Ryad comparait libre. Grande carcasse un peu molle collée à la barre, les mains croisées dans le dos, il écoute. « Le contrôleur judiciaire ne vous connaît pas, vous aviez des obligations à remplir et personne ne peut dire si elles l'ont été », bougonne le président. Ryad prétend être allé le voir une fois, mais s’est heurté à la malveillance de son père avec qui « c’est compliqué », et qui n’a pas voulu lui délivrer d’attestation d’hébergement. Le président maintient : « Aucune trace de vous dans le rapport, vous savez que ça suffit pour vous envoyer en prison dans cinq minutes ? » Ryad se tasse un peu.
Trois semaines auparavant une patrouille en vélo déboule sur une place marseillaise connue du trafic de drogue. Les guetteurs hurlent le cri d’alarme et tout le monde disparaît dans les appartements. Par la fenêtre d’un premier étage, un sac plastique vole, lesté de 162 barrettes de shit. « Ils se font ouvrir la porte par M. B., 52 ans, apparemment ivre », observe le président. Ryad et deux mineurs bullent sur le canapé et sont embarqués.
« Je suis payé pour éviter que des gens meurent sur la voie publique »
Ryad dément tout trafic, se justifie : « On était chez M. B. mais on n’est pas les seuls, il invite tout le monde, c’est une figure du quartier. » Ryad par moment dort chez lui. Il dort chez qui veut bien l’héberger. « Mais je n’ai pas vendu. - Vu vos antécédents, on a du mal à vous croire. On vous a vu vous précipiter dans l’appartement à l’arrivée des policiers », l’enfonce le président. Le procureur rebondit : « Comment vivez-vous ? – Je fais des marchés, 40 euros par semaine. – Et le t-shirt Hugo Boss, et les baskets Nike que vous portez ? – Ça ? C'est de la contrefaçon. » Le parquetier se gonfle, sourit et passe la main.
Mais c’est déjà à lui de requérir : « Vous avez très bien compris : M. B. c’est la nourrice, Ryad c’est le charbonneur. » Son bagout méridional et sa voix rocailleuse lui donnent un air théâtral. On s’attendrait à ce qu’il tortille, il lapide : « Je n’ai aucun argument en sa faveur et je suis payé pour éviter que des gens meurent sur la voie publique. » Mais le prévenu n’a pas le temps de vaciller, le procureur diffère son courroux : « Il faut prendre en compte la situation de ce jeune homme », admet-t-il.
« Aller en prison, c’est l’amener directement là où son frère a terminé »
Sa mère meurt accidentellement en 2008, son frère est fauché par la mitraille dans les quartiers Nord en 2010. Il s’exile chez sa tante dans le Nord et lorsqu’il revient à Marseille, son père a refait sa vie et le chasse de son logis. Ryad a 19 ans, il est SDF et ajoute le trafic à ses tribulations.
Il demande 18 mois sans mandat de dépôt, pour lui « laisser une dernière chance » que l’avocate de Ryad attrape au vol : « Vous ne le voyez pas mais mon client est un grand stressé. Il est dans l’angoisse. Aller en prison, c’est l’amener directement là où son frère a terminé. » Elle verrait bien un sursis mise à l’épreuve. Désemparé Ryad conclut : « Je vous le dis franchement, si je rentre en prison, je vais mourir. »
Le tribunal le condamne à un an ferme, sans mandat de dépôt – relaxé du chef de cession de stupéfiants. Mais Ryad a préféré fuir pendant le délibéré.