Le 5 avril dernier, sur le parking du supermarché Leclerc d’Autun, en Saône-et-Loire, deux existences se sont percutées : celle de Mme R., qui rangeait ses courses dans le coffre de sa voiture et celle de M. S., qui traversait l’aire en marchant avec application sur les bandes de marquage au sol. La main de l’un a touché les fesses de l’autre. Et voilà monsieur S. en comparution immédiate au tribunal de Chalon-sur-Saône six mois plus tard.
Mettre la « main au panier » équivaut selon le Code pénal à une agression sexuelle. Autant que les amateurs le sachent. Article 222-27 : « Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »
Monk à la barre
Le prévenu, 29 ans, comparaît tel qu’il est dans la vie courante : méticuleux, pointilleux, précis et souffrant, comme l’expliquera lumineusement Me Marceau pour sa défense « de psychorigidité ». Pour ceux qui connaissent la série américaine, c’est Monk à la barre. Monk vêtu de sa chemise à carreaux, boutonnée jusqu’en haut, poignets compris. Un Monk de taille moyenne, les cheveux plaqués sur le crâne, soigneusement partagés avec une raie au milieu. Il s’exprime dans un langage recherché jusqu’à l’excès.
Mais Monk n’apparaît qu’au fil de l’audience. Au départ, sur la foi du témoignage de la victime, c’est un pervers qui aurait fait exprès de lui coller la main aux fesses, puisqu’il avait tout le parking pour l’éviter et qu’il ne l’a pas fait. La dame lui a d’ailleurs flanqué une claque. Des agents de sécurité sont venus s’enquérir de l'identité de l'homme. Il leur donne sa carte, il n’a rien à se reprocher. Il dit : « Par un mouvement ballant de la main, j’ai touché le postérieur de la dame en passant près d'elle, je me suis retourné et excusé, j’ai reçu une gifle, et je suis reparti avec un air de désolation. »
Le parquet avait failli classer le dossier sans suite
La dame, elle, est dans tous ses états. Elle dépose plainte, demande 300 euros de dommages et intérêts qu’elle reverserait à des associations qui accompagnent les femmes victimes de violences. Soit, mais elle est absente à l’audience. Et on sent vraiment que quelque chose cloche.
On est même un peu peiné du grand déballage dont le prévenu est l’objet : entre une « bipolarité » diagnostiquée ; une dépression à la suite du départ de son jeune frère en Syrie, dont il ne veut plus entendre parler ; une crise violente juste avant l'été, qui lui valut d’être hospitalisé et soigné ; on se demande jusqu'où cela va filer.
Or, le parquet a failli classer ce dossier sans suite, puis s’est ravisé au vu des « éléments d’évaluation psychiatrique » — soit un certificat du psychiatre de Monsieur S., qui affirme pourtant que son client ne souffre d’aucune « paraphilie » — sans pour autant demander une véritable expertise psychiatrique, pourtant systématique pour ce type d’agression. Cela vient renforcer le sentiment que « quelque chose cloche ». Le prévenu n’a pas de casier judiciaire et ne peut donc pas être en état de récidive légale. On se demande pourquoi il comparaît ainsi, selon la procédure de comparution immédiate.
Fiat lux : obsession, oui, mais pas celle qu’on croit
Me Marceau raconte un homme qui n’a pas le moindre souci d’obsessions sexuelles, ou de pulsions de ce genre. Il doute même qu’il soit attiré par les femmes. Mais son client souffre d’autres obsessions : celles de suivre les lignes au sol quand il marche, par exemple. C’est pourquoi il traversait le parking les yeux rivés sur l’asphalte, concentré à suivre les marquages.
Alors, quand s’est profilée la silhouette de cette femme qui chargeait ses courses, penchée dans le coffre de sa voiture, il a juste pensé qu’il était assez menu pour passer « quand même ». Et le balancement de ses bras a provoqué la rencontre entre l’une de ses mains et le bas du dos de la dame, qui s’est sentie agressée et a répliqué avec une main aussi, mais qui n’a rien vu de la scène et se fie « à l’humiliation ressentie ».
Le tribunal relaxe monsieur S. et déboute la partie civile de ses demandes. Le jeune homme rejoint sa mère au fond de la salle et l’enlace. Sa chemise est maculée de larges auréoles sous les aisselles, il a beaucoup stressé, mais jamais il n’aurait remonté ses manches, pas davantage qu'il n'aurait songé, le 5 avril dernier sur le parking de Leclerc à Autun, se détourner de la ligne blanche au sol pour contourner la dame qui chargeait son coffre.