« Moi je suis Daech, Allah Akbar je reviendrai tous vous niquer »

Voici Mohamed qui s’approche du micro, fine barbe pleine de trous et chemise noire cintrée. À 27 ans, c'est la première fois que ce chauffeur de taxi au chômage est jugé. On lui reproche trois délits. « Reconnaissez-vous les faits ? – Ça dépend. – La conduite sous l’empire d’un état alcoolique ? – Oui. – Les insultes et outrages à agent. – Je reconnais qu’il y a eu un échange d’insultes verbales. » La présidente note, il reprend : « Mais pour l’apologie d’un acte terroriste, je ne reconnais pas du tout. »

Il est très tard ce samedi, un taxi est aperçu passage Edgar Quinet, dans le 14e arrondissement de Paris. « Les policiers voient le conducteur utiliser son téléphone, faire des embardées, rouler à vive allure et griller un feu rouge », résume la présidente. Les policiers l’interpellent, découvrent trois passagers et un compteur à 27 euros. « Et une carte professionnelle qui n’est pas à votre nom », relève-t-elle. « Je rentrais de soirée, on m’a demandé de déposer ces gens, un ami m’avait prêté son taxi. J’avais arrêté de boire depuis 21 h », explique-t-il. Les policiers qui le contrôlent remarquent qu’il titube en sortant de son véhicule – ce qu’il conteste – le font souffler dans l’éthylotest qui revient positif. Puis la situation dégénère.

« Tout ce dont je me souviens c’est qu’il y a eu plein d’insultes »

« J’étais énervé, le policier m’a menotté, m’a brusqué et plaqué contre le véhicule. » Il insiste : « Ils m’ont insulté de tous les noms, je les ai insulté de tous les noms. Tout ce dont je me souviens c’est qu’il y a eu plein d’insultes. » Quelles insultes ? Mohamed est très poli, mais ne se souvient de rien. La présidente est embêtée : « Pourtant, ça aurait dû vous marquer. – C’est l’alcool. – Je croyais que vous n’aviez pas tant bu que ça. – C’est que je suis un buveur occasionnel », hésite-t-il. Le tribunal est sceptique. « Manifestement vous n’avez pas envie de dire ce que vous avez dit », pense la présidente, qui pourfend la défense d’une formule : « Comment savez-vous que vous n’avez pas dit tout cela, si vous ne vous souvenez plus de ce que vous avez dit ? » Mohamed est étourdi.

L’amnésie touche tant les outrages que l’apologie, mais les fonctionnaires de police ont tout noté. La présidente lit : « Vous auriez proféré : "Bande de trous du cul, tu veux voir ma bite, flics de merde." » Le procès-verbal note que Mohamed est passé à l'action. Il se serait mis entièrement nu et, tout en continuant d’inonder les policiers d’outrages sexuels, aurait joué avec son sexe en faisant des propositions indécentes au policiers.

La présidente lit un autre procès-verbal : « Vous êtes dans le local de fouille, derrière la vitre, et vous dites : "Moi j’ai de la barbe comme Daech, ici c’est pas comme le Bataclan où ça a fait boum boum hier (sic)." Puis, lors de la palpation : "Vous faisiez pas les malins vendredi, moi je suis Daech, Allah Akbar je reviendrai tous vous niquer." » Ils sont trois policiers à avoir témoigné, mais Mohamed réfute totalement et prétend même avoir été frappé – alors que les policiers soutiennent qu’il s’est tapé la tête contre les murs « pour faire croire qu’il avait subi des violences ».

Un avocat représente les trois fonctionnaires absents à l’audience. « Les faits sont consternants » ; il ne veut pas en rajouter et demande 450 euros pour le préjudice moral. Alors la procureure se lève, visage sévère et fine lunettes : « Il est dans une provocation et une toute puissance incroyables, c’est absolument insupportable. » Le délit d’apologie doit être public pour être constitué. Est-ce le cas dans un commissariat ? « La salle de fouille possède une porte vitrée, tous les policiers passent devant. » Le mis en cause criait, était très virulent, le public n’était pas assez loin pour ne pas entendre. Elle brandit un jugement du tribunal correctionnel de Charleville-Mézières qui valide sa thèse. Elle demande six mois de prison avec sursis assortis d’une mise à l’épreuve. Peine clémente « en raison de sa personnalité ».

« Pourquoi est-ce qu’on croirait forcément les policiers ? »

La jeune avocate qui défend Mohamed engueule presque le tribunal : « Il n’y a aucun élément objectif dans cette affaire, pourquoi est-ce qu’on croirait forcément les policiers ? » Elle minimise les emportements de son client : « Il n’a pas voulu dire les propos devant vous par pudeur et par honte. » Mais elle réfute totalement l’apologie du terrorisme : « Le caractère public n’est pas démontré, il n’est pas vérifiable », dit-elle en plaidant la relaxe. Elle aimerait qu’on lui concède des TIG avec sursis pour le surplus.

Mohamed est relaxé du délit d’apologie d’un acte terroriste, condamné à trois mois pour les outrages et la conduite sous alcool – qui lui vaut également six mois de suspension de permis. Aux policiers, il versera 400 euros pour le préjudice moral.

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