Après plusieurs cas de vols et de violences, Brigitte Marchais, présidente de la chambre des comparutions immédiates de Paris, se penche sur le dossier de Ludovic, un rebeu un peu chétif, la vingtaine tout juste. « Vous avez été placé en garde à vue dans des conditions peu communes, commence la présidente. Vous et votre compagne êtes venus au commissariat "pour vous constituer prisonnier", même si la procédure n'existe pas en France. Vous étiez déjà venu quelques jours auparavant pour avouer le vol avec violence d'un sac à main et l'utilisation de la carte bleue trouvée dans ce sac, mais dans un autre commissariat, et ce n'était pas de son ressort géographique.
– Oui, voilà, tout à fait, acquiesce Ludovic avec un sourire juvénile.
– Le 7 juin au soir, dans le 16e arrondissement, vous suivez un médecin qui allait en consultation dans un hall, vous tirez sur son sac jusqu'à ce qu'elle lâche. Elle vous reconnaîtra sur photo. Bon, c'est une dame qui n'est quand même pas toute jeune : elle est née en 1947…
– Oui, voilà, tout à fait.
– Vous aviez donné la carte bleue à votre compagne pour régler ses problèmes financiers. Mais votre compagne a reçu un appel, le 18 juin. Appel du 18 juin… Ça ne s'invente pas, sourit la présidente. Un appel qui lui disait que la carte provenait d'un vol. Elle vous a alors convaincu de vous dénoncer à la police. Vous n'avez jamais été condamné, pourquoi avoir fait ça ?
– J'ai une copine, elle a un enfant, voilà, je le considère comme le mien, voilà, répond Ludovic d'une voix fluette, innocente, sans insolence.
– On ne comprend pas : vous venez d'avoir un travail… alors, bon, vous ne gagnez pas grand chose… et vous devenez voleur.
– J'voulais faire un geste pour elle, voilà. Ça fait huit mois qu'on est ensemble, voilà. »
« Je ne comprends pas ce passage à l'acte »
« Vous êtes décrit comme quelqu'un d’influençable, mais serviable, et qui a vraiment besoin d'être cadré », continue la présidente en lisant l'enquête de personnalité. Ludovic a perdu ses parents à 9 ans. Sa famille d’accueil garde de bons rapports avec lui, mais l'a mis dehors à ses 17 ans. « C'était à cause d'une bêtise de votre part ? des violences ? – Voilà, j'ai pas pété un câble, c'était juste des paroles. » Il a arrêté l'école en 3e. « Voilà, tout à fait. » Et il vient d'entamer une formation de paysagiste avec un contrat de 260 euros par mois. « Voilà, tout à fait, continue Ludovic, peu conscient de son comique de répétition. Voilà, j'ai pas fait de mal. Voilà, je recommencerai plus. Voilà, si je peux la rembourser. » Puis dans un sourire : « Voilà, merci. »
La substitut du procureur Eve Baudhuin est bien embêtée. « Je ne comprends pas ce passage à l'acte », avoue-t-elle. Elle cherche tant bien que mal, mais que reprocher à Ludovic ? « Je le pense sincère quand il dit que c'est la première et la dernière fois. Je le pense sincère aussi quand il dit que c'est pour son amie : les relevés de comptes le prouvent. Il s'est présenté au commissariat au risque de lui porter préjudice, car il va perdre son travail. » Mais le ministère public se doit d'être sévère contre les vols avec violence, même les vols à la tire, néanmoins, la substitut ne requiert que huit mois de sursis : « Le cadre de la comparution immédiate est suffisamment intimidant et cadrant pour qu'il ne recommence pas. »
« Y'a pas de soucis ! Si j'peux aider… »
On a rarement vu semblable harmonie entre les différentes parties ! L'avocate de la défense plaide sans difficultés, rappelle l'« enfance un peu chaotique » de Ludovic : « On remarquera son caractère attachant. Je serai très étonnée, et même un peu contrariée, que vous ne le condamniez pas, mais une peine du style TIG… pourquoi pas… » À l'appel de la présidente, Ludovic reprend la parole. « J'le jure, je ne recommencerai plus », fait-il très vite. Accepterait-il de faire des TIG ? « Ah oui, y'a pas de soucis ! Si j'peux aider… »
« Le tribunal tient compte de trois choses, explique la présidente après les délibérations. Que ce sont des faits graves. Que c'est la première fois. Et que vous avez juré que vous ne recommencerez plus. » Ludovic est condamné à six mois de sursis : « Merci, madame. » Il se dirige vers la sortie. Deux jeunes Roumaines, ses voisines de box, lui disent au revoir.