Le petit Noël des comparutions immédiates

Dans la nuit du 24 décembre, le père Noël récompense les enfants sages. Les autres se retrouvent sur les bancs de la 23e chambre du tribunal correctionnel de Paris, la salle réservée aux comparutions immédiates. Dans la hotte des trois juges, les cadeaux s'appellent « mandat de dépôt », « sursis avec mise à l'épreuve » et « travaux d'intérêt général ».

Ils sont neuf sur le banc des prévenus, entourés par une dizaine de gendarmes, dont aucun ne ressemble vraiment à un petit lutin.

Les prévenus s'appellent Mohammed, Salah, Anis, Mahadi, Ali, encore Mohammed, Moustapha, Youssef et Ahmed. Des prénoms qui disent bien ce que sont les comparutions immédiates : une justice destinée aux pauvres et aux étrangers, aux SDF et aux sans-papiers. Bref, à tous ceux qui n'ont pas de garantie de représentation.

« J'ai envie d'aller en prison, parce qu'au moins, il fait chaud »

À l'appel de son nom, le premier Mohammed se lève. Il a 26 ans, des petites lunettes rectangulaires et une minuscule crête dressée sur le crâne. Il est né au Maroc, n'a pas vraiment de domicile, vit dans un squat.

À ses côtés, Ali, son compère, ne parle pas un mot de français. Il dit qu'il est né en Syrie, en 1999, et serait donc mineur. Les médecins qui ont examiné ses os pensent qu'il ment : il doit avoir au moins 20 ans, et donc toute sa place dans ce tribunal réservé aux majeurs. Difficile à lire sur son visage juvénile. En France depuis moins d'un an, il indique qu'il survit en vendant des cigarettes à Barbès. Il dort sur des bancs ou dans le métro.

Devant le Sacré-Coeur, les deux ont été interpellés alors que Mohammed venait de voler un téléphone dans le sac d'une jeune maman, pendant qu'Ali – selon les policiers – faisait le guet. Version contestée par les deux : si Mohammed admet le vol, il récuse formellement la complicité d'Ali, qu'il connaît à peine, « de vue ». Ali : « C'est vrai. Je ne le connais presque pas. » Mohammed : « Je vous jure, madame, c'est comme ça, madame. »

La procureure : « Moi, j'appelle ça un couple délinquant. » Elle demande cinq mois de sursis pour chacun d'entre eux, aucun n'a de casier. Bien qu'il se dise innocent, Ali ne serait pas contre un peu de prison, il a prévenu son avocat : « J'ai envie d'aller en prison, parce qu'au moins, il fait chaud. »

Le Père Noël ne l'entendra pas de cette oreille : il repart avec deux mois de sursis. Son collègue écope de trois mois, également assortis du sursis.

« Eh bien, ils sont généreux, les gens »

Derrière eux, Moustapha, 35 ans, avec ses tempes grisonnantes et son pull bien taillé, pourrait facilement passer pour Richard Gere. On lui reproche un vol simple : un sac à main, qu'il a attrapé à l'avant d'une voiture, à la gare du Nord, pendant que le conducteur était occupé à décharger des bagages dans le coffre.

Il demande un interprète, le tribunal hésite, la procureure prévient : « Oh, vous savez, quand on lui parle simplement, il comprend très bien. » Moustapha insiste, la présidente cède, un interprète s'avance : « Bon, on va dire que c'est un interprète de confort. »

On le soupçonne d'avoir un complice qui a distrait le conducteur, mais Moustapha ne balance pas. Il explique que, par un hasard extraordinaire, alors qu'il volait le sac, une personne qu'il ne connaissait pas a attiré l'attention de la victime, probablement pour le voler également, mais qu'il s'agit d'une coïncidence.

« C'est difficile à croire, vous en êtes conscient », lui indique la présidente. Moustapha ne répond pas, il regarde ses pieds.

On passe à sa situation. SDF, sans-papiers, il vit en France depuis 2010, du côté de Saint-Étienne. Il indique qu'il gagne environ 300 euros par mois en faisant la manche devant la mosquée. « 300 euros ? s'étonne la présidente. Eh bien, ils sont généreux, les gens. »

Dans un français approximatif, Moustapha explique son vol par la nécessité, l'envie de manger et le besoin de trouver 20 euros pour être accueilli dans un squat : « Quand j'ai vu la portière ouverte, ça m'a excité. » Sans lever les yeux de son dossier, la présidente réplique : « La prochaine fois, il faudra vous retenir. »

Elle se tourne ensuite vers la partie civile et pousse un profond soupir qui vole jusqu'au fond de la salle : il n'y a pas de partie civile, on a oublié de la prévenir. « Tant pis, de toute façon il n'y a pas vraiment de préjudices, le sac a été restitué. »

Pour cette première infraction, la procureure demande une peine d'avertissement : quatre mois de sursis. Elle n'en obtient qu'un seul.

« Moi, ce que je voulais, c'était juste un petit billet pour moi »

Comme un seul homme, Salah et le deuxième Mohammed se dressent : le premier a les oreilles décollées sur son crâne rasé et ne parle pas français, le second, mèche longue bien peignée, baragouine un peu.

L'affaire pour laquelle ils sont ici sonne comme un écho des deux précédentes : une tentative de vol avortée dans le métro. La présidente interroge Mohammed : « Vous reconnaissez les faits ? » Il regarde rapidement son avocat : « Oui, je reconnais. » Devant l'incrédulité de la présidente, l'avocat prend la parole, avec le ton d'un bon papa : « Oui, on a eu une longue discussion, lui et moi… »

La juge détaille les faits. Salah, dans son box, commente, sans que son interprète ne traduise. La présidente s'agace un peu : « Je ne sais pas à quoi il répond, je n'ai pas posé de question. » En fait, Salah tente de se défendre d'une autre accusation, une carte bleue volée et retrouvée dans le fourgon de police, alors qu'il en sortait.

L'interprète traduit : « Je n'avais pas cette carte bleue avec moi. D'ailleurs, les policiers m'ont fouillé avant d'entrer dans le véhicule, et je n'avais rien sur moi. » La juge, soudain dubitative : « Non, c'est impossible, les policiers n'avaient pas le droit de vous fouiller. »

Salah et Mohammed sont tous les deux SDF. Le premier est arrivé en France en 2013, en situation irrégulière. L'enquête de personnalité fait état d'une « désocialisation destructrice ».

Mohammed, né en Algérie, prétend qu'il possède un visa touristique jusqu'en 2017. « Ça me semble un peu curieux », lui rétorque la présidente, qui ne trouve aucune trace de ce visa dans son dossier : « Je ne nie pas que vous soyez revenu en France, mais, à mon avis, vous n'êtes pas entré par la porte. »

La plaidoirie de l'avocat sonne comme une réquisition. Devant le tribunal, il gronde ces deux grands enfants SDF. En regardant Mohammed, le seul qui comprenne, droit dans les yeux, il prévient : « Il faut bien qu'ils entendent : si vous recommencez, le sursis tombe. » Ils prennent deux mois chacun, assortis du sursis.

« Je vais te baiser ta mère chez toi si tu ne me payes pas »

Mahadi, un grand noir à l'air blasé, se tient au box avec les deux poings serrés. Il a été arrête à côté de 490 grammes de cannabis. La présidente lui pose sa question rituelle : « Est-ce que vous voulez être jugé aujourd'hui, ou est-ce que vous souhaitez un délai pour préparer votre défense. » Mahadi demande un délai, la présidente n'en revient pas : « Ah bon ? Bon… Euh… C'est votre droit. »

En attendant, il faut décider s'il attendra son procès en prison. Et comme il n'y a pas grand-chose contre lui, et qu'il présente de bonnes garanties de représentation, on décide qu'il pourra rester libre sous contrôle judiciaire.

Cannabis également, Anis est un tout jeune adulte de 18 ans, contrôlé en possession de 44 grammes d'herbe. Déjà condamné à six mois de prison ferme, il y a un an, pour une histoire de cannabis, il est en état de récidive légale et risque donc 20 ans.

S'il ne conteste pas le trafic, il offre une explication inspirée : « Il y a un mois, j'ai emprunté la voiture d'un grand du quartier et j'ai eu un accident. Pour rembourser, il m'a obligé à dealer pour lui pendant un mois. » Il donne même le détail de ces menaces : « Il m'a dit : Je vais t'enculer. Je vais te baiser ta mère chez toi si tu ne me payes pas. »

« Arrêtez de prendre le tribunal pour un imbécile », lui répond la procureure. Comme le juge d'application des peines est en vacances, le sursis de six mois qu'il trimballe avec lui n'a pas pu être révoqué : « C'est déjà un beau cadeau. » Elle demande une incarcération d'un an, effective immédiatement.

Derrière ces réquisitions, probablement les plus dures de la journée, l'avocate tente de limiter la casse en évoquant la polyarthrite chronique de son client, incompatible, selon elle, avec une incarcération immédiate. Le tribunal l'entend, Anis repart avec un nouveau sursis de trois mois, et 105 heures de travaux d'intérêt général. Il se lève du box avec un grand sourire.

« Je suis juste un drogué qui veut s'en sortir »

Après la suspension d'audience, on fait entrer l'avant-dernier prévenu, Youssef. Il est porté par quatre gendarmes. Les bancs autour du box ont été vidés. On l'assoit de force pendant qu'il hurle son innocence.

Le visage marqué par la drogue, les yeux exorbités, transpirant, le teint verdâtre, il parle le plus vite possible : « Je ne suis pas un voleur, je ne suis pas un trafiquant, je ne suis pas un violeur. Je suis juste un drogué qui veut s'en sortir. »

Il a été interpellé dans la rue, alors qu'il venait de donner deux boulettes de crack à un touriste suisse, contre quatre billets de 20 euros et 50 francs suisses.

Il ne comprend pas ce qu'il fait là. Il s'explique : SDF, il est simplement tombé sur un touriste qui cherchait du crack. Connaisseur du milieu parisien, il a accompagné ce client et, comme celui-ci avait peur, il a fait la transaction à sa place.

Pour lui, c'est un service. Pour le tribunal, c'est un trafic. « Moi, ce que je voulais, c'était juste un petit billet pour moi. »

Il a passé la journée à se battre contre les gendarmes. Derrière et sur lui pendant toute l'audience, ils peinent à le maintenir. Il se dit victime d'un complot : « Toute cette histoire a été montée par la police. Ils veulent me faire tomber. »

On fait l'inventaire de son casier judiciaire : 15 mentions, avec un peu de tout, vol, outrage, exhibition sexuelle, violence, détention de stupéfiants.

Son avocat rappelle que l'autre personne interpellée, ressortissant suisse, est ressortie du commissariat au bout de quelques minutes, avec un simple rappel à la loi, quand la procureure demande six mois ferme pour son client.

Il admet les problèmes de comportement de son client : « On a quelqu'un de très nerveux, qui a un gros travail à faire. Il est peut-être encore temps ? » Peine perdue, Youssef est condamné à trois mois ferme avec mandat de dépôt, plus trois mois de sursis. Il passera Noël en prison.

« La prison, c'est comme la rue, c'est la même chose pour moi »

L'après-midi touche à sa fin, le dernier prévenu fait son entrée. Le nez buriné par des années de drogue et d'alcool, les cheveux longs et gras, Ahmed, 58 ans, en paraît le double. Il essaye de s'expliquer, mais sa diction est incompréhensible.

On lui reproche le vol d'un téléphone dans la portière avant d'un taxi, alors que le conducteur était occupé à décharger des bagages. Il demande un délai pour sa défense, sans doute dans le but de passer les quelques semaines à venir au chaud, en prison.

Las, il explique qu'il est « épuisé, physiquement et moralement ». Il est sorti de prison il y a une semaine. Jeté dans la rue à sa sortie, il a volé pour y retourner. « Je sais, sur les courtes peines, les sorties de prison sont toujours des sorties sèches, sans solution derrière, admet la présidente, visiblement sensible sur le sujet. C'est très regrettable, mais c'est comme ça. »

Sans surprise, la procureure demande le mandat de dépôt. Ahmed, déjà loin, ne manifeste aucune émotion. Son avocat décrit un homme « détruit par la vie » et rappelle ce que lui a dit son client : « La prison, c'est comme la rue, c'est la même chose pour moi. »

Contre toute attente, Ahmed, qui n'a absolument aucune garantie de représentation, qui est interdit définitivement d'entrer en France depuis 1985, est laissé libre jusqu'à son procès.

Difficile de savoir s'il s'agit là d'un maigre cadeau qu'on croit lui faire, en cette veille de Noël, ou d'une simple autorisation à crever ailleurs. Dans tous les cas, il quitte le box sans dire merci. Il est 19 h 30. Dehors, le réveillon de Noël commence.

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