« Quand les dames tapent, c’est assez hard »

« Quand les dames tapent, c’est assez hard »

S’il y a un endroit pour envoyer valdinguer nos certitudes, c’est bien les tribunaux. Dans une affaire de violences conjugales par exemple, on imagine que c’est « monsieur contre madame ». Et on repense à la formule tristement consacrée : « En France, une femme meurt tous les trois jours de violences conjugales. » On sait moins qu'un homme meurt dans les mêmes circonstances tous les 14,5 jours.

Quand le rôle du tribunal correctionnel de Rennes indique « madame contre monsieur », on s’attend à voir une femme costaude. C’est peut-être idiot, mais c’est ce qu’on se dit à ce moment-là. Alors quand Gwénaëlle, 51 ans, aussi frêle qu’élégante, s’approche en claudiquant vers la barre, la faute à une sclérose en plaques, on se répète qu’il ne faut « jamais préjuger de rien, jamais préjuger de rien ».

Gwénaëlle, assise, devant le tribunal correctionnel de Rennes. A sa droite, son mari. (Illustration : Pierre Budet)

Gwénaëlle, assise, devant le tribunal correctionnel de Rennes. A sa droite, son mari. (Illustration : Pierre Budet)

Elle s’assied sur une chaise et ne décroisera pas ses fines jambes de l’audience. A sa droite, à environ un mètre d’elle, Lucien (prénom d'emprunt), son mari, s’installe sur le banc des victimes. Ils ne se sont pas revus depuis le 17 juin dernier. Le soir où Gwénaëlle lui a flanqué trois coups de marteau sur la tête, lui laissant des entailles en forme de « L » en haut du crâne. On ne les voit pas parce que Lucien a les cheveux longs. De belles boucles grisonnantes auxquelles il tient. De belles boucles grisonnantes que Gwénaëlle tirait souvent jusqu’à les arracher.

Ces deux-là se sont rencontrés par l’intermédiaire d’une petite annonce publiée dans Femme Actuelle. Un des seuls moyens pour Gwénaëlle de refaire sa vie, puisqu’à l’époque elle était incarcérée à Vannes. En 2003, elle a été condamnée par la cour d’assises du Morbihan à 18 années de réclusion criminelle pour avoir tué son fils de trois ans. Un an après, elle se marie avec Lucien. Puis il y a une « coupure » dans leur relation « entre 2010 et 2014 », situe-t-elle. Lucien l’accueillera quand même chez lui à Rennes, à sa sortie fin octobre 2014.

« Elle cherchait à m’attraper les yeux et les testicules »

Avant ça, ils n’ont jamais vraiment vécu ensemble, sauf « lors d’une permission de cinq jours, dans un espèce de foyer », précise Gwénaëlle. « Vous saviez dès le départ les raisons pour lesquelles elle était détenue ? », demande le président à Lucien. « Oui », répond-il. « Au début, j’ai vécu des moments de bonheur », se remémore sa femme en pleurant. Puis il y a eu « les crises ».

Comme en novembre 2015. C’est Lucien qui raconte lors d'une audition : « On avait sifflé deux bouteilles de vin. Elle attendait un appel qui n’arrivait pas. Elle s’est énervée et a cassé son portable. Puis, j’ai remarqué qu’elle avait déchiré ma carte d’identité et caché mes badges pour le boulot. Elle comprenait pas que je finisse jamais à la même heure. Elle était jalouse et possessive. On s’est battu. Elle cherchait à m’attraper les yeux et les testicules. Je lui ai donné des coups sur les pieds pour qu’elle me lâche. Elle m’a tellement griffé qu’on m’a demandé au travail si je ne m’étais pas battu avec un chat. Il est possible que je l’aie un peu abîmée. »

Gwénaëlle : « Je lui ai demandé s’il allait m’abandonner parce qu’il m’a dit qu’il ne m’abandonnerait jamais. » (Illustration : Pierre Budet)

Gwénaëlle : « Je lui ai demandé s’il allait m’abandonner parce qu’il m’a dit qu’il ne m’abandonnerait jamais. » (Illustration : Pierre Budet)

« Il n’y a plus rien à sauver. – Si, ma vie »

Lucien a fini par lui casser la main pour se protéger. Le lendemain, les gendarmes et SOS Médecins embarquent Gwénaëlle pour l’hospitaliser. Ce n’était pas sa première « crise ». Il y a cette scène, toujours racontée avec les mots de Lucien, lus par le président. « Elle s’était scarifiée les mains et les cuisses, coupée les cheveux, avait mis à sac l’appartement. » Et celle au cours de laquelle elle avait « déchiré leurs photos et sa robe de mariée ». Puis il y a cette dernière phrase, quand le père de Lucien lui dit qu'il n’y « a plus rien à sauver dans leur couple. – Si, ma vie », a répondu le fils.

Le 17 juin 2016, Lucien comprend vite que ça va dégénérer. Il rentre du boulot, Gwénaëlle recommence à le tanner pour savoir « où il était ». Il ne répond pas, ce qui énerve sa femme. « Je lui ai demandé s’il allait m’abandonner parce qu’il m’a dit qu’il ne m’abandonnerait jamais », explique Gwénaëlle, d’une voix enfantine. Lucien commence à ramasser tous les couteaux de la maison pour les planquer. « J’en ai pris un en cas de légitime défense », raconte la quinquagénaire au président, éberlué.

« Déjà on voit que monsieur s’inquiétait », commente le juge. Effectivement, monsieur décide de passer la nuit à l’hôtel. Il s’habille en vitesse dans la chambre. Les volets sont clos, il ne voit pas Gwénaëlle arriver avec un marteau de tapissier. Celui rangé dans le bureau du séjour, avec lequel elle l’a déjà menacé quelques jours avant. Elle frappe « comme ça parce qu’il fait sombre ». En plein sur le crâne. On repense aux mots du procureur, un peu avant l’audience : « Ce que je remarque, c’est que quand les dames tapent, c’est assez hard. »

« Y’a des scènes de crime avec moins de sang »

Lucien la retient avec ses mains, comme il peut, mais n’évite pas les coups qui font gicler son sang partout sur les draps. « Y’a des scènes de crime qui sont moins maculées de sang, constate le président. – Mais j’ai eu mal quand même, réplique Gwénaëlle. – Je pense que lui aussi, madame, tonne le magistrat. – Mais moi je saignais de la bouche… Je sais que c’est peu par rapport… », continue-t-elle d’une voix fluette.

Le juge la stoppe : « Vous refusez qu’il parte, qu’il fasse des heures supp’… Vous avez aussi évoqué votre crainte de l’abandon. Qu’est-ce que ça évoque pour vous ?

Parce qu’on m’a éjectée plus ou moins de la famille.

Mais là vous y êtes, réplique le magistrat, bienveillant. Il est venu en détention, vous accueille à son domicile à votre sortie, ne signale pas les premiers faits parce qu’il sait quelles conséquences ça aurait pour vous qui avez été condamnée à 18 ans de réclusion criminelle… Il vous a attendu longtemps !

– J’ai voulu faire la peine jusqu’à la fin pour montrer à ma fille que je paierai jusqu’au bout. Aujourd’hui, j’accepte la demande de divorce.

Même si vous n’acceptiez pas, je crois qu’il y a là de quoi entraîner un divorce pour faute de façon incontestable.

Oui, mais je l’accepte, assure Gwénaëlle, comme butée.

« Si j’étais mort, je m’en foutrais »

Lucien se lève, n’hésite pas à s’approcher de la barre pour raconter sa vision des violences : « Je crois que c’est ce qu’elle recherchait. J’ai eu la conviction durant ces presque deux ans de vie commune qu’elle se comportait de la même façon que ce monsieur, son ex-conjoint très branché sadomasochisme, qui n’avait aucun scrupule à l’envoyer à l’hôpital.

Est-ce que vous avez eu peur de mourir ? questionne le procureur.

Oui, répond Lucien en hochant la tête, debout, les bras croisés. Plusieurs fois. » Il se rassied, puis se redresse vite, pour ajouter et « même pire. J’avais peur d’être défiguré ou de perdre un œil. Parce que si j’étais mort, je m’en foutrais. »

Son avocate revient sur la soirée du 17 juin, où Lucien finit par échapper à Gwénaëlle, en se traînant, un chausson au pied, le visage tuméfié et couvert de sang, jusqu’à la station de métro la plus proche. Après son hospitalisation, il logera au camping jusqu’au 11 juillet. Date à laquelle Gwénaëlle consent à être internée à Guillaume-Régnier, un hôpital spécialisé en psychiatrie à Rennes. Elle ne reçoit aucune visite, mais le père de son mari l’appelle tous les jours.

Le procureur entame ses réquisitions avec un mot adressé à ce « pauvre monsieur », à qui il voulait dire qu’il « avait eu un comportement socialement exemplaire, en se mariant avec quelqu’un enfermé dix ans. Et il n’est pas payé de retour… un tableau fracassé sur la tête… puis des coups de marteau… C’est hallucinant, insensé ! » Le magistrat requiert 18 mois de prison, dont neuf mois de sursis avec mise à l’épreuve. Avec une obligation de soins et une interdiction d’entrer en contact avec la victime.

François Lavallière, le président. (Illustration : Pierre Budet)

François Lavallière, le président. (Illustration : Pierre Budet)

L’avocate de la défense met en cause l’état mental de sa cliente : « Elle donne des réponses qui vont presque contre sa propre défense ! » Raison pour laquelle elle avait demandé une nouvelle expertise au début de l’audience. Le président a refusé puisque Gwénaëlle « n’est pas hospitalisée sous contrainte et a déclaré ne pas avoir de pathologie psychiatrique ». L’avocate plaide pour une peine intégralement couverte par le sursis avec mise à l’épreuve.

Le tribunal a condamné Gwénaëlle à 36 mois de prison, dont 18 mois de sursis avec mise à l’épreuve. Elle devra se soigner, ne plus contacter Lucien, régler sa facture d’hôpital et lui verser 3 000 euros pour les souffrances endurées. Le président lui explique que c’est son « état de santé particulier » qui fait qu’elle ne part pas en prison ce soir. Mais il insiste : « La seule question qui se pose désormais, c’est la date de votre incarcération. Je ne vois pas comment je pouvais aller en deçà. En ne prononçant pas de mandat de dépôt, vous avez la possibilité de préparer au mieux vos soins pour la détention. »

Gwénaëlle sanglote, pince la manche de son trench, un peu embêtée : « Et ce soir ? Je vais en prison ? »

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