« Regardez ! C’est Mamie ! C’est Mamie gâteau ! »

« Regardez ! C’est Mamie ! C’est Mamie gâteau ! »

Cet article a initialement été publié dans le magazine Soixante-quinze .


Alfred n’aurait jamais dû revenir chez Yvette. Tous deux se connaissaient à peine, Alfred la baladait dans son camion, et ça rendait Yvette toute guillerette. Comme ça un jour, dans la conversation, la dame a convié Alfred à venir papoter de La Réunion, dont il est originaire comme feu le mari d’Yvette.

Yvette a 84 ans, Alfred à peine 40, mais cette petite chemise de nuit, sans soutien-gorge, ça l’a émoustillé. Il aurait pourtant dû le savoir que la vieille dame était un peu « gaga ». Là où Alfred l’emmenait, il y avait inscrit au fronton « gériatrie » en lettres grasses, et sur sa fiche « problèmes de mémoire » — car Alfred est ambulancier. Mais, quand elle lui a pris la main pour la coller sur sa poitrine, Alfred est resté tétanisé. Il l’a ensuite allongée, l’a fougueusement pelotée a descendu sa main et introduit un doigt dans le vagin. Yvette affirme qu’il a ensuite sorti son sexe pour la pénétrer. « Mais c’était pas très franc, si vous voyez ce que je veux dire. Il n’a pas vraiment réussi, je pense que c’est un pauvre type », déclare Yvette aux policiers. Car, toute sénile qu’on la prétend, et si réels que soient ses problèmes de mémoire, Yvette a un parfait souvenir de la scène, a porté plainte pour viol, secouée par l’entreprise.

Alfred, en garde à vue a tout reconnu, rapport sexuel compris. Devant le juge d’instruction, il a répété une version semblable. Et puis, le voilà à l’audience, 10e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, tout seyant dans un costume bleu cintré, cravate rouge et mine soucieuse. Il murmure : « Je n’ai pas violé cette dame. » Le tribunal interloqué lui rappelle ses déclarations précises, circonstanciées et constantes pendant toute l’instruction, puis lui demande à nouveau ce qu’il pense de tout cela : c’est un non. La présidente retrace alors les faits : pourquoi a-t-il visité une patiente en dehors de ses heures de service ? La déontologie lui interdit, il convient de cela. Yvette l’aurait provoqué ? Il raconte : « Elle était assise sur le lit, elle m’a pris la main et l’a mise sur ses seins et je me suis enfui. » La présidente lève les yeux au plafond : « Si on vous écoute, c’est la p’tite dame qui d’un coup desserre un boulon et veut se taper son ambulancier. Quand bien même : un homme sain, qu’aurait-il fait ? Il l’aurait signalé ! »

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Les acteurs du procès, à la 10e chambre correctionnelle. (Illustration : Émilie Oprescu)

La présidente, Isabelle Pulver, ulcérée par l'intrépide prévenu qui contrarie une affaire qui s'annonçait rapide, entreprend la lecture de tous les procès verbaux. Elle hausse le ton à chacun d'eux, pour finir en hurlant : « Vous l'avez vue cette dame ! C'est notre mamie à tous ! Comment osez-vous rejeter des faits que vous avez avoués, sur une vieille dame diminuée ? » achève-t-elle sur un ton volcanique. Mais le contradictoire d'abord, le tribunal consent à écouter. Quelle diablerie aurait pu faire agir la vénérable Yvette comme le prévenu Alfred le prétend aujourd'hui ? On déniche dans son dossier quelques indices : sa psychomotricienne indique qu’Yvette est « désinhibée oralement et sur le plan corporel ». Son fils confie qu’elle est « pas mal dans la séduction », mais rien de tout cela n’est établi par un diagnostic.

Les vieilles personnes parfois virent satires dans leur très grand âge, mais qu’Yvette ait pu agir ainsi, la présidente ne l’accepte pas : « Regardez ! C’est Mamie ! C’est Mamie gâteau ! N’importe quel homme sensé ne serait pas resté 20 secondes », s’emporte-t-elle en agitant une photo d’Yvette. L’excuse du traquenard se fendille sous les hurlements de la magistrate fumante d’indignation. Quand bien même Yvette l’aurait aguiché, la sénilité empêche le consentement – l’acte est donc une agression. Et même si Yvette avait eu les idées claires, elle déclare sans ambages avoir été victime d’un viol – requalifié en agression sexuelle – donc pas consentante, et consciente de cette absence de consentement.

Personne ne croit le nouveau scénario d’Alfred. Son avocat rappelle que les médecins n’ont décelé aucune trace du viol, pas d’ADN, que celui-ci est donc incertain. Il décrit quelqu’un « d’introverti, qui va même s’excuser parce qu’il sent qu’il a commis quelque chose de moralement pas terrible ». Il rappelle qu’Alfred a fait cinq mois de détention provisoire. Il est condamné à trois ans d’emprisonnement, dont deux ans de sursis assortis d’une mise à l’épreuve, et à verser 5 000 euros à Yvette pour son préjudice. Alfred repart libre et mal à l’aise.

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