Pépette et Gladys, deux amants, un bras armé et un cerveau

Pépette aime toujours Gladys. Dans le box de la cour d’assises de l’Isère, ce vendredi 21 décembre, alors qu’il est interrogé par l’une des avocates des parties civiles, il regarde la jeune femme de vingt ans sa cadette, assise à ses côtés. Il n’y a pas de colère, un peu d’incompréhension sûrement, plutôt de la compassion. « Oui », il l’aime toujours. Jean-Pierre Gros, dit “Pépette”, 57 ans, sait pourtant qu’il est dans cette situation parce qu'un jour, il l'a rencontrée elle, Gladys Rey-Tinat, 37 ans. À lui, la justice reproche d’avoir assassiné Cyril Eynard. À elle, d’avoir été complice de cet assassinat, celui de son mari, le père de ses enfants.

Debout, attentif aux questions, terre à terre dans ses réponses, Jean-Pierre Gros s’agrippe au box et ne cesse de s’essuyer le visage avec un mouchoir. Bientôt, après trois heures d’interrogatoire, après avoir passé la porte donnant sur le hall d’escalier menant aux geôles du palais de justice de Grenoble, et malgré son fort gabarit, il va s’effondrer entre deux gardiens. Avant cela, il doit répondre. Pourquoi, dans la soirée du 15 décembre 2015, a-t-il attendu le retour de Cyril Eynard à son domicile, caché derrière le portail ? Pourquoi tenait-il alors un manche de pioche à la main, tout en échangeant de nombreux SMS avec sa maîtresse Gladys, présente à quelques mètres de lui, dans sa chambre ? Pourquoi a-t-il asséné de nombreux coups à Cyril Eynard, jusqu’à sa mort ? Pourquoi a-t-il chargé son corps à l’arrière de sa voiture, pris le volant, puis voulu faire croire à un accident de la route en abandonnant un peu plus loin le véhicule en contrebas de la chaussée ?

Avertis rapidement par un voisin ayant vu « une silhouette qui porte des coups » et entendu « des sons qui faisaient penser à des bruits de hache quand on coupe du bois », les gendarmes sont arrivés vers 0 h 25 sur les lieux. Ils ont vu un homme pressant le pas et s’engouffrant dans une voiture. Ils ont vu du sang sur ses mains, le manche de pioche à ses côtés. Dans les mêmes temps, ils ont été avisés du fameux accident de la circulation, avec un homme, défiguré par des coups reçus, non pas au volant, mais à l’arrière du véhicule. Enquête facile.

« J’espérais qu’elle puisse partir de chez elle, avec moi »

Gladys et Pépette, c’est une histoire qui date de 2010. « Le premier déclic, on l’a eu ensemble, se souvient Jean-Pierre. Le premier baiser, c’était les deux ensemble. » C’était au syndicat d’initiatives de Tencin, une commune de l’Isère située à mi-chemin entre Grenoble et Chambéry, 2 000 habitants au compteur environ.

« Mais a priori, vous aviez peu de points communs », estime la présidente, Valérie Blain. Pour Jean-Pierre, conseiller municipal, ancien pompier, bouliste et toujours domicilié chez sa mère, « homme de routine et d’habitudes » selon différents témoignages, il y avait quand même un peu plus : « son attention auprès de moi ». « On était toujours à côté, et voilà. »

L’idylle ne sera que de courte durée. « Quand Cyril a connu notre relation, il m’a convoqué le lendemain, ça s’est arrêté comme ça.

Monsieur Eynard vous demande de vous arrêter, et vous arrêtez ? interroge, dubitative, la présidente.

Bah oui. C’était le choix de Gladys, je respectais. Je lui ai demandé de choisir, elle a dit qu’elle restait avec les enfants. »

En 2012, Gladys apprend que Jean-Pierre a rencontré une nouvelle femme. Elle l’appelle. « J’étais content qu’elle revienne. J’avais beaucoup d’amour pour elle, de l’amitié. » Les deux se voient « quand Gladys pouvait », ils jouent aux cartes. « On se parlait de ma journée de travail, de sa journée de travail, de choses basiques. » « J’espérais qu’elle puisse partir de chez elle, avec moi.

— Pour elle, vous auriez quitté votre mère ? lui demande la présidente.

— Oui, oui. »

« Vous pensiez avoir trouvé la femme de votre vie, c’est important de le dire. » Les questions de Me Florent Girault à son client sont tranchantes. « Oui mais, il y a eu des échanges de SMS un peu chauds chauds chauds avec des filles de la pétanque. C’était quoi ?

— Un peu des délires.

— C’était quoi votre relation avec Gladys ? Où, quand, comment ?

— Dans sa voiture, à droite, à gauche, souvent les après-midis. Une fois par semaine ou deux fois, pas plus. Entre une demi-heure et une heure, pas plus, pendant l’école.

— Combien de temps ?

— Pendant trois ans.

— C’est vous qui fixiez les rendez-vous ?

— Ah non. C’est Gladys.

— Et quand elle ne pouvait pas, vous forciez ?

— Bah non. »

Jean-Pierre se souvient : il a aussi passé une nuit au domicile de Gladys, « pas complète ». « Donc vous avez le souvenir d’avoir partagé une nuit en trois ans ?

— Oui.

— C’est un bon souvenir ?

— Pas assez.

— Ah oui, vous auriez aimé davantage ?

— Oui. »

Coup de foudre

Gladys, elle, a fondé un foyer. Vingt ans plus tôt, elle a rencontré Cyril, dans un supermarché. Elle avait 17 ans, lui 27. Elle faisait ses courses, lui y était employé dans les rayons. Ils se sont regardés. Coup de foudre. Elle s’installe vite avec lui tout en poursuivant ses études, mais contre l’avis de ses parents, qui préfèrent couper les ponts. Qu’importe, elle fonce, décroche un CDI comme assistante comptable, se lance aussi dans la vie politique locale en se présentant sur une liste aux municipales. Entre temps, les amoureux se marient, construisent leur maison, agrandissent leur famille avec l’arrivée de deux enfants. En 2015, Gladys lance sa propre boîte de conseil. À première vue, le tableau est heureux, il n’y manque rien. Mais après une première idylle avec Jean-Pierre en 2010 (« une bouffée d’oxygène », selon elle), alors que son mari est « comme un lion en cage » en arrêt maladie, elle trouve une échappatoire et rappelle Jean-Pierre en 2012. « J’ai eu besoin de lui dire que je n’avais pas forcément choisi entre lui et mon mari, que j’avais fait ce choix pour les enfants », explique-t-elle devant la cour.
Les deux se revoient et Gladys commence à évoquer, avec lui, des épisodes de violences au sein de son couple.

« Est-il possible que deux personnes vulnérables fassent ensemble un cocktail explosif, sans que l’un n’influence l’autre ? demande en défense Me Roksana Naserzadeh à l’experte psychologue ayant rencontré sa cliente.

— C’est tout à fait possible, oui. »

À la maison, Cyril est devenu très méfiant envers elle depuis 2010, Gladys se dit sous pression et évoque des insultes et des humiliations répétées. « De juillet à décembre 2015, tous les SMS échangés avec Cyril ne sont que des messages d’amour, “Je t’aime fort”, “Bonne nuit mon amour”, avance Me Mélanie Muridi, avocate de la famille de Cyril. Alors s’il y a tant d’amour, pourquoi vous dites que vous vivez l’enfer ?

— De temps en temps, Cyril partait au travail et m’envoyait un message d’amour ; et deux jours après, il recommençait avec les insultes. »

« Vous estimez que vous le menez par le bout du nez, votre fils ?

— Ah non, pas du tout ! »

Rémi s’avance à la barre. Il n’a pas l’habitude des salles d’audience, il stresse, il est triste, parce qu’il vient là pour parler de son ami. « Jean-Pierre est comme mon frère. » Dans le box, Pépette est ému, il se tient la tête penchée sur sa main gauche et ne quitte pas son ami du regard. Tous les deux sont partis en vacances ensemble, tous les deux étaient pompiers, boulistes. Ils sortaient en discothèque, aussi, et, « il n’y a jamais eu de chemise déchirée ».

Jean-Pierre, dit Rémi à la présidente qui l’interroge, « il aime les choses simples de la vie. C’est un nounours. C’est un homme qui prenait soin de ses compagnes. À l’époque, je me doutais qu’il avait une compagne, une copine, mais il le cachait.

— Est-ce que c’est quelqu’un qui se laissait mener par le bout du nez ?

— Oui, facilement. On habite à 300 mètres l’un de l’autre à Tencin. J’avais juste besoin de l’appeler pour lui demander un coup de main, et je n’avais pas raccroché qu’il était déjà là. »

En défense de Gladys, Me Roksana Naserzadeh intervient : « Qu’est-ce qui vous fait dire qu’il se faisait manipuler ?

— Je pense que c’est sa gentillesse qui faisait qu’on pouvait lui demander n’importe quoi.

— Sa compagne Béatrice voulait fonder un foyer, il n’a pas voulu parce qu’il voulait rester avec sa maman. Où se fait-il laisser mener par le bout du nez ?

— Ben par sa maman. »

Justement, sa maman Georgette arrive à la barre, appuyée sur ses deux cannes. « Disons qu’il a pris la place du papa. C’est un gentil garçon, quoi. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Il parlait très peu, comme son père. Il est restreint, quoi. » À la maison, Jean-Pierre avait sa chaise autour de la table, toujours au même endroit. Me Roksana Naserzadeh revient à la charge : « Vous estimez que vous le menez par le bout du nez, votre fils ?

— Ah non, pas du tout !

— Vous vous êtes opposée au fait qu’il s’installe avec Béatrice ?

— Oh non, j’aurais été contente ! Je savais bien que si un jour il avait une copine, il s’en irait.

— Vous ne pensez donc pas l’avoir retenu on otage ?

— Ah non, pas du tout ! »

Il s’est renseigné à propos des tueurs à gages

Depuis cette nuit du 15 décembre 2015, Pépette n’a finalement plus occupé sa chaise autour de la table, chez sa maman. Il avait « un plan », avec Gladys. Au départ, Jean-Pierre avait pensé à « une rouste ». Pour que Cyril « arrête de la violenter ».

« Vous aviez envisagé la réaction de son époux après la rouste ?

— Bah non. »

Jean-Pierre poursuit : « C’est à ce moment-là que Gladys a dit que la rouste ne suffisait pas ». Gladys imagine alors d’infliger une rouste à son mari, puis de le mettre dans une voiture et de faire croire à un accident. « Quand on en a parlé, éliminer Cyril, c’était pour qu’on soit tout seul, tous les deux sur le chemin. Je n’ai pas réfléchi du tout. » La présidente lui rappelle qu’il ne s’est pas arrêté là, qu’il s’est renseigné sur internet à propos des tueurs à gages, « pour voir comment ça se passe ».

« Comme ça ?

— Oui. Gladys n’a jamais dit qu’elle voulait un tueur à gages. Mais quand je lui en ai parlé, elle a changé d’attitude, ça la réconfortait. C’était pour elle, pour nous, pour tous les deux.

— Vous voulez donc éliminer M. Eynard, en l’assommant, en le mettant dans la voiture et en faisant croire à un accident ?

— C’est ça. Gladys me dit que ce serait plus facile à faire croire aux enfants.

Est-ce qu’elle vous a demandé de tuer son époux ?

— Elle ne me l’a pas dit comme ça.

— Elle vous demande quoi alors ?

— De la libérer de cet enfer. »

Puis il précise : « La rouste, c’est moi ; l’accident, c’est Gladys ».

« Vous n’êtes pas stupide, Madame »

« Je n’ai jamais pensé que M. Gros serait capable d’aller jusque-là. Je n’ai pas le souvenir de lui avoir demandé quelque chose pour moi. On ne règle pas le problème en supprimant quelqu’un. » Gladys s’exprime très bien devant la cour d’assises, sa voix est douce, quand celle de Jean-Pierre est brute, sans détail.

« Je sais la réalité du plan. C’est la réalisation que je ne crois pas », tente l’accusée.

« Vous n’êtes pas stupide, Madame, vous avez un certain niveau intellectuel. » Pour le procureur général Jacques Dallest, cela ne tient pas. « Comment pouvez-vous faire croire cela, que vous ne connaissiez pas la finalité du plan ?

— Il y a des choses que je n’arrive pas à m’expliquer, à expliquer à la cour. Par contre, j’ai des certitudes. Jamais je n’aurais pu prendre part activement à quelque chose qui aurait détruit mes enfants et ma belle-famille.

— Jean-Pierre Gros dit les choses. Vous, vous êtes dans l’ambiguïté. Ne peut-on pas imaginer que vous vous êtes servi de Jean-Pierre Gros pour vous débarrasser de votre mari ?

— Je n’ai jamais voulu me débarrasser de mon mari. »

Le 16 décembre, à 9 h 49, Gladys fait un virement de 7 148 euros, depuis le livret de son mari jusqu’au sien. Elle sait que le corps de Cyril a été retrouvé. Quelques heures plus tôt, le 15 au soir, alors que Jean-Pierre est dans la cour de sa maison, caché près du portail, un manche de pioche à la main, elle échange de nombreux SMS avec lui. Elle, est dans sa chambre, à quelques mètres de lui. La présidente lit les messages un à un à l’audience, et la salle revit toute la soirée avec les protagonistes.
Pépette : “Je suis à deux pas de toi, chérie”.
Gladys : “Je te sens. Mais tu es si loin à la fois.”

L’hiver approchant, Gladys demande à Jean-Pierre s’il n’a pas froid. Dans le quartier, il y a de la lumière chez des voisins. Surtout, ne pas se faire repérer. Alors elle s’inquiète : “tu n’as pas de sonnerie sur les messages ?”. Lui écrit par la suite : “Il ne faudrait pas qu’il revienne en même temps” qu’une voisine. Elle lui répond : “Dieu seul le sait. Fais attention au trou et qu’ils ne t’entendent pas quand tu vas sortir”.

Il est 21 h 30 ce soir-là. Jean-Pierre attend toujours. Il envoie un nouveau SMS à Gladys : “Je suis juste derrière ton volet”.
Gladys lui demande de rester discret, puis elle lui envoie : “Chéri, j’ai peur, j’ai besoin de toi, je tiens à toi. Et je te donne tout ce qu’il y a de bon et beau en moi pour réussir”. Dans le box, face à la cour d’assises, Jean-Pierre admet : à ce moment-là, « ça me fait du bien, de voir qu’elle est à côté de moi ».

Les échanges se poursuivent. Gladys envoie “J’ai ma tête et mon corps qui vont exploser”, puis “J’entends les battements de mon cœur dans ma tête”. Tout de suite, Jean-Pierre lui écrit : “Calme-toi chérie, je suis là”. « Il y avait une appréhension de ce qui allait se passer », reconnaît Pépette.

Et puis : “Rien ni personne ne nous séparera… jamais”. Réponse de Jean-Pierre : “C’est pour ça qu’il faut l’éliminer”. Les SMS s’enchaînent. Gladys envoie : “Mon amour… Je te serai éternellement reconnaissante pour tout ce que tu fais pour nous…”. “C’est normal chérie, c’est pour nous aussi.” Dans la conversation, Jean-Pierre revient sur le trou dans la cour : “C’est con ce trou chérie”. « Parce qu’il est en plein milieu », précise à l’audience Jean-Pierre. Ce soir-là, Gladys répond : “Dis-le au responsable”.

Le temps passe, ce 15 décembre 2015 au soir, et les deux amants n’arrêtent pas d’échanger. À 22 h 06, elle envoie “Pardonne-moi le fait que tu sois obligé de vivre tout ça… Je t’aime…” Gladys lui redit de faire attention, d’être prudent. “OK chérie, je t’aime”, lui répond-il. “À très vite, au plus vite et à tout à l’heure un message je l’espère de tout mon cœur… Je t’aime mon amour…”. Puis elle envoie “Stop SMS”, et la conversation s’arrête. À 0 h 07, Jean-Pierre envoie un dernier message : “C’est bon”. Cyril Eynard a reçu la rouste, il a été embarqué à l’arrière d’une voiture qui s’est retrouvée un peu plus loin en contrebas de la chaussée.

« Les coups ont été très forts, Monsieur, l’interpelle la présidente.

— Oui, j’étais dépassé, reconnait Pépette. J’ai perdu pied, j’étais paniqué. C’était décuplé, c’était violent. La fin est tragique, mais je n’ai pas pensé au pire. »

Le procureur général a réclamé vingt ans de réclusion contre Jean-Pierre Gros, 18 contre Gladys Rey-Tinat. Après trois jours d’audience, dans le milieu de la nuit, la cour et les jurés les ont condamnés à la même peine : 15 ans de réclusion criminelle. Dans la salle, durant presque tout le procès, deux enfants étaient là. Ils étaient chez eux, dans leurs chambres plongées dans cette nuit de décembre, lorsque leur père a été tué dans la cour de leur maison.

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