintenant en liquidation judiciaire. »
Me Dubruel comparaît sur le banc des prévenus pour provocation à la discrimination à l’endroit du magistrat Albert Lévy, dont il avait demandé la récusation au seul motif que son patronyme laissait suggérer qu'il était juif. C’était au cours d’une procédure à propos d’un droit de visite non respecté d’un enfant dont il représente la grand-mère. Albert Lévy présidait l'audience à juge unique. La partie adverse, le père de l’enfant, s’appelle Moïse. Alexis Dubruel raconte :
« Albert Lévy avait une attitude agressive envers ma cliente, et une complicité évidente avec l’autre partie. Les audiences se sont déroulées dans des conditions scandaleuses, ma cliente a été terrorisée. Lors d’une audience, le juge Albert Lévy a demandé au petit : "Quel est le prénom de ton papa ? – Moïse." Il s’est mis en arrière de son dossier, a fait un grand sourire, et l’audience a pris un tour favorable pour l’autre partie, et depuis, on mène contre moi une cabale. »
L’avocat décide de déposer une requête en récusation. À l'appui, il brandit les pages Wikipédia des noms « Moïse » et « Lévy », notoirement liés au judaïsme, pour dénoncer une collusion, la partialité du jugé Lévy. L’affaire provoque l’indignation générale, Alexis Dubruel est radié de son barreau. Le procureur général qualifie les propos « d’ignominieux », Vichy est dans toutes les bouches, l’avocat est acculé.
« Justice de cagoulards »
Il ne compte pas s’amender devant les juges de la « salle de la presse ». Sa ligne de défense, c’est la persécution. Il faut la tenir, et qui de mieux que l’avocat tourbillonnant qui entre en trombe dans la salle pour défendre au pied levé Me Dubruel ? François Dangléhant, le regard allumé et cet air de défiance qu’il arbore en permanence dans les tribunaux, s’excuse du retard. Il épaulait son plus fidèle client, Dieudonné, lors d’une audience civile qui s’éternisait. Il dédie son propos liminaire au conseil de l’ordre qui a radié son client. Des juges – les avocats se réunissant en conseil de discipline – qui « siègent sans droit ni titre », selon sa rhétorique bien rodée. Me Dangléhant lui-même s'est fait radier plusieurs fois (il a fait appel) et combat avec pugnacité cette « justice de cagoulards » et cette « cabale » contre lui et son malheureux confrère.
Son chapelet de nullités en main, le voilà qui conclut : il conteste la légitimité de l’association Mémoire 2000, partie civile, qui n’aurait pas la personnalité morale. « C’est une action vindicative d'associations qui se croient dans un rôle de procureur. » Les propos de son client, selon lui, n’auraient pas été prononcés en public, ce qui ôte à l’infraction son caractère délictuel. En privé, de tels propos sont punis d’une simple contravention de 5e classe, et le juge correctionnel laisse la place au tribunal de police. Ensuite, la citation de la partie civile ne reproduit pas les propos litigieux, comme l’exige l’article 53 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. « Un moyen de nullité sérieux, car cette exigence s’applique à tous les délits de presse », reconnaît la procureure.
« La loi est là pour empêcher, les juges sont là pour sanctionner, mais les gens sont là pour surveiller »
La partie civile se défend de ce manquement et dit avoir fourni tous les éléments nécessaires. L’avocat Serge Tavitian poursuit en estimant que « l’audience étant publique, les propos qui y sont tenus, aussi. Le nombre de personnes importe peu. Ce qui importe, c’est l’intention. La justice n’est pas là pour laisser prospérer de tels propos. »
Le président de l’association Mémoire 2000 se lève et prend alors la parole pour défendre sa cause, fend le prétoire d’une voix cassée, toute rage contenue : « Une telle infamie commise par un avocat ne peut rester impunie. » Puis il se rassoit. À 73 ans, cet avocat, ancien vice-président de la Licra et président de Mémoire 2000 qu’il a fondée en 1992, mène son dernier combat contre le racisme et l’antisémitisme. Pourquoi ces poursuites ? « Le parquet n’en avait pas engagées, il a donc fallu agir. La loi est là pour empêcher, les juges sont là pour sanctionner, mais les gens sont là pour surveiller », déclame-t-il. Serge Tavitian poursuit :
« Disons-le : cette requête en récusation du juge Lévy est odieuse, c’est le raisonnement des juges de Vichy. C’est inadmissible au regard du principe de dignité humaine que nous portons. Nous avons tous été saisis d’un sentiment de colère lorsque nous avons pris connaissance de cette requête en récusation. C’est justement parce qu’on est avocat qu’on doit faire attention à ce que l’on dit. »
« Il faut avoir beaucoup de culot pour venir emmerder un avocat au cours d’une procédure juridictionnelle »
Le registre vichyssois, parfaitement soluble dans les plaidoiries de François Dangléhant, revient en point d’orgue dans la tirade du défenseur :
« De quel droit votre tribunal peut-il juger cet acte de Me Dubruel, qui n’est pas son discours, mais celui de la personne pour qui il intervient ? Sous Vichy aussi on s’accommodait pour chasser les avocats qui ne pensaient pas comme ceux aux manettes. Il faut avoir beaucoup de culot pour venir emmerder un avocat au cours d’une procédure juridictionnelle. C’est la même logique que le conseil de discipline : une organisation de procédure disciplinaire truquée, la mise en place d’une section spéciale pour abattre un homme. »
Il adopte une défense de rupture totale, tout en bouffissures conspirationnistes :
« On est presque dans une association de malfaiteurs. Deux acteurs : Albert Lévy et Alain Jakubowicz (président de la Licra) qui ont conduit à la radiation d’Alexis Dubruel. Ces gens ne recherchent pas la paix sociale, mais à mettre en place un système de pressions et de menaces, de mainmise sur l’exercice de la profession d’avocat. On s’organise comme on s’organisait dans les années 1940. Qui est le maître d’œuvre ? Les associations Mémoire 2000, le Crif, la Licra. Ce sont des gens qui cherchent de l’argent : quand on veut de l’argent, on travaille. »
Le 11 septembre 2014, le tribunal a jugé nulles les poursuites engagées, les propos litigieux n’ayant selon lui pas été tenus publiquement.
NB : Cette audience s’est déroulée le 24 juin 2014, Alexis Dubruel a depuis été définitivement radié du Barreau de Lyon (la décision du conseil de l’ordre a été confirmée par la cour d’appel).