Chevelure auburn, beauté fanée par le stress, Saadia esquive tant bien que mal les coups de semonce de la présidente Isabelle Pulver :
« La nature étant bien faite, déclare la magistrate, le ton faussement didactique, si une femme nue monte sur un homme, il arrive quoi au sexe du monsieur ?
– Il est excité, reconnaît Saadia, d’une voix enfantine.
– Et donc ? (silence) Et donc il éjacule ! Et il fait quoi contre ça ? (nouveau silence) Il paye ! 100 euros la demi-heure, 150 euros l’heure complète. Ça vous paraît être des tarifs normaux ?
– Oui.
– Ah bon ? Parce que je peux vous le dire : vous flirtez avec les tarifs des hôtels quatre étoiles pour un massage normal ! »
« Finition manuelle »
Oriental Beauty, modeste salon de massage fondé en 2013, n’a pourtant rien du quatre étoiles. Saadia et Essaid, son ex-époux et cogérant, parviennent à maintenir le business à flot. Mais les choses se gâtent. En avril 2014, une employée balance aux flics les massages body-body : masseuse en tenue d’Ève, seins qui frictionnent un dos, fesses qui s’attardent sur un ventre.
Rien de bien méchant persifle l'ex-mari : « J’ai croisé un avocat dans un bar qui m’a assuré que la pratique était légale. » Le culot du prévenu fait exploser de rire les avocats de la défense. Pulver rappelle que la Cour de cassation assimile le body-body comme étant de la prostitution, faisant de Saadia et Essaid des proxénètes.
Le body-body, la cour en a presque cure, davantage intéressée par les « finitions manuelles ». Saadia concède en avoir pratiquée deux ou trois. Mais attention ! Jamais en échange d’argent. Pulver explose : « Vous masturbez trois bonshommes d’affilé sans rien demander ? Le petit geste commercial quoi ! »
Dos au mur, Saadia charge Essaid : « Parfois il est gentil et parfois méchant. Il me traite souvent de pute et est violent. » Auditionnée par la police, elle l’accuse même de viol. « C’est vrai ? », s’inquiète la présidente. Saadia se met à sangloter et répond par la négative. Explique qu’elle voulait diminuer sa responsabilité. Avant de la renvoyer s’asseoir, Isabelle Pulver la tance : « Vous auriez pu l’envoyer aux assises, c’est extrêmement grave. »
Essaid s’avance à la barre, suffisant. Les « finitions manuelles » ? Pas au courant. Enfin si, ça lui revient : une rumeur du quartier est arrivée jusqu’à lui. En bon gestionnaire, il s'en inquiète, envoie un de ses amis incognito vérifier. Chou blanc. « Fais attention », avise-t-il quand même Saadia. Car c'est bien Saadia, la dirigeante de fait. Lui, assure ne mettre les pieds au salon que pour récupérer le loyer. Il prend le cash, le verse sur le compte de sa société d’électricité, et paye avec un chèque… de cette société. « Ça s’appelle du blanchiment ça, monsieur, lâche la présidente, blasée. Mais le tribunal n’est pas saisi pour ces faits-là… »
« Magouille et compagnie »
« J’allais dire magouille et compagnie tellement la situation est compliquée, commence la procureure. Les explications de l’un comme de l’autre sont très confuses. » Parce qu’il y a assez d’éléments pour « condamner ces deux-là », elle requiert un an de prison assorti du sursis pour Saadia, car il est difficile de dire si elle a été contrainte ou non. Pour Essaid, elle réclame un an ferme.
L’avocat d’Essaid se révolte : les deux prévenus sont sur un « pied d’égalité ». Pourquoi donc requérir des peines si différentes ? Plus éligible au sursis simple, pourquoi pas une mise à l'épreuve pour Essaid ? Il écope finalement d’un an, dont huit mois de sursis avec mise à l’épreuve. Quant à Saadia, le tribunal suit les réquisitions.