Tout au long de sa vie, Michel Fourniret n'a connu que des êtres d'exception. Ses parents : « Un exemple de courage et de force de travail. » Son père Jules, mécanicien : « Un homme simple, honnête, d'une grande qualité professionnelle. » Plus tard, à la barre, un psychologue racontera la fierté du petit Fourniret quand son père les avait tirés, lui et sa sœur Huguette, dans une remorque installée derrière un vélo, sur une côte de Sedan, sa ville natale. Le père avait pédalé si fort qu'il était arrivé en haut de la côte avant tous ses collègues, qui montaient pourtant, eux, sans tirer personne.
« L'effet de la boisson, sans doute, a fait dépérir le ménage », ajoute Michel Fourniret depuis son box en verre, en s'exprimant comme s'il écrivait sa propre biographie. « À cause de la boisson, il n'avait pas toujours des comportements très corrects. Il lui arrivait d'être un peu pompette, mais il n'a jamais offert un spectacle déplorable. » Puis : « J'avais 12 ans en 1954, quand ils ont divorcé. Ça fait partie des événements qui ne sont pas anodins dans la vie. »
Un avocat des parties civiles l’interroge sur sa mère, Julia, tisseuse : « Sachez, Monsieur l'avocat, que ma mère était un être d'exception. » Une mère qu'il accusera pourtant de viol pour justifier ses propres crimes et sa haine des femmes. Julia fait des ménages à la Kommandantur pendant la guerre. La rumeur lui prête des liaisons avec les Allemands. Fourniret en souffre, il a du mal à s'intégrer à l'école. Il est transféré dans un collège technique et devient tourneur-fraiseur à Charleville-Mézières : « Il faut dire que j'ai un attrait pour le travail manuel. » Ses énormes mains, disproportionnées par rapport à son petit corps, sont là pour en témoigner.
Pendant la guerre d'Algérie, Michel Fourniret sert au sein des commandos de l'air.
« Vous avez participé à des opérations ? demande l'avocat de la partie civile. – Juste des patrouilles, aucune opération sérieuse. J'étais un simple bidasse, mais j'y ai rencontré une autre classe de qualité d'hommes ! »*
À son retour d'Algérie, il épouse sa première femme, A. : « C'est, à mes yeux, un être d'exception. » Cet être d'exception est pourtant, selon lui, la cause de tous les crimes qu'il commettra plus tard : « C'est une femme qui manquait par trop d'inexpérience. Si je n'avais pas épousé une femme riche d'expériences, tout ça ne serait pas arrivé.
– En somme, vous lui en voulez d'avoir eu une vie avant vous, commente l'avocat.
– Des vies ! »
Après trois ans de mariage et la naissance d'un enfant, le couple divorce. Michel Fourniret explique que c'est à cause du « manque d'inexpérience » de sa femme. Le président le reprend : « Est-ce que ça ne serait pas plutôt à cause de votre convocation au commissariat ? » Michel Fourniret est soupçonné d'avoir fait monter une fillette dans sa voiture et de l'avoir touchée. Il écope de huit mois de sursis et Annette le quitte. « Je n'ai aucune souvenance de cela », répond le vieil homme de 76 ans, ses deux grosses mains agrippées à la barre de son box.
« Un homme d'une qualité exceptionnelle »
Les années passent, et Michel Fourniret devient dessinateur-industriel. Sur le quai d'une gare, il rencontre N., qui devient rapidement sa deuxième femme, en 1970 : « Un être d'exception, également. » Avec N., Michel a trois enfants. L'un d'eux meurt dans un accident de travail en 1995, à 24 ans, parce qu'il voulait prouver à son père qu'il était aussi courageux que lui, malgré ses mains fines. Un autre se suicidera, dans les années 2000, bouleversée par les crimes de son père.
Le 23 mars 1984, Michel Fourniret est arrêté à nouveau. Il a tenté, une fois de plus, d'enlever une jeune fille de 20 ans, mais l'a finalement laissée filer. Devant les gendarmes, il avoue quinze agressions sexuelles et un viol. Il est condamné à sept ans de prison, dont deux avec sursis. N. le quitte.
À Fleury-Mérogis, Fourniret fait la connaissance d'un autre détenu, Selim : « Un garçon d'une grande qualité morale. » Quelques années plus tard, il appellera son propre fils Selim, en souvenir de ce détenu. Il rencontre également Jean-Pierre Hellegouarch, un ancien braqueur : « Un homme d'une qualité exceptionnelle. »
À sa sortie de prison, Michel Fourniret assassinera la femme de Jean-Pierre Hellegouarch, Farida Hammiche, pour s'emparer d'un stock d'or ayant appartenu au gang des Postiches. Après le meurtre, il jouera la comédie et parviendra à faire croire à Jean-Pierre Hellegouarch qu'il n'a rien à voir avec la disparition de sa femme. Dans un élan de cynisme stupéfiant, il ira même jusqu'à donner le prénom de Jean-Pierre comme deuxième prénom à Selim, et décrétera d'autorité que Jean-Pierre est le parrain de son fils.
« À l'époque, Jean-Pierre était un sacré bonhomme, et je le tiens toujours pour tel », ajoute Michel Fourniret, droit dans son box, en regardant dans les yeux l'homme dont il a tué la femme, il y a trente ans.
Toujours est-il qu'après avoir croisé tant de gens exceptionnels, Michel Fourniret, dans sa prison de Fleury-Mérogis, s'ennuie. En 1986, alors qu'il est incarcéré depuis deux ans, il passe une annonce dans Le Pèlerin : « Prisonnier aimerait correspondre avec une personne de tout âge pour oublier solitude. » À l'autre bout du journal, une autre solitude répond. C'est Monique Olivier. Michel Fourniret et Monique Olivier vont rester mariés pendant 24 ans et commettre, main dans la main, l'une des pires séries de crimes des annales judiciaires françaises.
« Comment perceviez-vous Monique Oliver, Monsieur Fourniret ? demande le président de la cour d'assises.
– Je ne saurais pas vous dire. J'ai mémoire pour quantité de choses, mais là… »
Le président lit la déclaration de Michel Fourniret, faite à un expert il y a quelques mois : « Monique Olivier est une pauvre créature qui ne réfléchit jamais. Elle a un poil dans la main et vit aux crochets d'autrui. Elle n'a rien entre les deux oreilles, c'est un pétrin à modeler, une pure idiote.
– C'est ce que vous pensez ? poursuit le juge.
– Je ne renie pas ces déclarations. Elles sont probablement exagérées, mais pas totalement infondées. Elle n'a pas que des défauts, elle a certainement des qualités, mais je ne les connais pas. »
Tous les regards se tournent alors vers Monique Olivier, qui écoute, depuis le début de l'audience, prostrée sur un côté du box, presque invisible. Elle regarde dans le vide, n'a aucune réaction, cligne des yeux frénétiquement toutes les demi-secondes. C'est vrai : elle a l'air parfaitement idiote.
« Je ne suis pas très courageuse vous savez. Je ne suis pas courageuse »
« Madame Monique Olivier, levez-vous », demande le président de la cour d'assises de Versailles. La vieille femme au teint d'olive se lève et tente de manœuvrer le micro en tremblant. Tout en elle est illisible. Ses yeux, ses lèvres, son visage, sa posture, n'expriment absolument rien. Le juge l’interroge sur son père. Monique Olivier répond d'une toute petite voix colorée d'un chuintement :
« Oh, disons qu'il ne s'occupait pas beaucoup de moi. Je ne peux rien dire spécialement dessus. Ce n'est pas qu'il ne m'aimait pas. Il était indifférent. Il n'a jamais été méchant ni rien… Ensuite, ma mère est devenue alcoolique. Je ne sais pas pourquoi, elle avait sûrement une raison pour le devenir. J'ai eu une enfance, disons, solitaire. J'aimais bien faire de l'archéologie, je faisais des fouilles, toute seule. »
Monique Olivier, scolarisée à Nantes, rate le certificat d'études. Plus tard, son père l'inscrit dans une école de secrétariat. Elle y reste deux ans, sans obtenir de diplôme. À 18 ans, elle trouve du travail chez un gérant d'immeubles, comme dactylo. Un employé dit d'elle : « Elle avait l'air paumée. C'était une pauvre femme qui avait besoin d'une tutelle, incapable de s'assumer. La personne qui l'a embauché avait voulu lui donner une chance. »
À 22 ans, elle rencontre un homme, André, qui tient une auto-école. Monique Olivier travaille dans l'auto-école et se lie avec André. Ils ont deux enfants. Un proche, dans un interrogatoire, se souvient : « N'importe qui pouvait en faire n'importe quoi, c'était une femme simple, craintive, incapable de s'assumer. »
Une nuit, André devient très violent avec Monique Olivier. Il la frappe et tente de la noyer dans une baignoire. Monique Olivier part, trouve refuge dans un foyer pour femme battue, puis chez une amie. Jusqu'au jour où elle lit une annonce dans Le Pèlerin.
« Ce qui m'intéressait, ce n'était pas d'avoir du courrier dans la boîte aux lettres. C'était d'exister pour quelqu'un. J'étais seule. Je voulais sortir de la solitude. »
Monique Olivier s'accroche à Michel Fourniret, « comme une planche de salut, une roue de secours », car elle « ne savait pas où aller ». En prison, le détenu signe ses lettres « Shere Khan », il s'adresse à sa « Natouchka ». Il lui promet une vie d'aventure, d'illégalité, d'enlèvements. Il la prévient qu'il aura besoin de « fentes » et de « MSP », des « Membranes Sur Pattes ». Elle accepte de les lui fournir. À la sortie de prison de Michel Fourniret, en 1987, Monique Olivier est là. Le couple ne se quittera plus jusqu'à leur incarcération. Pendant 17 ans, elle sera la complice active dans son épopée monstrueuse et servira d'appât, attirant, kidnappant et préparant les proies de son mari.
« C'était comment, la vie avec Michel Fourniret ? interroge le président.
– Oh, ce n'était pas très gai. Il aimait bien m'humilier devant les gens. Il avait des paroles qui faisaient l'effet d'une paire de gifles. On vivait dans la crainte et il travaillait tout le temps. Tous les dimanches, il fallait faire des crêpes, parce que son ancienne femme en faisait. J'essayais de le quitter, mais je ne savais pas où aller. »
Pour la première et la dernière fois des quatre jours d'audience, Monique Olivier laisse couler quelques larmes, semble vraiment émue : « Oh, moi, je ne suis pas très courageuse vous savez. Je ne suis pas courageuse. »
Une voisine des Fourniret, dans les années 1980, avait raconté que Monique Olivier, pendant la journée, restait assise à une table, sans télévision, sans radio, à fumer et boire du café, à attendre, sans rien faire.
Interrogée par la police, l'une des filles de Michel Fourniret, se souvient de Monique Olivier : « Elle semblait apeurée par Michel Fourniret et son autorité. » L'un des fils de Monique Olivier : « Elle était passive, craintive, complètement soumise à Fourniret. » N., la deuxième femme de Fourniret : « C'était un être faible, que Fourniret devait mépriser car elle était incapable de le contrer. »
« J'attendais. Le temps m'a paru très long »
Dans le box des accusés, pas une seule fois, Monique Olivier et Michel Fourniret ne se regardent. Quand Monique Olivier parle de son ancien mari, elle dit « Michel Fourniret » ou « Fourniret ». Quand Fourniret parle de son ancienne femme, il dit « Monique Olivier ». C'est à peine s'ils écoutent ce que l'un dit de l'autre.
« Vous avez entendu ce que Michel Fourniret dit de vous, Madame Olivier ? Qu'est-ce que vous en pensez ? demande l'un des avocats de la partie civile.
– Ça ne m'étonne pas de lui. C'est un homme très fier, prétentieux. Il voulait toujours être premier partout. Il m'a trompée sur toute la ligne. Je demande pardon aux familles, même si c'est impardonnable et que c'est un peu ma faute. »
Michel Fourniret occupe, à lui tout seul, quasiment les trois quarts du box des accusés. Monique Olivier, elle, se colle à la paroi, de son côté. Elle ne dit rien, cligne des yeux, semble absente. Elle écoute parfois, sans grand intérêt, comme si elle regardait une mauvaise pièce contre son gré, et qu'elle n'avait rien de mieux à faire que d'écouter. Elle est tellement invisible que le président de la cour d'assises l'oublie régulièrement, quand il pose sa question traditionnelle aux témoins : « Connaissiez-vous l'accusé, avez-vous travaillé à son service, ou lui au vôtre ? » comme si Michel Fourniret était seul dans le box.
Quand elle raconte sa vie, ou le crime qu'on lui reproche, Monique Olivier ne se souvient que des grandes lignes. C'est comme si toute son existence avait été un film qu'elle avait regardé du coin de l’œil, sans émotion et sans pouvoir en modifier le cours. Quand elle a conduit Michel Fourniret et Farida Hammiche pour déterrer le trésor des Postiches dans un cimetière, tout ce dont elle se souvient, c'est de l'attente : « J'ai attendu dans la voiture, ça m'a paru très long. » Quand Michel Fourniret a assassiné Farida Hammiche, Monique Olivier était à quelques mètres, et elle savait qu'il était en train d'étrangler la jeune femme : « J'attendais. Le temps m'a paru très long. »
À la regarder dans son box, à voir son peu de vivacité et d'intérêt, on peut se douter qu'une fois de plus, comme elle l'a fait pendant toute sa vie, elle attend, et que le temps lui paraît très long. À la fin de chaque journée, elle salue son avocat avec un sourire poli, puis se rassoit et garde ce même sourire sur les lèvres, en regardant dans le vide, jusqu'à ce que son absence d'expression habituelle reprenne sa place. « Ce n'est pas évident, de voir des émotions sur le visage de Monique Olivier », explique un enquêteur.
Finalement, un avocat de la partie civile demande à Monique Olivier : « Sans vous, Michel Fourniret n'est rien. Est-ce que vous vous en rendez compte ? » Elle répond : « Oui. » À ce moment-là, Michel Fourniret s'agite. Il ne supporte pas que Monique Olivier puisse lui voler la vedette, qu'elle puisse être, par son absence totale d'empathie, plus monstrueuse que son monstrueux mari.
Le même avocat interroge Michel Fourniret : « Finalement, c'est Monique Olivier qui, en avouant, vous force à avouer ? » Michel Fourniret s'insurge : « Monique Olivier, m'obliger à quelque chose ? Mais vous plaisantez, mon vieux, vous n'êtes pas sérieux ? » Plus tard, il dira : « Monique Olivier, c'est un corps d'adulte, et dans ce corps d'adulte, il y a le cerveau d'une gamine. » Monique Olivier, sur son banc, ne lève même pas les épaules.
Une chose est sûre, c'est qu'en 2008, au procès de Charleville-Mézières, Michel Fourniret avait explosé de jalousie quand une expertise avait crédité Monique Olivier d'un quotient intellectuel de 134, bien supérieur au sien.
« Un livre qui s'appelle L’Étranger »
Le dernier jour de l'audience, juste avant la clôture des débats, quatre psychologues et deux psychiatres sont venus expliquer le mécanisme qui unissait Michel Fourniret et Monique Olivier. Ils sont tous les deux pervers et paranoïaques. Michel Fourniret, lui, est également mégalomane. Il souffre depuis l'enfance et, pour atténuer sa souffrance, il torture et détruit tout ce qu'il peut. Sans Monique Olivier, il n'aurait pas été aussi « parfait » dans son parcours de tueur en série. La présence d'un témoin décuplait sa volonté et sa capacité à faire du mal.
Monique Olivier, elle, souffre également de sa solitude depuis l'enfance, mais elle est possédée par un sentiment d'infériorité très intense. Elle a l'impression qu'elle ne compte pour rien, qu'elle n'existe pas. Elle ne peut vivre qu'à travers l'autre. Elle est néanmoins, comme son mari, traversée par un très fort désir de vengeance que personne ne parvient vraiment à expliquer, ni chez lui, ni chez elle. Elle a trouvé, chez Michel Fourniret, un être aussi pervers qu'elle, capable d'accomplir ce qu'elle ne pouvait pas faire. Elle en tirait une jouissance aussi grande que la sienne.
Quant à son intelligence, plusieurs psychologues ont revu son score à la baisse, jusqu'à la faire descendre à 95, un résultat sensiblement inférieur à la moyenne. Ils notent cependant qu'elle n'est pas très réceptive aux tests, qu'elle s'y plie à reculons et sans s'y intéresser. On peut également la soupçonner d'être suffisamment intelligente pour rater volontairement les tests afin de minimiser sa responsabilité.
Aujourd'hui incarcérée, Monique Olivier vit dans une solitude extrême. Quand le juge lui a demandé si ses trois fils continuaient de la voir, en détention, elle a répondu : « Oh non. Ils sont trop loin », comme si la distance empêchait des enfants de voir leur mère. Puis, quand le juge a demandé si elle les avait au téléphone, elle a répondu : « Non, ils ne m'appellent jamais, parce que les horaires ne correspondent pas. »
Monique Olivier est emprisonnée à perpétuité, elle pourra demander une libération conditionnelle en 2033. Le rapport de détention transmis au juge fait état d'une femme « discrète, introvertie, effacée, craintive, qui vit dans un sentiment de peur ». Elle ne reçoit aucune visite, aucune communication, à part quelques lettres d'un homme de l'association « Amitié sans visage ».
D'elle-même, elle a demandé à être placée en quartier d'isolement, où elle ne voit personne, par crainte des agressions des autres détenues : « Je les comprends. À leur place, je ferais la même chose. » Dans sa cellule, elle apprend l'italien et l'anglais par correspondance, sans jamais parler à personne.
Hantée toute sa vie par la peur de la solitude, prête à tout pour exister pour quelqu'un, Monique Olivier, par ses actions, s'est exclue elle-même de la société des êtres humains. Par une longue succession de choix dont elle est l'unique responsable, elle vit aujourd'hui, précisément, de la manière qui la terrifiait le plus depuis l'enfance : seule, probablement pour toujours.
D'après les psychologues et les psychiatres qui l'ont expertisée, elle n'a aucun remord, aucun regret. Elle dort et mange bien. Sa seule source d'anxiété concerne ses conditions d'incarcérations. Elle évoque un sentiment de honte, qui ne concerne que le regard que les autres détenues portent sur elle, sans rapport avec les actes qu'elle a commis.
Quand un avocat avait demandé à Michel Fourniret : « Vous avez rencontré beaucoup de gens exceptionnels. Est-ce que Monique Olivier est une femme d'exception ? » Michel Fourniret avait marqué une pause, cherché ses mots : « Dans la littérature, il y a un livre qui s'appelle L’Étranger. Je dirais que Monique Olivier, c'est l'Étrangère. »