Leurs bras sont entortillés, leurs doigts s’entremêlent. Lui a la carrure du rugbyman qu’il était plus jeune ; elle est plus petite, plus frêle, plus solide aussi. « Le tribunal a tenu compte de la gravité des faits », prévient le président avant que ne tombent les peines : tous deux ont compris que le tribunal correctionnel de Périgueux n’avait pas fait preuve de clémence.
L’histoire de Cédric et Virginie est celle, banale et tragique, d’un couple de tox qui s’en tirent et replongent. Ils ont été arrêtés la veille au matin dans leur petit village de Dordogne pour trafic de shit et d’héro et, depuis, sont en sevrage forcé en cellule de gardav’. En entrant dans la salle d’audience, où il ne fait pas particulièrement froid, ils sont restés engoncés dans leurs blousons et se sont serrés l’un contre l’autre dans le box. Elle a un joli minois, le sourire aimable, mais les traits émaciés et des valises sombres sous les yeux ; lui cache les ravages de la poudre blanche dans les rondeurs de son visage, mais ses yeux sont comme éteints, ses gestes patauds.
Quand ils se sont connus, il y a quatre, cinq ans, ils traînaient déjà tous les deux un passé avec l’héroïne et, de manière conséquente, avec la justice. Ils se sont installés dans ce village de 450 âmes, expliquera Virginie à ses juges, pour fuir leurs connaissances liées à leurs vieux démons. Pas assez, cependant, pour éviter de « recroiser des connaissances, des loulous ».
« Un alcoolique, s’il voit la bouteille il va la boire »
Et vient cette « petite pichenette », selon les mots de l’avocate de Cédric. Un tox de leur connaissance lui demande de lui trouver de l’héro moins chère. Tentation. Acceptation. Cédric replonge. « Un alcoolique, s’il voit la bouteille il va la boire. Eh bien pour l’héroïne, c’est pareil », lâche-t-il à ses juges de sa voix pâteuse. Pour financer sa conso, il continue de dealer. De un, les clients passent facilement à cinq, six : il a déjà un réseau. Sa compagne aussi finit par rechuter. « Ils ont les mêmes difficultés, note l’avocat de Virginie. Au lieu de s’aider, ils s’enferrent dans une spirale infernale. » Juste avant leur arrestation, Cédric tourne à 2, 3 grammes d’héroïne quotidien ; Virginie à 1 gramme « de manière aléatoire ».
La maréchaussée surveillait leur maison à leur insu depuis près d’un an, après avoir été avisée par un consommateur du business qui s’y tramait. Les gendarmes ont mis au jour un trafic organisé, où les clients appelaient sur le téléphone fixe et venaient « prendre le café », avant de passer régler leur transaction.
« Vous n’aviez rien remarqué ? » demande le président du tribunal, surpris. Virginie secoue la tête : « Non ». Leurs petites affaires, en revanche, ne passaient pas inaperçues dans le village : « Sur 25 jours de surveillance, on a compté 17 passages », note le président. À 40 euros le gramme d’héroïne, cela fait beaucoup de billets palpés. 12 000 à 16 000 euros dégagés en sept mois, estiment les enquêteurs.
Des affaires qui n’ont pas pour autant fait la fortune du couple. Les 2 000 euros mensuels dégagés étaient sniffés dans le mois suivant. « Il avait une dette de 10 000 euros envers son fournisseur », note l’avocate de Cédric.
« Faut nous mettre en cure, pas en prison ! »
Depuis deux mois, cet artisan multi-services a complètement lâché son activité. « Je déprime », lâche-t-il. « Et je m’enfonce. » Travailler moins pour se défoncer plus, accumuler les dettes, augmenter la vente de stups. C’est lui qui prenait en charge les affaires, Virginie se contentait de fermer les yeux et de profiter des fruits du trafic. Saisonnière, elle n’a pour autant jamais vraiment décroché du monde du travail.
À la question que leur pose le président, « Comment envisagez-vous l’avenir ? », la jeune quadragénaire a un sourire triste : « On voulait fonder une famille, mais là, ça risque d’être compromis ». Son compagnon a une posture plus revendicative : « Faut nous mettre en cure, pas en prison ! »
La procureure n’apprécie pas du tout le ton « victimisant » de Cédric. « Quand on a dix mentions à son casier, on ne peut pas méconnaître les conséquences de ses actes ! » assène-t-elle, la mâchoire crispée. L'homme de 37 ans a été condamné plusieurs fois pour stups, il a déjà fait de la prison ferme.
« Il n’y a pas de petit ni de moyen trafic », poursuit la représentante du parquet, pointant le caractère « organisé » de celui-ci. Et tombent les réquisitions : deux ans de prison, dont un ferme avec mandat de dépôt à l’encontre du trentenaire, et un an de sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans. Pour sa compagne, dont le casier comporte trois mentions, ce sera deux mois ferme, sans mandat de dépôt, plus dix de sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans. Dans le box, Virginie a glissé sa main dans celle de son compagnon.
«Je pars en prison pour sept mois, c’est ça ? – Neuf »
L’avocate de Cédric a beau objecter qu’il ne « cherchait pas le profit », celui de Virginie qu’elle est « sur le point de s’en sortir et ne mérite pas deux mois de prison », les peines prononcées par le tribunal suivent de près les réquisitions.
Pour elle douze mois, dont neuf avec sursis et mise à l’épreuve pendant deux ans, comportant obligation de soins et de travail. Pour lui vingt-quatre mois, dont quinze avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans, comportant obligation de soins et de travail, et mandat de dépôt. « Cela veut dire que vous partez immédiatement en prison », ajoute le président de sa voix douce. Cédric fronce les sourcils, visiblement paniqué. « Ça veut dire que je pars en prison pour sept mois, c’est ça ? Sans aménagement ? – Neuf », corrigent en même temps le président et sa compagne. « Il ne tient qu’à vous de faire en sorte d’en bénéficier d’un le plus vite possible », conclut le magistrat.