Mourad, tout juste la quarantaine, tire la gueule, mécontent de se retrouver dans le box des comparutions immédiates. Sa bouche est figée en une moue irritée, tandis que ses yeux cherchent d'un regard dur un magistrat à haïr. La présidente ne s'en soucie guère et, écœurée, détaille les violences que Mourad aurait fait subir à sa femme.
Ainsi les marques au torse, au biceps et au cou constatées par les policiers, avertis par un voisin, dès leur entrée dans l'appartement du couple. Les insultes aussi : « "Sale pute", c'est intéressant devant les enfants », note, acide, la présidente. Et puis la peur : « Elle explique que vous la terrorisez et la traumatisez. Au début, elle n'a pas voulu se faire examiner par un médecin ; elle avait peur que ça attise votre colère. » Face aux enquêteurs, avant de s'excuser à la toute fin de sa garde-à-vue, Mourad avait lâché : « C'est comme elle veut, si elle se tient à carreau, je veux bien rester, pour les enfants. » Aujourd'hui, dans le box, il écoute, plein de rancœur et de défiance.
« Pourtant, j'ai connu des filles, c'est pas la première, hein ! »
« La raison de la dernière dispute, explique la présidente, c'est qu'elle a parlé à une autre femme, une mère d'élève, et que vous ne vouliez pas.
– Cette femme-là, elle fume du shit dans la maison. Pendant que j'étais pas là, elle allait faire dormir mes enfants [en fait ceux de sa femme] chez cette droguée-là. Je lui demande : "Pourquoi tu veux pas te détacher d'elle ?" tente Mourad.
– Comment vous expliquez les blessures ?
– Elle a deux visages en fait. Moi-même, ça fait sept ans qu'on est ensemble, je la comprend toujours pas. Pourtant, j'ai connu des filles, c'est pas la première, hein !
– Comment vous expliquez les blessures ?
– Dès que je commence à parler, elle gueule "Waaaah" "Waaaah", imite-t-il avec une voix aiguë.
– Comment vous expliquez les blessures ? s'énerve maintenant la présidente en haussant la voix.
– Elle prend un couteau. Après elle prend une chaise, elle la jette, après elle veux sauter par la fenêtre. Je lui ai pris la main…
– Vous vous moquez du monde ?! C'est ça qui a causé une ecchymose de sept centimètres sur trois sur le bras ?
– J'vous jure, c'est comme ça que ça s'est passé. Déjà elle a deux garçons, elle a fait la même choses à leur père », veut continuer Mourad, mais une présidente excédée met sèchement fin à l'interrogatoire.
« C'est la prison qui m'a fait tout ça, c'est moi la victime »
On rappelle les différentes condamnations pour vol depuis 2009 – dont une sous un alias –, ses courts passages en prison – le plus long, six mois en 2014 –, l'absence de travail régulier – rien depuis un an, malgré une inscription en agence d'intérim. Seul point positif : « Aucune consommation de quoi que ce soit. C'est important, car le tribunal en voit souvent des violences en état d'ivresse. » « C'est la prison qui m'a fait tout ça, c'est moi la victime, réplique Mourad sans se démonter. Chaque fois, je veux remonter la pente, chaque fois, c'est la prison. C'est pas ma maison la prison. Ma femme en plus elle me soutient, elle m'apportait des mandats, tout ça. C'est pour ça que j'arrive pas à comprendre. »
La procureur commence ses réquisitions en répétant quelques remarques de Mourad sur sa femme. « Il est parfois très intéressant de laisser parler librement les prévenus », commente-t-elle. Discrètement, pendant qu'elle moque sa victimisation et s'émeut des violences, Mourad se prend la tête dans les mains. Recroquevillé, il se cache derrière le bord du box sans que personne ne s'en aperçoive. Au bout d'un moment, il essuie des larmes, relève la tête, et reprend son regard dur. Juste à temps pour entendre la procureur réclamer 18 mois dont six avec sursis, une mise à l'épreuve de deux ans avec interdiction d'entrer en contact avec la victime, le tout assorti d'un mandat de dépôt.
« Si elle arrête de sortir tard après minuit sans que je sache où, elle est libre »
L'avocate de la défense plaide avec difficulté, s'empêtre dans les déclarations de Mourad, cherche vainement à adoucir le portrait qu'en dresse le tribunal : « Il a précisé ce qu'il voulait dire par "se tenir à carreaux" : "Si elle arrête de sortir tard après minuit sans que je sache où, elle est libre de faire ce qu'elle veut." » Tant bien que mal, elle plaide la banale embrouille de couple : « Ils n'ont pas trouvé les meilleurs moyens pour régler ces tensions. Il a même proposé de voir un psychologue. » Sa femme veut le divorce ? « Il accepte de partir. Le mandat de dépôt n'est pas la solution, un sursis suffisamment encadré suffirait. »
À Mourad le dernier mot : « C'est une triple condamnation : je vais divorcer, je vais en prison et je vais pas me reconstruire. Tout ce que j'ai fait pour garder mon couple intact, j'ai pas réussi », ose-t-il.
Le tribunal suit les réquisitions de la procureur, 18 mois dont six avec sursis, avec mandat de dépôt, et rajoute une obligation de soin et de travail. « 12 mois ? Bien », fait Mourad d'un ton aigre.