Deux Roumains à crête jettent des regards paniqués dans la salle. Surtout Lazare, 24 ans, un gaillard un peu rond, dépoitraillé, hagard, nerveux. Il a mis le feu à un campement de Roms. Son français est parfait, c’est un jeune homme bien intégré qui bientôt sera père. Son acolyte, un grand maigre voûté dénommé Catalin, arrive tout juste de Roumanie et ne parle que sa langue.
La présidente relate la scène, rapportée par un témoin et deux caméras. 23 h 30, Paris XIVe. Deux hommes vocifèrent devant l’entrée d’une petite halles couverte d’une verrière en plastique, où niche une quinzaine de Roms. L’un d’eux émerge du tas de matelas et Catalin lui envoie une puissante calotte derrière l’oreille. Il chute et se relève, raclette à vitre à la main. Lazare vocifère toujours et récolte des coups, en met aussi. Catalin perd une dent. Ça cafouille un temps, puis chacun s’enfuie de son côté. Cinq minutes après, note le témoin, Lazare et Catalin resurgissent. Ils mettent le feu aux matelas, sur le trottoir, puis attisent les flammes pendant deux bonnes minutes en entassant toutes les affaires des Roms. Mais les secours arrivent et les deux incendiaires sont interpellés.
« J’ai pas envie d’être stigmatisé parce que je suis Roumain »
La présidente lève le nez du dossier. « Nous vous écoutons », et Lazare prend une inspiration et la parole : « Après une journée de travaux chez moi, nous sommes allés nous installer en terrasse, avec mon ami et ma femme », enceinte de huit mois et demi. Arrive un groupe de mendiants Roms. Lazare poursuit : « J’ai une amie coiffeuse, dans le quartier, qui m’a raconté qu’ils viennent laver les vitres sans demander l’avis des commerçants. Tout le monde a peur et leur donne de l’argent. » La procureure intervient : « Qu’est-ce que vous attendiez de la conversation ? – Je leur demande d’arrêter ce qu’ils font, j’ai pas envie d’être stigmatisé parce que je suis Roumain. »
Lazare et Catalin s’imbibent longuement sur cette même terrasse, et filent se sustenter avec Madame, direction le KFC. Ils passent devant le campement, puis c’est le « black-out sélectif », dira la procureure. La future maman, prudente, fuit au son des premières invectives. S’ensuivent l’altercation et l’incendie. La verrière a fondu sur 1 m², le trottoir et la chaussée sont atteints sur 5 m².
« Lazare, c’est un peu le Zorro du quartier »
La procureure est remontée. « Je vais soumettre une hypothèse au tribunal. Lazare, ivre, est rejoint par son ami. Il rappelle qu’en tant que Roumain il ne veut pas être stigmatisé, assimilé aux Roms. Le voilà plus ou moins mandaté par les commerçants pour les faire partir. Lazare, c’est un peu le Zorro du quartier. » Ça aurait pu s’arrêter là. La procureure, ironique : « Les Roms, ils sont tellement agressifs qu’ils ne vont pas broncher ! Les Roms, décidément extrêmement agressifs, ils se barrent alors qu’ils sont dix. Qui a envie de se battre ? Ces deux-là ! » Là encore, ça aurait pu s’arrêter là. « Mais ce n’était pas suffisant, alors ils ont mis le feu : comme ça ils ne pourront plus dormir là, ils iront sous les ponts, peu importe, mais y’aura plus d’amalgame. » Assis dans son box, les yeux au sol et la tête dans ses mains, Lazare subit. La procureure enchaîne : « Ils mettent le feu alors qu’il y a un immeuble d’habitations juste derrière, ça aurait pu avoir des conséquences hallucinantes. Il y a un mois, il y a eu huit morts (rue Myrha, dans le XVIIIe, ndlr). Vous savez ce que c’était au départ ? Une poussette. » Pour cet « acte dirigé contre les Roms, qui n’ont rien demandé à personne », la procureure requiert deux ans dont un an avec sursis pour Catalin, trois ans dont 18 mois avec sursis, pour Lazare. Mandat de dépôt pour les deux.
L’avocate de Lazare est abasourdie. Elle fulmine, se positionne et avertit : elle va reprendre toute l’histoire. Entame : « Je suis étonnée par le ministère public qui, dans une affaire, est capable d’accabler les Roms, et, dans l’autre, considérer que ce sont des gens tout à fait inoffensifs. » Ces Roms-là, elle les connaît bien. Ils sont tout le temps là. « J’habite à Alésia, dans le quartier. Je connais ces halles où je vais faire mes courses. Tenez, le fleuriste devant lequel le campement s’établit chaque soir, j’y achète mes géraniums. » Elle résume : « Les Roms emmerdent tout le monde, les gens en ont marre. » Elle formule une hypothèse : « Peut-être que, sur la terrasse, ils ont fait des propositions sexuelles à la femme de mon client ? » Elle note que les Roms se sont enfuis et ne se sont pas constitués partie civile, ce qui est louche. « Ils sont partis parce qu’ils avaient peur de la police, voilà ! » Elle demande la relaxe pour la dégradation du commerce, car selon elle, ce n’est pas de la faute des prévenus si les flammes des matelas ont atteint la marquise des halles. Sa consœur, pour Catalin, tient un langage identique et fustige la « version bien-pensante du ministère public, qui considère que les Roms sont des victimes ».
Le tribunal condamne les deux prévenus, dont le casier est vierge, à un an de prison ferme. Mais il ne délivre pas de mandat de dépôt.