4 septembre 2014. Jour de derby entre le Paris FC et le Red Star, deux clubs franciliens. Plus qu’un match : une guerre. Et pas que sur les terrains de foot. À quelques heures du coup d’envoi, les ultras du Paris FC s’enquillent des bières, pronostiquent, chantent. Les dernières pintes vidées, ils décollent. Direction Charléty. Au détour d’une rue, dans un parc : l’ennemi juré. Les épaules se redressent, les abdos se gainent, le rythme cardiaque s’accélère. Ceux du PFC investissent le jardin. De poétiques « PFC SS, PFC Hooligan » donnent le ton, agrémenté de chaleureux saluts nazis. Ça défonce le kiosque du coin pour les projectiles. Les fumigènes fusent, les béquilles fracassent, les casques de scoot assomment. Cinq minutes plus tard : la police disperse. Parmi les victimes, on relève Thibault, un supporter du Red Star, amoché par un coup de fumigène sur la paupière.
8 avril 2015. Sur les 32 interpellations, sept mises en examen. Toutes côtés PFC. Jeunes gaillards baraqués, cheveux rasés et barbes bien taillées pour certains : la 10e chambre prend un air de cour martiale. Confondus par des vidéos de la RATP et une photo « trophée », mise en ligne sur les réseaux sociaux, ils risquent jusqu’à un an de prison ferme. Dans la salle, quelques soutiens écoutent la présidente rappeler les faits. Les supporters du Red Star sont aux abonnés absents.
« Dans ces moments là, on n'est pas très intelligents ! »
Le fumigène en pleine tronche, c’est Frédéric, considéré comme le leader. Ce brun à la carrure plutôt imposante n’en mène pas large devant la présidente Isabelle Pulver. Il l'écoute, tête baissée, dresser l’inventaire des objets saisis lors de la perquisition : coup de poing américain, Flash-Ball muni de six cartouches, et une carte d’identité volée lors de la rixe.
« Que faites-vous dans le square ? lui demande la présidente.
– On a décidé de s’expliquer avec eux parce qu’on a déjà été pris à partie en début d’année.
– Vous attendez un an pour en découdre, c’est donc prémédité ! Et vous aviez besoin d’hurler “PFC Hooligan” ?
– Vous savez dans ces moments là, on n’est pas très intelligents…
– Oui je confirme ! »
L'agression au fumi ? Fred est vraiment désolé ! « J’ai appris par les médias qu’il pouvait perdre son œil. Ça été un déclic, je regrette vraiment. » La présidente ne peut résister de lui lire un SMS qu’il a envoyé à un de ses potes le lendemain des faits : « Regarde la vidéo, à 22 secondes ! Le fumi ! En plein dans la gueule ! LOL ! MDR ! » Et de se tourner, goguenarde, vers l’avocat du prévenu : « Y a des journées difficiles, maître, je compatis ! »
Les bourdes se succèdent. Il confirme malgré lui la participation à la baston des six autres prévenus. Précise avoir consulté un avocat le soir des faits. Presque un aveu de culpabilité. Indique que c’est bien l’un des prévenus qui se cache derrière un pseudonyme très vindicatif sur les forums spécialisés. « Merci de votre coopération », ironise la présidente.
« Dommage, j’ai pas ziegué avec vous »
Julien, lui, reconnaît les faits mais assure avoir bêtement suivi la masse. Pulver, à nouveau, se sert des textos envoyés : « LOL ! Sympa la vidéo », lui envoie un pote. « MDR, répond Julien, On les voit dans un petit parc. On les a fumés LOL – Dommage, j’ai pas ziegué avec vous ! »
« Zieguer… Ça veut dire quoi ?
— Honnêtement ?
— Oui, monsieur, c’est le principe !
— C’est faire le salut nazi. Mais je ne suis pas politisé, pour moi c’est comme faire un bras d’honneur. C’est de la pure provocation ! »
Après une belle gueulante et un rapide cours d’histoire, Julien est prié de se rasseoir. Ambiance.
« Sa bulle de naïveté est crevée »
La procureure opte pour le champ lexical de la guerre. Pas une rixe, mais un « assaut, une guérilla armée ». Tous ne sont pas poursuivis pour les mêmes faits, mais elle requiert une peine commune. Vol pour certains, violences pour d’autres, ces infractions découlent toutes d'une autre, « la participation à un groupement violent ». Pour tous, elle réclame un an de prison dont six mois avec sursis, trois ans d’interdiction de stade, 2 000 euros d’amende et la confiscation des scellés. Sauf pour deux prévenus. Un dénommé Kevin, pour qui elle réclame un an ferme, à cause de son sursis. Et Frédéric, qu'elle verrait bien passer un an à l'ombre. Monsieur paye le prix de sa brillante idée de se servir d’un fumigène comme d'une arme par destination…
Côté défense, les plaidoiries se succèdent mais la rengaine reste la même. Il ne s'agit pas d'une bande de hooligans s'en prenant à des brebis égarées. Le combat est consensuel, voulu par les deux camps. Et puis de toute façon les prévenus ont compris. Frédéric le premier, selon son avocat. « Maintenant, il sait que ce genre de comportement, ça finit soit tétraplégique, soit devant les assises. Sa bulle de naïveté est crevée. » Quant à Julien, son seul tort est d'avoir cherché un exutoire. Sa participation ? Très brève. Les violences ? Un simple coup de poing, pas un passage à tabac. Le salut nazi ? il n'est pas poursuivi pour ça.
10 juin 2015. Frédéric écope d'un an de prison dont six mois avec sursis et 800 euros d'amende. Julien s'en sort mieux : huit mois de sursis et 800 euros d'amende. Pour les deux : interdiction de stade pendant trois ans. Frédéric doit même pointer au commissariat d'Aulnay lors des matchs du PSG ou du Red Star.