« Ils voulaient nous tuer. » Toujours traumatisés six ans après les faits, Carole et Romain en sont sûrs : l'homme qui a tiré sur leur fourgon de gendarmerie en voulait à leur vie. Cet homme, l'instruction le soupçonne d'être Iurgi Garitagoitia Salegui, un militant de l'organisation indépendantiste basque ETA.
8 juin 2009, à Sainte-Enimie, un petit village calme de Lozère. À la brigade, on s'entraîne au canoë-kayak en prévision de l'été : il va encore falloir secourir les touristes imprudents sur les gorges du Tarn. Et puis… un vol de voiture, une course-poursuite, un virage. Un des voleurs se penche par la fenêtre et tire deux coups de feu. Une balle de .38 Special traverse le pare-brise du fourgon et se loge dans la main de Romain.
Aujourd'hui, malgré deux opérations, le gendarme a encore du mal à conduire et doit désormais travailler dans un bureau. « Il aurait suffi de tirer dans le moteur pour nous arrêter », se désole-t-il.
« En tant que révolutionnaire, notre premier réflexe est de rester vivant et libre »
À 31 ans aujourd'hui, cheveux rasés, émacié, Iurgi a vieilli en prison. Une photo diffusée lors de son arrestation avec Asier Borrero Toribio et Itziar Plaza Fernandez (voir précédent article) le présentait le visage rond, poupon. Jusqu'ici, seuls des empreintes ADN et des témoignages le mettaient en cause dans la fusillade. Comme Asier avant lui, Iurgi se lève pour lire un communiqué écrit à trois : « Notre seule intention était de stopper le véhicule, en aucun cas de tuer des gendarmes. En tant que révolutionnaire, notre premier réflexe est de rester vivant et libre. » Le président Olivier Leurent se saisit de cette déclaration : « D'après ce texte, vous admettez avoir tiré sur les gendarmes. » Mais Iurgi refuse de s'expliquer davantage.
Pourtant, « les confrontations entre les militants d'ETA et les forces de l'ordre françaises sont plutôt fortuites », assure Laurent Hury, un grand gaillard chauve, la quarantaine finissante, commandant à la section « basque » de la sous-direction anti-terroriste (Sdat). Si ETA n'a jamais attaqué la France, elle s'en sert comme d'un sanctuaire pour préparer ses attentats en Espagne.
Les trois accusés formaient ainsi une cellule chargée des caches d'armes sur le territoire français. Ils notaient ainsi le contenu de chacune : « Ça fait un peu inventaire à la Prévert, lance le président*, mais "44 kg de nitrate et 12 détonateurs", ce n'est pas très poétique. »*
Les magistrat de la cour d'assises de Paris ne comprennent pas bien. Pourquoi cette violence ? En 2009, l'Espagne n'est-elle pas une démocratie ? À la barre, les témoins se relaient pour raconter le plus vieux conflit d'Europe : la lutte contre Franco, la démocratisation en demi-teinte, l'interdiction des organisations de la gauche indépendantiste basque… Le commandant Hury ne parle que des 829 morts causés par ETA. L'historien basque Iñaki Egaña parle de toutes les victimes du conflit : près de 1 300 morts, 39 000 blessés, 33 000 prisonniers pour 3 millions d'habitants.
Violences d'ETA contre violences d'État
Dans ce conflit, l'État espagnol n'a pas toujours joué franc-jeu, explique Iñaki Egaña : torture – plus de 5 000 cas dénombrés « pour l'instant » – mais aussi bombes et assassinats. « Les militants d'ETA sont en France depuis 1975 [mort de Franco], explicite-t-il. C'est à cette période que les attentats des groupes paramilitaires de l'État espagnol ont commencé. » Entre 1983 et 1986, les Groupes antiterroristes de libération (GAL) font 27 morts : « la plus violente et meurtrière campagne d'attentats en France depuis la guerre d'Algérie », comme le rappellent les accusés. « Le terrorisme d'État reste impuni », dénoncent-t-ils : en 1987, le gouvernement français accepte de coopérer avec l'Espagne dans sa lutte contre ETA.
Lors de la fusillade, Asier et Iurgi vivaient dans le souvenir de ces années-là : un mois avant, Jon Anza, un militant d'ETA réfugié en France, disparaît dans un train pour Toulouse. L'organisation s'inquiète. Les etarras ont peur. « L'hypothèse la plus plausible : un nouvel épisode de guerre sale », lance maître Rouget Aranibar. L'ancien directeur de publication du Journal du Pays basque Antton Etxeberri dépeint l'ambiance étrange de l'affaire Jon Anza : la découverte 11 mois plus tard du corps dans une morgue, la présence mystérieuse de gardes civils espagnols à Toulouse à cette période… Mais l'avocat général coupe court : la justice française a classé sans suite l'enquête.
Mais toute cette violence est loin. « Les paradigmes ont changé : ce n'est plus la lutte armée aujourd'hui », annonçait dès le début du procès les accusés. Car depuis cinq ans, ETA maintient un cessez-le-feu unilatéral, et appelle les gouvernements français et espagnol à la paix.
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