« Qu’on les renvoie au centre de rétention administrative et qu’on s’en débarrasse ! »

Tout est une affaire de famille chez les B. Même devant la justice.

« Vous êtes venus à Caluire pour acheter de la drogue ?

– Non, on a croisé les Arabes.

– Caluire est une commune très résidentielle, c’est bizarre d’aller se promener dans une telle zone à la nuit tombante. Vous connaissez Lyon ?

– Non madame, on ne connaît pas. On ne connaît même pas la langue.

– Ah oui, ça c’est certain ! »

Et puisque c’est certain, Aldo et Igli sont assistés par une interprète albanaise, tous les trois collés sur les vitres du box des prévenus. Ils ajoutent leur buée et leurs traces de doigts aux dizaines d’autres qui y fleurissent. Ils sont jugés pour usage de cocaïne et tentatives de vol avec effraction par ruse et/ou escalade dans un local d’habitation chez deux particuliers, le 19 novembre 2019, à Caluire, une commune jouxtant Lyon. Ils n’avaient pas revu le tribunal de Lyon depuis deux ans. C’est le deuxième passage d’Igli, le troisième pour Aldo, le plus jeune des deux frères. Quelques semaines plus tôt, ils vivaient chez leurs parents, à Tirana. Tous deux titulaires du baccalauréat albanais, ils ont effectué plusieurs petits boulots : serveur et employé chez un opérateur téléphonique pour l’un, bâtiment pour l’autre.

« On s’est retrouvés là par hasard. Ensuite, les Arabes voulaient nous voler notre argent »

C’est donc le 19 novembre que Madame P. a eu ce réflexe « étonnant » : « Elle rentre chez elle vers 18 h. Elle voit un individu et sort dehors pour le chercher. 88 ans hein ! » lance la présidente. Sur place très rapidement, la police cherche également. Et qui aperçoivent-ils au loin ? Oui ! Aldo et Igli. Essoufflés et transpirants, les deux hommes sont retrouvés près de la Voie verte, un chemin de randonnée. Par radio, les policiers apprennent au même moment qu’un second cambriolage a eu lieu dans le même quartier. Les deux frères font mine de ne pas voir la police. Peine perdue, les policiers procèdent au contrôle. Ils trouvent sur eux une lampe de poche, une paire de gants, un pochon de cocaïne et un burin de 30 cm de long.

« On est venus depuis la Part-Dieu pour se balader, explique Igli.

– Vous dites que vous aviez une barre de fer sur vous car vous avez eu une bagarre avec des “Arabes” pour une histoire de divergence sur le prix de la cocaïne. »

Pendant la bagarre avec les « Arabes », la barre est tombée et il l’a ramassée. La lampe ? C’était pour le « plaisir ». Les gants qui ressemblent un peu trop à des gants de jardinage ? C’est pour « avoir chaud ».

« On était là par hasard, depuis 10 ou 15 minutes. On prend le bus pour aller se promener, réplique Aldo.

– Pourquoi êtes-vous venus dans ce secteur ?

– On est descendu du bus, car j’avais l’impression que nous nous éloignions trop. Et on s’est retrouvés là par hasard. Ensuite, les Arabes voulaient nous voler notre argent. On n’a pas essayé de se soustraire à la police.

– Vous n’y êtes pour rien !

– On n’a rien à voir, juste ce qu’on a dit déjà.

– Et la bagarre ?

– Quand on est descendu du bus, on a croisé ce groupe d’Arabes. Quand j’ai sorti mon argent, ils ont sorti le burin pour nous menacer. »

« Ils étaient cinq ou six, madame ! »

Dans les appartements, un bazar a fait surface, mais rien n’a disparu. Des traces de peinture rouge sont retrouvées sur les menuiseries des portes. Chez monsieur B., la baie vitrée coulissante est sortie de ses gonds. Une commode a été poussée pour bloquer l’accès à l’appartement.

« Je sais que c’est illégal d’avoir cette barre de fer… Quand j’ai porté un coup de poing sur un Arabe, la barre est tombée.

– Quand vous descendez du bus, combien de temps après vous rencontrez les Arabes, comme vous dites ?

– Cinq ou dix minutes.

– Pourquoi vous étiez essoufflés ?

– La bagarre, le stress, la peur. Ils étaient cinq ou six madame ! »

Une juge assesseure – qui avait jusque-là gardé le silence – demande par la voix de la présidente :

« Vous aviez consommé de la cocaïne ?

– Oui, on s’est arrêtés dix minutes pour se poser.

– Ah ! Alors si vous aviez croisé les* “Arabes” avant, vous n’auriez pas été essoufflés quand vous avez croisé les policiers ? »

Le piège se referme aussi vite qu’il a été tendu.

Dans leur déposition, ils expliquent être venus à Lyon pour chercher du travail. Ils logent dans des hôtels, à Villeurbanne parfois. Ils ont déposé une demande d’asile en Allemagne par peur des menaces représailles dont ils sont victimes, prétendent-ils. En France, un préfet a émis à leur encontre une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

L’avocate de la partie civile prend la parole pour monsieur B., absent à l’audience. « Mon client ressent aujourd’hui une insécurité qui les obligent à vouloir installer une alarme dans leur appartement. Ils ont un reste à charge de 125 euros pour les réparations. Je demande à ce que ça fasse partie de la condamnation. » La procureure, elle, explique trouver les traces de peinture rouge « très intéressantes » et les déclarations « très peu cohérentes ». Elle requiert dix mois de prison ferme et mandat de dépôt pour Igli, et 18 mois de prison ferme avec mandat de dépôt également pour Aldo, interdiction de territoire pendant cinq ans pour les deux.

L’audience avance telle une comparution immédiate classique. Des vols, de la drogue, de la récidive légale, souvent de la violence. Quand soudain, c’est un avocat – de la défense – qui se présente devant le tribunal :

« Cette semaine, pendant une nuit, on m’a cassé la vitre de ma voiture. Il y avait toute sorte d’affaires dans ma voiture, et bien, je les ai toutes retrouvées ! Non mais je me suis demandé si ce n’était pas eux qui avait fait ça hein ! Trève de plaisanterie. Vous devriez veiller à ce que le parquet ait suffisamment d’éléments. Le fait qu’ils aient été retrouvés haletants ne suffit pas. Le fait qu’il y ait des éléments qu’ils ne connaissent pas sur Lyon ne suffit pas. Pour moi, il y a des règles de droit qui doivent être appliquées. Est-ce qu’ils ont commis les faits ? Peut-être et c’est fort possible que ce soit eux. Mais il y a ce "peut-être"*. Aucune empreinte digitale n’a été retrouvée. Aucun ADN n’a été cherché. Je défends des personnes détestables, qui ont commis des faits détestables, mais dans l’affaire, il y a ce principe qui doit être appliqué. Le doute doit leur bénéficier. Je le rappelle, les juges sont les gardiens des libertés individuelles. Je demande la relaxe. Il y a dans le dossier une OQTF qui avait été émise par le préfet. Et bien, qu’on les renvoie au centre de rétention administrative et qu’on s’en débarrasse ! Lui, bon, il sera peut-être condamné pour usage de cocaïne, mais les dix et 18 mois sont énormes. Ils n’ont rien touché, semble-t-il. Et moi, je dois attendre mardi pour retrouver mon véhicule ! »

Igli et Aldo Boja sont déclarés coupables et condamnés respectivement à dix et 18 mois de prison ferme avec mandat de dépôt et une interdiction de territoire pendant cinq ans. Tous deux sont condamnés à verser à la partie civile 125 euros de préjudice matériel, 500 euros de préjudice moral et 400 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale.

« Mais ! Vous nous incarcérez et vous nous demander de payer. On trouve où l’argent en prison ?!

– Dites-leur qu’ils peuvent travailler en prison. »


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