« Vous ne jugez pas ici un meurtre. » Dès le début de son réquisitoire, l'avocate générale Anne Haller donne le ton et rejette les conclusions des parties civiles. Pour elle, l'affaire Saïd Bourarach se résume ainsi : « C'est l'histoire d'un homme qui court pour échapper à ses agresseurs. » Elle retrace longuement ces dix minutes pendant lesquelles tout a basculé ce soir de mars 2010 : Dan L. énervé de ne pas avoir pu entrer dans le magasin qui fermait, son frère et deux amis qui le rejoignent à 19 h 9, deux altercations, la poursuite le long des quais, la noyade de Saïd Bourarach, le départ des quatre accusés vers 19 h 20. « S'il a sauté dans le canal, c'est parce qu'il avait peur, parce qu'il voulait vivre. »
« Ils étaient quatre, armés d'une manivelle de cric, d'une pierre et peut-être d'une matraque télescopique. » L'avocate générale relit les témoignages, ceux qui parlent de passage à tabac, dépeint « une sorte d'expédition punitive ». Pas de doute, les coups des accusés sont directement responsables de la mort de la victime : « La scène de crime, c'est le corps de Saïd Bourarach. » Pour Dan L., le principal accusé, que « tous, même ses proches, ont décrit comme nerveux, impulsif », elle demande 12 ans, sur un maximum de 20. Pour les trois autres accusés, entre cinq et six ans.
« Pas un grand violent, plutôt un petit con »
Sur son banc, Dan L., en chemise blanche et bien rasé, attend, nerveux et un peu livide. Les conseils de la partie civile et le ministère public n'avaient pas de mots assez durs pour le décrire. Sa première avocate se démène pour assouplir ce portrait : « Ce n'est pas un meurtrier, et surtout pas un barbare. » Dan ? « Celui qui a le plus manqué de cadre », « un vilain petit canard », « pas un grand violent, plutôt un petit con, une grande gueule ». Certes, il a un casier (menace, conduite sous stupéfiant, recel, violences, escroquerie), mais « c'est celui d'un gamin qui s'emmerde dans son quartier ».
« Son crime n'est pas d'avoir tué Saïd Bourarach, mais d'avoir porté un coup de poing. C'est l'histoire d'un engrenage mortel. La banalité n'enlève pas le drame », tente-t-elle. Son confrère, Paul Le Fèvre, s'accroche à cette thèse. Saïd Bourarach n'est pas mort sous les coups, mais noyé. « Ce n'est pas comme l'affaire Malik Oussekine. Ça c'était des violences mortelles ! » lance-t-il. Dans la salle, un murmure : « C'est qui ? »
« La banalité n'enlève pas le drame »
Aux forceps, maître Le Fèvre tente d'arracher un semblant de doute aux jurés. Saïd Bourarach est-il mort d'un choc émotif causé par les violences ou d'un choc thermique ? Une subtilité du droit peut-être passionnante pour des légistes, mais insupportable, inaudible pour les proches de la victime. Les violences ? Dan L. les reconnaît. La manivelle de cric ? Il l'avait bien en main. Mais « personne n'a jamais dit qu'il avait voulu la mort de Saïd Bourarach. » Dans une longue plaidoirie, l'avocat cherche dans tous les détails le doute. Mais qui prouve trop ne prouve rien.
Le lendemain matin, pour les dernières déclarations avant que le tribunal ne se retire pour délibérer, Dan L. ne vient pas. C'est le deuxième accusé a tailler la route. Durant le procès, la femme de la victime s'était plainte de la légèreté du contrôle judiciaire.
« Fantasme de l'affrontement communautaire »
Mais il manque quelque chose à cette histoire. Le racisme. Celui prétendu de la victime, accusée par Dan L., et celui supposé des accusés, du fait d'hypothétiques proximités avec la Ligue de défense juive. Rien de bien sûr, les témoignages restent flous. Un autre racisme apparaît clairement durant le procès. Lorsque l'avocate d'un des accusés assure que celui-ci est juif, pas « un fasciste israélien monté sur un char d'assaut qui tue des enfants », on grogne dans la salle : « C'est tous des enculés ! »
Mais rien n'a prouvé le moindre racisme dans cette affaire. L'avocate générale a intégralement rejeté cette lecture du dossier, s'attaquant au « fantasme de l'affrontement communautaire » et aux « instrumentalisations pleines de raccourcis ». Saïd Bourarach n'est pas mort parce que musulman, pas parce maghrébin, pas parce que ses agresseurs sont juifs. Il est mort à cause d'un « petit con », selon les mots même de son avocate.
Enfermés dans une salle, neuf femmes et hommes, dont trois juges, ont décidé. Dan L. : coupable. Responsable des violences et de la mort, il prend neuf ans. Un mandat d'arrêt est lancé. Les deux accusés présents sont condamnés à quatre et cinq ans. Le quatrième, absent pendant tout le procès, à six ans.