Visage gargantuesque, costume bleu marine et montre en or, Jean-Pierre Bourgeois, 69 ans, fait son entrée dans la salle de la cour d’appel de Paris, avec sa garde rapprochée. Il est photographe de charme pour les magazines Lui, Playboy et Newlook, et proteste contre le jugement qui l’avait condamné en 2015 à huit mois de prison pour des faits de proxénétisme, survenus lors de voyages professionnels en 2008.
La cour détaille les témoignages des jeunes filles. L’approche est souvent la même. Jean-Pierre Bourgeois les contacte, les invite à poser nues – à son domicile et dans sa chambre – avant de leur demander une fellation ou de leur proposer à les aider dans leur carrière en échange de services sexuels.
Mais ces relations « gagnant-gagnant » sont élargies au cercle des amis du photographe. Ayant du mal à financer ses voyages, il compte sur la générosité de ses « amis » pour participer aux frais, amis qui tablent, c’est naturel, sur un retour sur investissement. C’est là que les filles interviennent. Avec un vocabulaire savamment choisi, le photographe explique alors à ses amis que ses filles « font autre chose », sont « souples » ou carrément « font tout ».
Beaucoup des jeunes femmes lui sont envoyées par Irina, responsable d’une agence de mannequin également poursuivie en République Tchèque pour proxénétisme. Jean-Pierre Bourgeois, qui se présente comme un « mécène », a par le passé été condamné à cinq ans de prison pour des faits de proxénétisme de luxe.
« Trouvez-moi un client qui a eu un rapport avec une fille ! »
À la barre, le photographe lâche sa gouaille : « Je vous en supplie madame le président, vous allez tout comprendre ! » Il a beaucoup à dire et n’hésite pas à interrompre ses interlocuteurs à de nombreuses reprises. Il revient sur son parcours, ses débuts dans le milieu de la photo. Il est tout en morgue : « Moi, madame, je ne me suis jamais enrichi sur le dos des femmes et encore moins sur celui de mes amis. » Pourquoi choisit-il majoritairement des filles d’Europe de l’Est ? Eh bien, c’est très simple : parce qu’à Paris, à cette époque, les jeunes modèles étaient anorexiques. Pourquoi n’être revenu sur ses aveux, formulés en décembre 2008, qu’en juin 2009 ? Parce qu’il a été malade, très malade. On l’a gardé 96 heures en garde à vue, la juge d’instruction aurait déclaré souhaiter sa mort. Ainsi persécuté et mal en point, il a laissé le temps s’écouler. Sur les déclarations d’attouchements, s’il admet avoir « fait un bisou dans le cou » à une certaine Charlotte venue poser chez lui, il dément toutes avances sexuelles et accuse en plus la jeune femme d’être mêlée à un complot fomenté contre lui. Elle lui aurait volé des photos qu’elle aurait par la suite revendues à Entrevue, magazine avec lequel il est en litige.
« Trouvez-moi un client qui a eu un rapport avec une fille ! » lance-t-il, défiant. La suite du récit se cristallise sur la personne de Pierrot, un ami de Jean-Pierre Bourgeois, connu pour avoir eu des relations avec au moins trois femmes présentées par Bourgeois.
« Oh la la ! Elle a fait une chute terrible ! »
Pourquoi a-t-il versé 150 euros en espèces à la prénommée Alexandra ? Bourgeois raconte, c’est très simple : la jeune mannequin, lors d’une séance de pose, a fait une chute terrible sur les rochers. Son maillot de bain s’est déchiré. C’est tout naturellement que Pierrot s’est fendu d’un geste généreux, pour qu’Alexandra puisse se vêtir dignement. Rires dans la salle. Et ce billet ? « Non, je ne lui ai pas donné 50 euros pour la fellation, mais pour l’aider à se loger. » Il y a cette autre jeune fille, à qui il aurait donné 300 euros pour une prestation identique. Qu’en pense-t-il ? Ça le bassine, il élude : « Pff, non mais là… »
Plein d’attentions, Pierrot offrira d’autres cadeaux à d’autres jeunes femmes. La présidente s’interroge : « C’est donc la politique de cet homme de faire des cadeaux aux femmes avec qui il passe la nuit ? »
Sur ce, le conseiller assesseur revient sur sa condamnation en 1994. Pourquoi ne pas avoir interjeté appel ? Bourgeois de répondre qu’il était alors dans une chaise roulante dans « le mouroir de France » et qu’il a renoncé à l’appel pour ne pas rester plus longtemps en prison. Encore une fois, il se plaint d’avoir fait l’objet d’un traitement inique, la présidente lui demande à cet instant de ne pas « personnaliser les jugements ». Il rappelle qu’à l’époque il était « un enfant de chœur » vis-à-vis de la justice.
« Qui a interrompu la cour ? »
L’association Équipe d’action contre le proxénétisme (EACP) est partie civile. Elle demande à la cour de condamner M. Bourgeois à une amende. C’est alors qu’un cri surgit dans la salle « À vot’bon cœur ». C’est un membre de la clique de M. Bourgeois, venu le soutenir. Stupéfaite, la présidente s’immobilise et demande : « Qui a interrompu la cour ? » Le coupable se dénonce et, au culot, prétend : « C’est moi… J’ai éternué. »
Pour l’avocat général, l’infraction de proxénétisme aggravé est constituée. Y a-t-il eu des relations tarifées ? Oui. Bourgeois était-il l’intermédiaire ? Oui. En a-t-il tiré un profit direct ? Oui. Il estime que le photographe est beaucoup plus prolixe sur son état de santé que pour la justification de ses revenus et soutient que ses reportages n’étaient économiquement viables que s’il avait le soutien de ses amis. Il demande confirmation de la décision de première instance, ainsi qu’une peine d’amende.
« Ce dossier, c’est le dîner de cons, et le con, c’est mon client »
L’avocat de Bourgeois plaide l’amour : son client n’a eu des relations sexuelles qu'avec les femmes présentées par lui, qui s’inscrivaient dans le cadre de relations durables et non de faveurs sexuelles occasionnelles. Il explique également que toutes les femmes ne venaient pas d’Europe de l’Est et déplore l’amalgame fait entre filles de l’est et prostitution, photographe de charme et proxénète.
Il dénonce ensuite la façon dont a été menée l’enquête, uniquement à charge. « Ce dossier, c’est le dîner de cons, et le con, c’est mon client », s’insurge-t-il. Il explique que sur les huit témoignages de femmes, seuls trois demeurent et qu’ils sont de femmes françaises. Il observe qu’aucune de ces trois femmes n’a posé pour des photos. Et sur les trois, seule une femme, Sana, reconnaît s’être prostituée occasionnellement. Il demande la relaxe.
Décision le 12 avril.
Mardi 12 avril, la cour d’Appel de Paris a condamné Jean Pierre Bourgeois à huit mois de prison avec sursis pour proxénétisme. Me Jean-Philippe Hugot, son avocat, a considéré que « la cour d’appel n’était pas allée jusqu’au bout du raisonnement », puisque les faits justifiant sa condamnation ne concernaient que trois filles qui en plus de ne pas être des mannequins n’avaient pas posé pour lui.