« Passons au dernier dossier… » La soirée est déjà avancée quand la présidente lève le nez vers trois femmes roms en rang d’oignons dans le box des prévenus. « … avec interprète, j’imagine », grince-t-elle. Mais Fatima, Sabrina et Vina parlent très bien français. C’est l’avocat de la première qui, se levant d’un bond, en informe le tribunal d’un « Non ! » tonitruant.
L’affaire est un embrouillamini d’états civils multiples et de déclarations divergentes. La présidente tourne les pages, égrène des noms, des lieux de naissances. Souffle. Avise Fatima : « Bon, on va arrêter les conneries comme disent les prévenus : Née où ? Quand ? Nationalité ?
– Allemagne, Villingen, 1974, Serbe
– Yes ! Enfin, Ja ! »
Les trois femmes sont prévenues d’un vol avec effraction. Elles ont été aperçues par des policiers, sortant d’un immeuble du boulevard Haussmann. Les agents qui les appréhendent trouvent sur elles un ciseau émoussé. La serrure d’une porte du troisième étage a été forcée. Interpellation, comparution. Fatima et Sabrina sont en état de récidive.
Au banc des parties civiles : personne. « À moins que l'avocat soit couché sous le banc ? Non ? Donc dans ce cas le tribunal va renvoyer l'audience. Car voyez-vous, il y a les droits des prévenus et le droit des victimes. Madame le procureur ? » Sans surprise, le parquet demande le placement des trois prévenues en détention provisoire.
« Cela me fait penser à l’affaire du sang contaminé »
Il n’en fallait pas tant à la défense pour exploser. Déjà, depuis une bonne heure, l’avocat de Fatima fulminait sur son banc en tournant les pages du dossier. « Scandale… n’importe quoi… jamais vu ça ! » maugréait-il. « Les conditions de renvoi sont ubuesques ! On a l’adresse, l’étage, le nom, et on nous dit qu’on ne peut pas contacter la victime ? Non mais c’est hallucinant ! » tonne-t-il maintenant devant le tribunal. « Et le parquet demande le maintien en détention ? Donc on fait échec aux droits fondamentaux pour une raison ubuesque ? Cela me fait penser à l’affaire du sang contaminé ou l’on disait : "Capable des faits, donc coupable". »
Le fond ne doit pas être abordé maintenant, mais l’avocat n’a pas le choix : « La police ne relève nulle part d’empreintes alors qu’elles n’ont pas de gants ? La police note qu’elles sont restées 30 minutes dans l’immeuble alors que les horaires inscrits font apparaître un délai de 50 minutes ? Devant un tel dossier, on pourrait être plus modeste. » Il demande le placement sous contrôle judiciaire « pour faire cesser l’absurdité de cette situation », s’assoit sur le banc qui jouxte le box et se frotte les yeux, courbé jusqu’au sol.
Son associé reprend le flambeau : « J’ai envie de hurler que ce sont des mesures privatives de liberté ! » hurle-t-il. Il poursuit, harponne la légèreté dialectique du ministère public : « J’aurais bien aimé que la procureure explique les risques de réitération de mes clientes. Pas un mot sur le caractère exceptionnel de cette mesure. Madame le président, je vous demande de sanctionner cette absence d’arguments sur les conditions restrictives de la détention provisoire. »
Les prévenues contestent les faits, promettent de respecter le contrôle judiciaire le plus contraignant qui soit : « Je ferai tout ce que vous voulez », déclarent-elles toutes les trois pour clore l'audience, avant de disparaître dans la souricière le temps du délibéré.
Détention provisoire.