Le prévenu manque deux fois de tomber à son entrée dans le box. « C’est dangereux ici », lance-t-il, tel un client mécontent. La présidente entame le résumé : « Il vous est reproché, d’avoir le 17 octobre dernier, fait usage d’une arme, contre le dénommé P. qui s’est constitué partie civile. »
Mohamed est tunisien, en situation irrégulière, à Paris depuis quatre mois. À son arrivée, disposant d’un pécule honorable, il décide d’investir dans un pistolet d’alarme qu’il se procure dans une armurerie de la gare de l’Est. La présidente poursuit :
« Alors que vous étiez ivre, ainsi que M. P., vous l’abordez en lui promettant de la cocaïne. M. P. vous suit et, une fois isolés dans une impasse, vous le braquez avec votre pistolet.
– C’était juste pour l’intimider, je voulais pas l’utiliser.
– Seulement votre victime reste impassible, trop ivre ou intrépide pour avoir peur, et là vous décidez de tirer.
– Je voulais pas madame, d’ailleurs j’ai pas tiré, c’est le pistolet qui a tiré tout seul.
– Ça revient au même, vous l’avez menacé et le coup est parti, l’intention est caractérisée par la menace.
– Si je peux me permettre, intervient l'avocat de Mohamed, l’intention est caractérisée par l’intention, et là, il n’y avait aucune intention.
– On a hâte de vous entendre plaider, maître », raille son confrère de la partie civile, qui représente son client absent à l’audience.
Ramassés par une patrouille qui remontait vers la place de la Bastille, les deux hommes livrent un récit décousu, à la limite de la cohérence. Les propos de Mohamed ne sont aujourd’hui pas moins obscurs, et le procureur débute son réquisitoire sur ces simples faits, les seuls qu’il considère comme établis. Cela lui suffit pour demander quatre mois de prison ferme. « Venir en France pour acheter une arme et agresser les gens… Vous êtes quelqu’un de violent, monsieur. »
C’est l’avis du tribunal : six mois ferme.
« J’ai des ennemis, j’ai fait l’amour à une femme »
Il est reproché à Jérémy P., 23 ans, la bagatelle de six délits. Le torse bombé dans un t-shirt V moulant, une veste noire sur les épaules, il porte beau mais ne parvient pas à articuler. Il prétexte la fatigue, tout le monde comprend la cocaïne.
Jérémy habite une caravane, où il élève sa fille avec sa compagne, vivant de marchés et des largesses de ses parents. Mais l’autre soir, dans le quartier des Champs-Élysées, le bon père de famille s’est mué en fêtard déchaîné.
Alors qu’il circule en voiture avec un ami, un véhicule de la BAC l’aborde pour le contrôler. Jérémy démarre en trombe et fonce sur l’avenue, grillant « 1, 2, 3, 4 feux rouges ! », avant de taper un trottoir et d’être intercepté par un autre véhicule. « Je n’avais pas vu que c’était la police », se défend-il. Totalement ivre et sous cocaïne, il refuse de se soumettre au contrôle, « car ils ne voulaient pas changer l’embout de l’alcootest ». Cette course éperdue sur l’avenue animée fâche la présidente :
« Vous vous rendez compte, une telle conduite, à cette heure et à cet endroit, c’est totalement irresponsable !
– Hein ?
– Et puis vous donnez une fausse identité, c’est qui Franck ?
– Hein ? C’est mon frère.
– Ça va pas d'impliquer son frère ! »
Jérémy tente alors une explication. « J’avais peur… J’ai cru reconnaître quelqu’un. J’ai des ennemis, j’ai fait l’amour à une femme », hasarde-t-il sans se décontenancer devant le tribunal dubitatif. Il répète chaque phrase en butant sur les mots : « Alors ce type, son mari, je l’ai vu dans la soirée, et en voiture j’ai cru que c’était lui qui m’accostait. J’ai eu peur pour ma vie madame. »
La procureure soigne sa diction, mais parle du nez. Un mouchoir à la main, elle requiert six mois ferme ainsi qu’un mois pour l’usurpation d’identité (Ce délit fait l’objet d’une peine séparée du reste). Dans le box, Jérémy a les yeux qui brillent un peu. « Hein ? », s'étrangle-t-il à demi-voix vers son avocat.
Six mois sans mandat de dépôt, dont quatre avec sursis mise à l’épreuve et annulation du permis.