« À quelle âge est fixée la majorité en France, monsieur ?
— Euh... 16 ans ? »
La procureure marque une légère pause, décontenancée. Elle se reprend vite :
« Non, Monsieur. C'est 18 ans.
— Ah bon ? Bah ça je savais pas, vous voyez. Vous me l'apprenez ! »
Il y a une telle naïveté dans la voix de cet homme que la salle entière ne peut dissimuler un sourire derrière son masque. Il comparaît pour avoir consulté des sites pornographiques mettant en scène des mineures. L'audience devait initialement avoir lieu en janvier 2021 mais Arthur ne s'était pas présenté ; s'il a finalement fait le déplacement jusqu'à la barre aujourd'hui, c'est uniquement grâce à un mandat d'amener. Non pas qu'il semble vouloir échapper à ses responsabilités, pourtant : en réalité, il ne paraît même pas avoir conscience du fait qu'il en ait à assumer. En réalité, on pourrait penser qu'il est un enfant déguisé en Homme de trente-trois ans.
À plusieurs reprises, il répète que « c'est pas bien » ce qu'il a fait, comme pour s'en convaincre lui-même. La présidente du Tribunal tente de savoir si Arthur continue de consulter ces sites. La réponse qu'elle obtient est d'une franchise désarmante : « Bah non, il y a eu une fermeture administrative, c'est pour ça que je peux plus... » Son avocat émet un petit rire crispé. La présidente creuse un peu : « Monsieur, vous avez conscience que ce n'est pas légal à partir du moment où il s'agit de mineures ? » Pour seule réponse, elle obtient un hochement de tête accompagné de la ritournelle « c'est pas bien ». Elle insiste : « Vous ne semblez pas avoir conscience de la notion d'âge. 18 ans, plus, moins, ça semble compliqué pour vous tout ça... » Il la fixe, l'air hagard. Elle enchaîne : « Vous pourriez m'expliquer comment ça se fait qu'on ait retrouvé dans votre historique des recherches comme Fille qui viole son fils ou Père japonais qui baise sa fille ? C'est quand même très ciblé et violent ça, non ? » Un long silence s'installe. On sent que le prévenu essaye de parler, de s'expliquer, mais que ses lèvres et son cerveau ont du mal à se coordonner.
Il faut dire qu'il est atteint d'un trouble de communication verbale, d'un trouble d'articulation, du syndrome d'Asperger et qu'il est impossible de passer à côté de son handicap : comprendre ses déclarations est un exercice qui se révèle pour le moins complexe. La présidente se fait d'ailleurs un devoir de répéter (voire de reformuler un peu) ses réponses lorsqu'elle-même en saisit le sens (ce qui demande parfois de longues minutes).
On finit par deviner que, selon lui, ce sont des mots-clefs proposés automatiquement par le moteur de recherche lorsqu'il se rendait sur le site en question, et qu'il n'a fait que cliquer sur les suggestions de l'algorithme. Il ajoute, penaud : « Je savais pas que c'était interdit. » Les magistrats lui réexpliquent la loi, avec beaucoup de pédagogie. Ça semble l'apaiser et il souscrit à ce petit laïus avec la même fierté qu'affiche un enfant qui aurait enfin compris la consigne de l'exercice : « Maintenant j'ai compris. C'est pas bien. »
La présidente enchaîne avec le témoignage du directeur de l'ADAP (dans lequel il résidait au moment des faits, de septembre 2019 à mai 2020) : Arthur se promènerait dans les couloirs nu après la douche, il parlerait continuellement de sexualité et il négligerait son hygiène. Aucune réaction de la part du principal intéressé. En revanche, quand elle lui demande l'âge des prostituées qu'il côtoierait à Paris lors de ses virées les week-ends, il s'anime d'avantage. Il déclare qu'il les rencontre par le biais d'Internet.
« Vous en voyez encore ?
— Non, mais c'est juste à cause du confinement...
— Les 902 euros d'allocation que vous touchez par mois au vu du fait que vous êtes considéré dans votre dossier MDPH comme invalide à 80%, ils vous servent à financer ces sorties ?
— Oh bah oui.
S'il y a une chose que personne ne peut enlever à Arthur, c'est son honnêteté. Mais la présidente ne se laisse pas déstabiliser par celle-ci et continue à s'adresser à lui avec beaucoup de douceur et fermeté, comme si elle avait un petit garçon en face d'elle :
« Mais Monsieur, vous leur demandez leur âge aux prostituées que vous voyez ?
— Euh... Non. Non, parce que je suis pas difficile.
— Bon, vous n'êtes pas poursuivi pour ces faits-là aujourd'hui mais, vous savez qu'avoir recours à la prostitution n'est pas légal en France ? Et encore moins avec des mineurs ?
La réponse fuse, prévisible : « Oui. C'est pas bien. »
L'expertise indique que le prévenu est « relativement accessible à une sanction pénale ». Ce « relativement » prend tout son sens au vu de l'audition qui est en train de se dérouler. La présidente demande à ses assesseurs s'ils ont des questions. L'un d'eux s'attarde sur son parcours, sur son arrêt de l'école en troisième, sur sa vie en Italie jusqu'en 2013 et sur le fait apparemment anecdotique qu'il ait loupé son code. C'est la seule fois de l'après-midi où il enchaînera autant de mots à la suite : une des juge est même obligée de le couper quand il commence à expliquer que c'est à cause des « lumières » et des « feux de brouillard » qu'il a raté l'examen.
Elle retrouve cependant un semblant de normalité lorsque l'on passe aux réquisitions du ministère public : six mois d'emprisonnement avec un sursis probatoire de trois ans, inscription au fichier judiciaire national des auteurs d'infractions sexuelles et interdiction de fréquenter des mineures.
D'ailleurs, son avocat insiste bien là-dessus : même si son client ne dispose pas d'une réelle capacité d'empathie et même s'il a des difficultés à discerner le bien du mal, il fait preuve d'une bonne volonté indéniable pour se plier aux codes de la société dans laquelle il vit. Le problème d'Arthur, ce serait qu'il a des centres d'intérêt restreints mais que ceux-ci prennent systématiquement la forme d'obsessions. Il a par exemple dû attendre trente et un ans avant d'avoir son premier rapport sexuel ; immédiatement, cette découverte a révolutionné son quotidien. La demi-mesure et Arthur, ça fait manifestement deux.
Finalement, le Tribunal condamne Arthur à six mois d'emprisonnement assorti d'un sursis simple. Son nom est également désormais inscrit dans le FIJAIS.