Jeudi 17 septembre 2015, le lieutenant Médéric B. et le légionnaire Adrian S. font face au président Philippe Roux devant la cour d'assises du Palais de Justice de Paris. Les deux hommes, qui comparaissent libres, se saluent avec courtoisie, échangent quelques mots avant de prendre place sur le banc des accusés. Ils devraient être quatre à comparaître, mais deux légionnaires sont en fuite.
On leur reproche d'avoir fait subir un véritable calvaire au légionnaire Matus Talas lors d'un exercice militaire à Djibouti, le 5 mai 2008. Trop tire-au-flanc au goût des accusés, ils le frappent à plusieurs reprises, le privent d'eau par 38 °C et l'obligent à rester en plein soleil pendant les pauses. Victime d'un malaise que S. interprète comme un « sketch », il décède d'une « hyperthermie maligne » - un coup de chaud - dans l'après-midi. Au premier jour du procès, la cour ne veut pas entendre parler des faits. Elle préfère se pencher sur l'étude minutieuse de leur personnalité.
Médéric B., veste dorée virant sur les gris, s'avance à la barre avec déférence. Visage fin, nez élancé, le Nantais de 32 ans évoque une enfance idéale. Ses parents lui inculquent « la politesse, le respect des horaires et la participation à la vie de la maison ». « C'est un enfant touchant, a livré sa mère durant une audition, il possède un leadership naturel, de par son charisme et sa gentillesse. »
Propos confirmés à la barre par Coralie, son amour de lycée : « C'est très agréable de parler de Médéric, il est aimé de tous, témoigne une femme élégante, aujourd'hui chirurgienne. Il adore aller vers les autres. » Pour elle, B. reste ce jeune garçon doué en sports qui, choisi en premier pour constituer une équipe de balle aux prisonniers, prenait avec lui des camarades moins bons pour équilibrer la partie. Randonnées en forêt, répétitions avec son groupe de rock, aventures avec les scouts d'Europe et virées entre amis égayent la vie studieuse de ce gamin normal.
« Je n'avais pas une allure de guerrier ! »
Passionné de littérature, il se dirige vers des études littéraires. Une khâgne, une hypokhâgne. Rien à cette époque ne destinait cet artiste, comme il se définit lui-même, à une vie de militaire. Le déclic se produit en fin d'hypokhâgne. « L'ambiance était studieuse, très intellectuelle. Je me suis rendu compte que ça ne m'allait pas, je sentais que je me desséchais. » Nostalgique de ses activités sportives, de sa liberté perdue, il se rend dans un centre de recrutement de la Légion, près de chez lui, sans trop savoir pourquoi. Vu son pedigree scolaire et son allure de brindille, le recruteur le toise. « Je n'avais pas une allure de guerrier ! » commente-t-il en souriant. On lui conseille alors de préparer le concours de Saint-Cyr, pour devenir officier.
Là-bas, il trouve « cet équilibre qui lui manquait », découvre un monde différent. Les fils d'officiers se gaussent à la vue de B., plongé dans ses livres de Kant ou Hegel. Mais il est vite adopté. « Malgré les années passées, je me souviens bien de ce garçon tant il était à sa place, témoigne son instructeur de l'époque. Il ne supportait pas la médiocrité et aurait pu devenir un officier brillant de l'armée française. – L'auriez-vous pris sous vos ordres ? l'interroge le président – Avec joie. Et je lui aurais fait confiance », répond-t-il sans la moindre hésitation. Après trois ans à Saint-Cyr et une année d'école d'application, B. devient officier. Bien classé, il débute dans l'infanterie pour rejoindre quelques temps plus tard le 2e régiment étranger parachutiste (REP), mondialement respecté. Une ascension détruite par la mort du légionnaire Talas.
Après un passage de trois mois en détention provisoire, B. se reconvertit dans l’événementiel. Très croyant depuis Saint-Cyr, il s'investit dans la vie d'une paroisse du 3e arrondissement, aide les sans-abris en leur fournissant un repas. « Médéric avait beaucoup d'aisance, se souvient une paroissienne. On aurait dit qu'il avait fait ça toute sa vie. » Aujourd'hui installé à Toulon, il poursuit ses activités caritatives. « Sa vie à Toulon est dans la continuité de ce qu'il a fait à Paris », conclut la paroissienne.
« J'étais payé pour voyager ! »
Beaucoup plus taiseux que B., le chef d'équipe S., silhouette longiligne de 31 ans, raconte une vie moins rose que celle de son comparse, mais pas malheureuse pour autant. « J'ai vécu dans une famille normale », explique-t-il avec son fort accent d'Europe de l'est. Dès qu'une question le gêne, sa réponse se termine par un rire étouffé, timide. Comme lorsque le président Roux évoque le divorce de ses parents lorsqu'il était adolescent, ou sa mauvaise scolarité. Il lui rétorque : « J'ai eu mon bac quand même ! » La Roumanie de l'époque, morose selon l'accusé, ne peut lui offrir qu'une vie médiocre. Il rêve de s’échapper. Pourquoi pas l'armée comme ticket pour une vie meilleure. À la barre, le petit frère de S. décrit un gosse fasciné par les héros de films de guerre. Lui aussi passé par la Légion, il prend son frère, « le plus gentil de la famille », pour modèle.
S. découvre la Légion étrangère sur internet. Il s'y engage dès 2005. La vie militaire lui plaît : « Il y avait beaucoup d'opérations extérieures, lâche-t-il comme argument massue. J'étais payé pour voyager ! » Comme B., S. débute dans l'infanterie, avant de rejoindre le 2e REP, où il y fait « une petite carrière », comme le souligne le président. Parti du bas de l'échelle, S. a fini chef d'équipe. « Et le code d'honneur de la légion ? lui demande l'avocate générale. Ça vous convenait de l'appliquer au quotidien ? – Oui enfin y'a le code d'honneur et y'a la vie de tous les jours où on ne le respecte pas à 100 %. C'est un peu comme la loi. » Une « loi » qui le rattrape aujourd'hui. Depuis les faits, il mène une vie tranquille dans le Sud de la France, auprès de sa compagne Albane et de ses deux enfants. Élagueur, il passe son temps libre dans un club d'aviron.
Jusqu'au 25 septembre, la cour va tenter de comprendre le déroulement des dernières heures de vie du légionnaire Matus Talas, jeune Slovaque de 25 ans.