« On vous tient enfants de putain #CharlieHebdo »

« On vous tient enfants de putain #CharlieHebdo »

EDIT : La 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné mercredi 12 octobre, Pierre Martinet, ancien de la DGSE et Jean-Paul Ney, journaliste, à 3 000 euros d'amende pour recel de violation du secret de l'enquête. Les deux policières prévenues de violation du secret de l'enquête ont été relaxées.

Le tribunal a relaxé tous les prévenus s'agissant de la diffusion de la CNI de Chérif Kouachi, considérant qu'il n'est pas avéré « que la photographie diffusée ait été prise lors de la saisie du document dans le véhicule des frères Kouachi, aucun élément ne permettant de déterminer sa tracabilité. »

En revanche, le tribunal a considéré que « la diffusion nationale urgente (DNU) et la fiche canonge web de Chérif Kouachi font partie, à l'évidence, des documents accessibles aux seuls services de police et de justice et sont de ce fait couvert par le secret de l'enquête. » Peu importe, dit le tribunal, qu'elle ait été diffusée que l'auteur initial de cette diffusion n'ait pas été identifié et que ces pièces aient pu être diffusées avant que les prévenus le fassent. C'est notamment le cas du site Wikistrike, qui a publié ces informations avant Jean-Paul Ney et Pierre Martinet.

Ensuite, le tribunal estime qu'étant donné l'activité professionnelle des deux prévenus, ils ne pouvaient ignorer l'origine frauduleuse de ces documents. En outre, ils n'apportent aucun élément tendant à démontrer que les autorités en charge de l'enquête aient décidé de rendre les informations en question publiques.

Sur l'argument des prévenus tendant à faire valoir l'existence d'un intérêt légitime à la diffusion de ces informations, le tribunal considère que « dans la délicate balance des intérêts en présence, il doit être souligné, en l'espèce, que s'il est apparu, de fait, lors de l'enquête sur la diffusion des documents, que ceux-ci ou les informations qu'ils contenaient circulaient déjà largement, le syndicat Alliance les ayant relayés ainsi que de nombreux policiers, certains ayant indiqué les avoir reçus entre 17 et 19 heures, la diffusion opérée par Jean-Paul Ney ou pierre Martinet est intervenue dans la phase délicate de l'interpellation d'auteurs présumés d'un attentat particulièrement sanglant, ayant eu un retentissement mondial. »

La diffusion de ces informations auraient pu aider les frères Kouachi à échapper à leur traque, l'atteinte à la liberté d'expression était donc justifiée par un impératif prépondérant.


Le tribunal achève de juger ce prévenu à la bouche étrange, épaisse et secouée de tics. Il serait l’auteur d’une abominable vulgate antisémite, appelant à l’extermination des Juifs qui « souilleraient l’humanité ». Le prévenu a eu le bon goût de se comparer à « David contre Goliath », ce dernier étant la Licra, bras armé d’une « juiverie mondialisée » tout entière dévouée à l’anéantissement de la libre parole. Après qu'il eut plaidé le complot, c’en fut fini du prévenu lippu.

L’affaire suivante parle terrorisme et Kouachi, secret professionnel et violation. Il convoque une pléiade bigarrée de quatre prévenus qui n’ont pourtant comme seul souci la protection des Français et la lutte contre le terrorisme islamiste. Deux policières, Stéphanie D. et Corinne O., sont renvoyées pour violation du secret professionnel et de l’enquête. Un ex-agent de la DGSE, Pierre Martinet, aurait recelé ces informations, et c’est aussi le cas de Jean-Paul Ney, un fameux « journaliste de terrain » spécialisé dans le terrorisme et les zones de guerre, phénomène de Twitter paré au prétoire.

7 janvier 2015, la rédaction d’un journal satirique est décimée ainsi que deux policiers. Les assassins sont en fuite et la brigade criminelle sur leur piste. « À 12 h 10, on retrouve la voiture des terroristes dans laquelle sera retrouvée la carte d’identité de Saïd Kouachi », dit la présidente. À 13 h 14, une photo de la CNI est diffusée au sein de la brigade criminelle (BC), à 13 h 47, elle est transmise au responsable de la section P12 du parquet de Paris, et à 14 h 03 au chef de service de M. Prieur, de la BC. À 14 h 09, un policier consulte la fiche Canonge de Chérif Kouachi – fiche qui sera au total consultée par 48 policiers. Dans les heures qui suivent, ces documents circulent au sein de la BC chargée de l’enquête. À 20 h 22, le site Wikistrike publie la CNI de Saïd Kouachi, la fiche de diffusion nationale des deux fugitifs, la fiche Canonge de Chérif Kouachi ainsi que la photo d’un troisième homme, rapidement mis hors de cause.

À 20 h 42, surgit sur Twitter la prose vengeresse d'un Jean-Paul Ney sublimé par l'enjeu : « On vous tient enfants de putains #CharlieHebdo », fulgurance sans appel à laquelle il adjoint les photos des Kouachi et leur fiche. Immédiatement, Pierre Martinet reprend ces informations sur sa page Facebook, et publiera la fiche Canonge de Chérif Kouachi à 21 h 38. Ces documents ont été publiés sur le site JSS News à 21 h 10.

C’est Pierre Martinet qui, en premier, est interrogé par les enquêteurs de l’IGPN. Aujourd’hui à la barre, port militaire, crâne chauve et rasé, cet homme de 52 ans soutient avoir trouvé ces documents sur internet. « Les photos étaient déjà dans le domaine public, enfin sur les réseaux, qui pour moi sont le domaine public », argue-t-il. Il les a vus sur le compte Twitter de M. Ney, qui est un ami et dont il a contribué à éditer le livre, ce qu’il a interprété comme une source fiable. « En quelque sorte, la publication de Jean-Paul Ney vous a conforté dans la véracité de ces informations », résume la présidente. C’est ça. « Si j’avais eu les documents en off par une source policière, je ne les aurais jamais diffusés. »

L’accusation n’est pas d’accord, ce qui explique la présence des deux policières. Il y a Corinne O. et Stéphanie D., 41 ans toutes deux gardiennes de la paix. L’une est à la brigade de nuit à Brest, l’autre à la brigade spécialisée de terrain (BST) dans les quartiers Nord de Marseille.

Stéphanie D. était en contact étroit avec Pierre Martinet, les 8 et 9 janvier. « Je le connaissais via les réseaux, car je trouvais qu’il écrivait très bien. » Ils échangent de temps en temps par messages, particulièrement le 9 janvier. Pourquoi ? « On s’était fait tirer dessus à la cité de la Castellane, Pierre Martinet prenait de mes nouvelles », explique-t-elle.

« Vers 18 h 30, les documents circulaient de partout chez les policiers »

Surtout, elle dresse le contexte pour elle particulièrement dramatique de ce funeste 7 janvier. « J’avais un ami et collègue affecté au service de protection des personnalités, qui devait protéger Charb’. » Sans nouvelle, Stéphanie angoisse encore plus que ses collègues, puis heureuse nouvelle, son ami était en congé ce jour. C’est Frank Brinsolaro qui l’a remplacé, abattu par les terroristes. « Là je vois arriver un de mes collègues de la BST que je vois tous les jours, livide, écroulé. » C’est le frère jumeau de Frank Brinsolaro.

Le parquet pense qu’elle a informé Martinet dans ses nombreux échanges par SMS et MMS. Quelle information a pu être transmise ? « Vers 18 h 30, les documents circulaient de partout chez les policiers », explique-t-elle. Corinne O. confirme : elle les a reçus de deux numéros, dont un qu’elle ne connaissait pas. La policière brestoise connaît Pierre Martinet depuis quatre ans et demi et partage la même admiration que sa collègue pour l’expertise de l’ex agent secret. « J’étais chez moi en pyjama, je reçois ces informations. Ça n’arrive jamais de recevoir des documents d’une enquête qui ne nous concerne pas, j’étais méfiante. Alors je lui ai demandé son avis, je voulais juste savoir ce qu’il en pensait », résume-t-elle. Corinne O. envoie le MMS litigieux à 20 h 57, témoignent les fadettes de Pierre Martinet.

Pourquoi tous les policiers de France ont reçu cette information en rapport direct avec l’enquête en cours ? L’enquête de l’IGPN n’a pu le démontrer, et s’est contentée de remonter les contacts de M. Martinet. Pourtant, plusieurs témoins certifient que dès l’après-midi, les MMS contenant les photos et fichiers circulaient entre policiers. Des responsables du syndicat Alliance s’en seraient fait le puissant relais, avec pour mot d’ordre une large diffusion, afin que tout policier rencontrant « par hasard » les Kouachi soit en mesure de les interpeller. Singulière initiative. Sur Procès verbal, l’IGPN convient d’un procédé inhabituel, « pas franchement légal mais compréhensible du fait de l’émotion suscitée » par les évènements. Le secret de l’enquête interdit pourtant toute diffusion à quiconque n’est pas impliqué dans l’enquête, ce qui est le cas des milliers de policiers qui ont reçu ces fiches.

« Il y a des impératifs prépondérant qui convergeaient »

Mais, hélas, les enquêteurs n’ont pu isoler que ces deux fonctionnaires, cet ex agent, et l’inénarrable Jean-Paul Ney qui s’avance désormais à la barre. D’une voix sonore, il déclame :

« Profession journaliste, métier reporter, carte de presse 100 495, 20 ans de travail sur le terrain. En immersion sur de longues périodes, 1, 2, 3 ans, dans des zones de guerre. Je tiens à préciser que jamais je ne divulguerai le nom de mes sources, c'est un principe pour moi. Je suis prêt à mentir pour ça. Mais je ne le ferai pas. »

Le personnage est campé et la raison, déjà, vacille. Sorte de Tintin du désert tout entier dévoué à la lutte contre le djihadisme, adepte de l’invective sur les réseaux sociaux, Jean-Paul Ney est un personnage qui divise. Il a aussi le blocage compulsif et une horde de détracteurs qui le moquent et brocardent son travail. Lui se pense victime de sa compétence et la cible des jaloux. « Je suis journaliste, pas blogueur ni buzzeur. Quand on est journaliste, on est un hub centralisateur de beaucoup d’informations. La première mission, c’est de vérifier ces informations, mais pas en allant sur Wikipedia et Buzzfeed. Mon métier c’est pas de faire un RT et de faire le buzz. Non, moi je contacte. 20 ans de terrain. » En bon « journaliste de terrain », sérieux, appliqué, déontologue revendiqué et investi d’une mission démocratique, Jean-Paul Ney demande à ses sources : « J’ai le feu vert ? – c’est un langage qu’on a entre nous – et ils m’ont dit oui. Je tiens à répéter je ne ne donnerai jamais le nom de mes sources. » Et le tweet fut.

L’accusation et le tribunal se demandent si Jean-Paul Ney a conscience d’avoir diffusé des informations couvertes par le secret de l’enquête. Mais la mission de Ney transcende ces contingences légales : « Il y a des impératifs prépondérants qui convergeaient, et je me suis permis de diffuser, notamment pour informer mes confrères feignants, ceux qui se contentent de recopier des dépêches. »

Ce qui étonne, chez ce quarantenaire épais à la barbe et aux yeux noirs, c’est l’infini sérieux qui l’habite. Mais Jean-Paul Ney, en dépit du rôle prépondérant qu’il joue dans la lutte contre le terrorisme, sait rester humble. « Je ne suis qu’un tout petit maillon qui, ce jour là, le 7 janvier, a juste fait son travail de vérification. » Il évoque le cas du tireur de Libération. « En diffusant son nom, j’ai forcé la justice à faire un appel à témoin. Ils ont pu le retrouver à temps, alors qu’il était en train de se suicider. Grâce à cela, il y aura un procès. Vous voyez, le maillon démocratique ? C’est ça. »

« Au final, à quoi cela a-t-il servi ? À neutraliser les terroristes »

La procureure, remontée, s’étrangle : « Personne ne se pose la question de la conséquence de ses actes, et vous non plus Monsieur Martinet. » À M. Ney : « À quel moment vous posez-vous la question de l’intérêt de diffuser une information ? – Une information atteint mes radars. Je la vérifie en demandant à des gens dont la mission est de traquer le terrorisme. Mon avis personnel : au final, à quoi cela a-t-il servi ? À neutraliser les terroristes. – Grâce à vous Monsieur Ney », dit le parquet qui vient de cerner le personnage.

Jean-Paul Ney a quatre condamnations au casier : vol avec violences sans ITT en 2000, menaces de mort réitérées en 2004, vol et appropriation d’un secret national en 2006, diffamation en 2008. Soit que ce fut par un « mauvais karma » ou pour « protéger une source », ces condamnations sont expliquées, justifiées par l’intéressé. Pierre Martinet a été condamné une fois pour la divulgation d’un secret militaire, et une autre pour une conduite en état d’ivresse. Les deux policières ont un casier vierge.

Plus pour longtemps, selon le souhait de la procureure. « Il n’a échappé à personne que je prenais ce dossier très à cœur, je resterai calme. » Courroux voilé, elle attaque : « Ces gens n’ont aucun problème à violer le secret professionnel, on nous dit que c’est la réalité des réseaux sociaux, que c’est la vie, qu’il n’y a plus qu’à baisser les bras. » Ses propos fusent : « On vient nous parler de chaine de solidarité, d’impératif prépondérant et de maillon de la démocratie, comme s’il s’agissait d’un spam du nouvel an. » Elle cite des policiers qui témoignent, dans le dossier, des conséquences néfastes sur l’enquête de ce genre de révélations. Contre les policières, elle demande deux mois avec sursis, sans s’opposer à ce que la condamnation ne soit pas inscrite au B2, pour qu’elles puissent continuer à exercer. Contre Pierre Martinet et Jean-Paul Ney, elle requiert 3 000 euros d’amende. « Le journaliste n’a pas toujours le droit de diffuser, c’est son choix, il l’assume », cingle-t-elle, alors que le « journaliste de terrain, carte 100 495 » fulmine, trépigne et tremble d’indignation sur son banc, tant que la présidente est forcée de le recadrer.

« Ce n’est pas inhabituel, c’est franchement illégal ! »

Tous en défense plaident la relaxe. Me Henri de Beauregard, conseil de Pierre Martinet, cherche en vain les dispositions légales qui autorisent la diffusion d’informations de l’enquête à l’ensemble des policiers de France. Il s’étonne que le ministère public entérine le cadre « inhabituel » de la diffusion de ces informations. « Ce n’est pas inhabituel, c’est franchement illégal ! Il n’y a qu’une seule violation du secret professionnel, c’est celle commise par les policiers de la brigade criminelle. » Le seul recel proviendrait de celui qui a transmis l’information reçue de ce policier de la BC, et on ne sait pas qui c'est. Pour l’avocat, « on a procédé à l’envers, les enquêteurs sont partis de Pierre Martinet, ont vu ses relations avec les deux policières et Monsieur Ney », et voilà. Aucune recherche plus en amont pour découvrir qui est à l’origine de la fuite. Sur les MMS envoyés en masse par des syndiqués de Alliance, et qui figurent en procédure. Sur le responsable de Wikistrike, qui a diffusé les documents en premier et qui n’a pas été inquiété. Finalement, M. Martinet – et les autres – ne seraient coupables que de recel de recel, donc de rien, car c'est « une infraction qui n’a aucune réalité ».

C’est la réputation de Jean-Paul Ney et la qualité de Pierre Martinet qui auraient orienté l’enquête. L’ineffable et désopilant barbouze de la pige, reporter sans filtre, aimant à jaloux, qui a su prouver que sur Twitter ou au tribunal, sa gouaille toujours l’emportait, sa voix jamais ne se taira – sauf si on lui demande ses sources.

La décision sera rendue le 12 octobre.

L'auteur de l'article n'ayant pu, hélas, rester pour les plaidoiries de la défense, les éléments diffusés ici proviennent d'une conversation ultérieure qu'il a eue avec Me Henri de Beauregard. Tous ces arguments avaient été développés à l'audience.

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