Ce matin, le corps de Bastien a été montré à la cour d’assises de Melun. Sous tous les aspects, les jurés ont pu examiner le petit corps mutilé par le tambour de la machine à laver dans laquelle son père est accusé de l’avoir enfermé. Quelques minutes après, la voix enfantine de Marie, la grande sœur de Bastien, est venue rompre un silence lourd. Le téléviseur s’allume et la fillette apparaît. Il est 22 h, ce 25 novembre 2011, et la petite confie sur les genoux d’une femme gendarme qu’elle a vu son père punir Bastien. Elle décrit la scène. La cour l’écoute raconter sa tentative pour parler à son frère qui « s’est endormi » dans le tambour.
Le prétoire est alors prêt à accueillir Christine Boubet, directrice adjointe aux solidarités au Conseil général de Seine-et-Marne, responsable des services sociaux du département. Elle est en seconde ligne dans le viseur des trois associations de protection de l’enfance qui occupent le banc des parties civiles. Le procès des services sociaux était annoncé, il débute en ce deuxième jour. La responsable se plante bien droit au pupitre et entame son propos par un exposé théorique de la mission de ses services, ses pouvoirs, ses limites, et enfin raconte le « dossier » Champenois-Cotte.
« Information préoccupante »
Le 15 décembre 2009, un appel anonyme alerte les services sociaux. La petite Marie, tout juste 3 ans, a été aperçue posée sur le rebord de la fenêtre, tandis que Bastien souvent erre dans les couloirs de l’immeuble. Dans le jargon administratif, c’est une « information préoccupante ». La procédure est enclenchée et le couple est convoqué le 28 décembre pour un rendez-vous que Charlène Cotte honore seule. Mais quelques jours plus tard, le 4 janvier 2010, la mère de Charlène amène les enfants aux services. Sa fille les lui aurait déposés devant sa porte en déclarant : « Si vous voulez les placer, je m’en fous. » « Marie est négligée, maigre, peu entretenue », témoigne Mme Boubet. Bastien – âgé de 18 mois – est alors placé chez sa tante maternelle. La petite fille reste avec sa mère.
Le 18 février, une nouvelle « information préoccupante » interpelle les services. Elle émane cette fois-ci de l’école de Marie : la petite fille est sale et visiblement mal nourrie. Sa mère, en formation professionnelle, oublie souvent d’aller la chercher après l’école. Les services sociaux transmettent les informations au parquet, qui estime que la situation ne mérite pas d’enclencher une procédure judiciaire. Alors le processus d’aide, notamment la recherche d’un logement social adapté à la famille, se poursuit. « Mais toute cette action est proposée, pas imposée », précise la directrice. La famille est décrite comme « collaborante ».
« Vous êtes venue nous dire que ce n’est pas votre faute ? »
À la demande de la présidente, Christine Boubet évoque les violences signalées. C'est arrivé deux fois. « Charlène d’abord avait un hématome, puis Marie, mais jamais Bastien. » « Elles s’étaient cognées », prétendait la mère. Le médecin qui a examiné les enfants n’a rien vu. Bastien l’a vu 23 fois. « Objectivement, il n’y avait pas de marque. Les alertes ont donné lieu aux actions qui étaient adaptées », tranche-t-elle.
Mais Me Yves Crespin, pour l’association L’Enfant bleu – partie civile au procès – interroge et accuse : « Qu’est-ce qu’il faut aux services sociaux pour considérer qu’un enfant est en danger ? » Mme Boubet rétorque cadre légal – « Nous ne pouvons pas agir sans décision de justice. » – et l’avocat s’empresse d’attaquer : « Avez-vous les moyens pour remplir votre mission ? » La directrice hésite, semble réfléchir, concède : « Il y a des choses qui peuvent être modifiées. » Mais déplore : « Nous traitons 5 000 cas, il y a une incapacité à agir à une telle échelle. »
Le Département, partie civile au procès, s’estime en quelque sorte victime par ricochet : « Quand la responsabilité de la protection est portée au débat, le département est atteint, victime. » Me Gérard Zbili, avocat de Charlène Cotte, sursaute :
« Vous êtes venue nous dire que ce n’est pas votre faute ?
– Nous ne sommes pas responsables de l’acte, nous ne sommes pas auteur de cet acte. Le Département est victime de la mauvaise situation. »
« Bastien ? C’était un p’tite boule de joie »
Le procès des services sociaux se poursuit côté Cotte. La mère de Charlène dépeint un Christophe Champenois terrible et une fille totalement sous son emprise. Elle accuse le Département de ne pas avoir fait son boulot. Lorsqu’elle décrit Bastien, elle évoque modestement un enfant qui « riait quand il fallait, pleurait quand il fallait ». Entre alors un jeune homme blond à dread locks, un peu énervé, très ému : « Bastien ? C’était un p’tite boule de joie. Un peu turbulent, mais à 3 ans, qui ne l’est pas ? » C’est Jérémie, 26 ans, le frère de Charlène. Il souhaite une mort atroce à Christophe Champenois. Il est très virulent : « Faudrait qu’ils comprennent (les accusés, ndlr), qu’ici c’est une cour d’assises et qu’ils sont là pour le meurtre de leur enfant. » Mais il n’oublie pas les services sociaux : « J’ai la plus grande haine au monde envers toutes les personnes à qui on a signalé le danger et qui nous ont répondu "C’est des bons parents." » Christine Boubet, assise au premier rang, prend des notes.