Au menu de la comparution immédiate, cinq prévenus. Ils attendent dans le box, lessivés après une nuit en garde à vue. Leur seul point commun. Du reste, tout les oppose : du quinqua en costume gris au trentenaire branché, en passant par un jeune SDF, sweat à capuche noir, défoncé par la rue. Les gendarmes présents derrière eux terminent, tout sourire, leur conversation entamée à la pause déjeuner. La présidente s’adresse sèchement au premier prévenu : « M. Kasun, levez-vous. »
Un Tamoul s’exécute, penaud, vêtu d’un polo noir aux manches trop longues pour lui. Trentenaire, barbe soignée, ses yeux noirs sont rivés sur son interprète. En l’absence de la victime, la présidente rappelle les faits.
La veille du procès, Émilie rejoint ses amis dans un bar via le RER B. Bondé. Comme d’habitude. À Denfert, un passager planté derrière semble la prendre pour la barre du wagon. S’affalant sur elle à chaque virage, pas gêné de cette proximité soudaine. Incapable de se retourner, elle se contente d’attendre, interdite. Les stations et les minutes défilent. L’homme se fait de plus en plus oppressant. Elle sent son sexe sur sa hanche, tente de s’écarter. Il revient à la charge. Prise de panique, elle déguerpit sur les quais de Cluny, fait volte-face pour l’apercevoir. Trop de monde. Une étrange sensation l’alerte au niveau de sa cuisse gauche. Elle vérifie avec sa main. Son jean est couvert de sperme. Horrifiée, elle court déposer plainte.
« Et avec votre femme aussi ça coule tout seul ? »
« Vous avez été confondu par votre ADN, grâce à une affaire d’exhibition sexuelle qui date du mois dernier. » Le ton désabusé, la présidente enchaîne : « Qu’avez-vous à dire pour votre défense ? » Une messe basse débute entre l’interprète et le prévenu, apathique. « C’était involontaire, traduit l’interprète*, lorsque je suis en érection, ça coule tout seul. — Et avec votre femme aussi ça coule tout seul ? »* Marié de force, M. Kasun argue ne pas avoir eu de relations charnelles depuis 2009, date de son arrivée en France, seul. Sa libido se résume à quelques sites pornos, « une à deux fois par mois ».
Quadragénaire, brune et élégante, la procureure fait un abstract de ce qui a été dit pendant l’audience. « Je ne suis pas persuadée par les explications du prévenu. Il ne paraît pas vouloir affronter ses démons et se remettre en question. » Pour elle, M. Kasun est coupable. Elle requiert un an d’emprisonnement dont six mois de sursis mise à l’épreuve avec mandat de dépôt. Ainsi que son inscription au Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS).
« Qu’est-ce qu’a le parquet dans sa besace ? Trois tâches de sperme ! »
L’avocat de la défense, jeune commis d’office, plaide de sa voix aiguë. Il minimise les faits, à base de « qu’est-ce qu’a le parquet dans sa besace ? Trois tâches de sperme ! » ou encore « il regarde des sites porno. La belle affaire ! » Son client ? un simple éjaculateur précoce. Il s’oppose à une peine d’emprisonnement, préférant une injonction de soins.
Malgré ses efforts, la défense ne convainc pas le tribunal, qui va même au-delà des réquisitions du procureur en condamnant M. Kasun à 15 mois ferme, et son inscription au FIJAIS.