Il était tard, hier soir, et les débats étaient enfin clos, quand l’avocat général a eu une requête. Il a demandé à ce que la machine à laver dans laquelle Bastien, 3 ans, a péri, soit montrée aux jurés. L’huissier a extrait l’appareil du gros bocal planté au milieu du prétoire, où stagnent les scellés. Il l’a déballé, posé sur un diable grinçant qu’il a exposé aux regards du jury. La machine est défoncée, un trou béant sur le côté, le capot branlant, l’ouverture minuscule du tambour où l’enfant a été précipité par son père.
C’était comme un préambule muet pour un réquisitoire terrible. Aujourd’hui, l’avocat général a eu quelques mots pour maintenir le niveau d’effroi. L’atrocité des faits : « J'ai beaucoup d'expérience, beaucoup d'assises derrière moi : je n'avais jamais vu un tel niveau d'horreur. » La relation minutieuse de la mort de l’enfant : « L'enfermement dans un espace extrêmement restreint. Comme il a du mal à rentrer, son père a dû appuyer sur sa tête. Le noir, les secousses, les accélérations et les décélérations. L'horreur totale. Il a eu le temps de supplier pendant de longues minutes. » Pour Christophe Champenois, il requiert la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 30 ans.
« Envoyer Charlène Cotte sur l’échafaud (!) »
Le magistrat a plus longuement discuté le cas de Charlène Cotte. Il a rappelé aux jurés qu’ils devaient faire du droit, et non de la morale. La sienne, en toute confidence lui aurait commandé « d’envoyer Charlène Cotte sur l’échafaud ». Mais ce n’est pas la loi. D’ailleurs, celle-ci ne prévoit pas « de permis pour devenir mère, sinon Charlène Cotte n’aurait plus de points », résume-t-il dans un pimpant aphorisme.
Juridiquement, le cas pose problème. La complicité de ce meurtre peut lui valoir une peine de prison perpétuelle, tandis que le délit de non empêchement d’un crime n’est passible que de cinq ans. Mais ce délit a été écarté et ne peut plus être choisi, au regret du parquet, qui l’avait requis au moment de l’instruction. Alors, en toute cohérence, il requiert l’acquittement du chef de complicité. « La petite Marie n’avait pas la possibilité d’intervenir pour empêcher le crime », la distraction par le puzzle importe peu. Il demande cinq ans de prison pour les violences volontaires commises sur Bastien, dans le cadre de la maltraitance que le petit garçon subissait avant sa mort, et pour lesquelles les parents sont également poursuivis. Mes Zaoui et Zbili, pour Charlène Cotte, reprendront efficacement ce raisonnement en soulignant la terreur que lui inspirait Champenois, la femme battue qu’elle était et l’impuissance qui la tenait.
« Charlène va garantir l'accomplissement de cet acte meurtrier en distrayant Marie »
Les avocats des parties civiles, la veille, avaient poursuivi leur œuvre de ces trois jours d’audience. Charlène Cotte est complice, sans elle le meurtre aurait pu être évité – sans elle, le meurtre n’aurait peut-être pas eu lieu ? Me Crespin, d’abord, pour L’Enfant bleu : « Charlène et Christophe ont été unis dans le même comportement mortifère. » Me Costantino, pour Enfance et Partage : « Il a mis l'enfant dans la machine, a appuyé sur le bouton essorage. Et elle, pendant un temps très long, elle va garantir l'accomplissement de cet acte meurtrier en distrayant Marie. » Il a décrit un couple uni dans l’amour, uni dans la mort, et invité les jurés à prendre leur décision « comme on jette une dernière fleur sur un cercueil ». Charlène Cotte a dénoncé à Christophe Champenois, sachant sa réaction, une bêtise imaginaire de Bastien. Elle a détourné l’attention de Marie, en faisant un puzzle. Elle s’est abstenue de lutter – elle prétend le contraire – contre son compagnon lorsqu’il s’est emparé du petit et l’a enfoncé dans le tambour. Elle n’a pas tenté d’arrêter le lave-linge, quand Champenois était occupé à surfer sur internet. Elle ne s’est pas « battue comme une tigresse ». Elle n’est pas allée chercher les secours, alors que devant la porte, lorsqu’elle renvoie la petite voisine chez elle, elle en avait l’occasion. Elle a menti aux gendarmes, servant la version que Champenois avait échafaudée.
« Quand on regarde un homme comme un salaud, on regarde un salaud, pas un homme »
Champenois. Il dit ces mots en tremblant, « les murs étaient glacials, ce procès a été très, très dur. » Pour lui, tout paraît si lent, si lourd. Il semble épuisé. Son défenseur, Me Ramadier, a le trac : « Je n’ai jamais eu à me battre contre tant de réquisitoires. J’ai peur d’être le prétexte à la chronique d’une lourde condamnation annoncée. » Il a quelques mots désagréables pour l’avocat général et pour Charlène Cotte – « Vous avez allumé la mèche, dégoupillé la grenade Champenois ! » – puis il parle de son client, fait le dernier portrait de cet homme, tente de fixer dans les esprits la conscience d’un être qui a vécu. « Vous savez, dit-il aux jurés, quand on regarde un homme comme un salaud, on regarde un salaud, pas un homme. » Cet homme qui, dit-il, « continuera à s’écrouler dans les couloirs de Fleury-Merogis ».
Christophe Champenois a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle, assortis de 20 ans de peine de sûreté, pour le meurtre de son fils Bastien. Charlène Cotte, reconnue complice, a écopé de 12 ans.