Dans le box, Cisco. La trentaine, noir, un peu grand, une petite barbiche, les cheveux courts et noirs, un cardigan gris sur les épaules. En taule, à Fresnes, depuis un an, en attendant ce procès. On lui reproche cinq vols avec violence entre le 21 mars et le 10 avril 2013, tous dans les 11e et 18e arrondissements. L'une des victimes avait 11 ans. « Je ne reconnais pas les faits », interrompt Cisco.
Même scénario à chaque fois : en soirée, « un individu de type africain » suit la victime jusqu'à l'entrée de son immeuble et la vole sous la menace d'une arme à feu. Pas ou peu de témoins. Les victimes n'ont pas pu donner une description très claire de leur agresseur. Environ 1 m 70. « Vous mesurez 1 m 73 », croit bon de rappeler le président. L'un a vu un plombage apparent. Un autre lui donne une vingtaine d'année. Un témoin le décrit avec des tresses.
Trahi par ses chapeaux
Pas de chance pour Cisco, sur les lieux de deux des agressions, la police découvre deux chapeaux et un revolver. « On retrouve dessus un profil ADN qui pourrait être le vôtre… Vous indiquez ne pas porter de chapeau depuis longtemps », note le président.
Aucune victime n'a reconnu Cisco comme l'agresseur. Un « témoin courageux » qui s'est interposé lors de la dernière agression non plus. La perquisition de l'appartement de Cisco (il vit chez sa belle-mère) n'a rien donné. Dès le premier interrogatoire, il nie les faits. Le revolver par contre est bien le sien. Il l'a acheté début 2013, « pour se protéger ». Endommagé, il ne pouvait pas tirer.
« Je ne suis pas une victime »
Priscila vient à la barre. Blanche, la vingtaine, blonde vénitienne, une natte portée sur le côté. Seule victime venue à l'audience, elle est accompagné par son petit ami. Elle raconte : retour de soirée, un homme vient lui parler, elle l'évite, ouvre la porte de son immeuble. « J'ai pas compris, continue Priscila. Il est rentré, a braqué son arme. »
Et depuis ? « Ça ne passe pas. J'ai pas été voir de psy. Je suis pas... » Priscila s'interrompt. Pleure. Dans la salle, tout le monde se tait. « Je ne suis pas une victime, finit-elle par lâcher. J'ai continué à vivre et à être heureuse. » Mais depuis, elle n'arrive pas à rentrer seule. « Quand quelqu'un s'approche de moi, j'ai une peur irrationnelle. » Dans son box, Cisco garde un air distant.
Les preuves contre Cisco : trois traces ADN. « Les policiers m'ont chargé », tente-t-il de se défendre. Sa propre avocate le coupe, rappelle que « l'empreinte génétique, c'est du 99 % fiable. » Le président reprend. Les trois autres agressions ? « Concordance de temps et correspondance de lieu. » Cisco change de sujet : « Moi, j'dis la vérité. Son agresseur, il est encore dans la nature », lance-t-il en montrant Priscila.
Cisco a un « passé assez chaotique ». « Défavorablement connu des services de police », malgré une seule condamnation, pour conduite sans permis. « Hum, je reconnais », lâche Cisco en hochant la tête. Le président crie pour lire le bilan psychiatrique : « anomalie mentale… troubles comportementaux… développement dans un environnement difficile… » Cisco ne comprend rien. « Je veux dire par là dans des termes simples que vous avez eu une enfance difficile… père autoritaire… mère faible… difficultés à s'exprimer… difficultés affectives… », crie le président. Cisco reste évasif, prononce à peine quatre phrases : « Je préfère le garder pour moi. »
Motivations inconnues
« Un peu étonnant. » Le président a du mal à cerner Cisco. Titulaire d'un CAP cuisinier, ce dernier s'en sort bien sur le plan professionnel. Au moment de son interpellation, il était chef de partie. Pour parler de son travail, il s'éveille, se montre beaucoup plus loquace.
Pour la procureur, l'affaire est entendue. En plus de l'ADN, « un lieu des faits similaires, la proximité des faits et un même signalement, c'est ce qu'on appelle un faisceau d'indices. » Si elle note qu'il n'y a « pas un préjudice énorme, les victimes sont traumatisées ». « On s'en prend à un enfant de 11 ans, c'est totalement inadmissible », rajoute-t-elle. Cisco conteste les faits ? « Ce n'est pas rassurant… » Elle demande cinq ans, dont un an avec sursis, et une obligation de soin.
L'avocate de Cisco n'est « pas là pour minimiser les faits ». Elle tente de semer le doute sur le signalement de l'agresseur : son client a un « physique tout à fait banal ». Elle le défend tant bien que mal : Cisco, « pas un mauvais bougre », « s'est mal présenté », « a son franc-parler », « est parfaitement inséré », mais… « je n'arrive pas à comprendre ses motivations », finit-elle par avouer. Le président redonne la parole à Cisco. L'occasion de s'excuser, de s'amender, d'apitoyer le tribunal. Cisco lance seulement : « Je souhaite retrouver mon emploi. »
L'avocate de Cisco n'est pas restée pour la décision. Devant l'absence de preuve formelle, le tribunal prononce une relaxe pour trois des faits. « On ne fonctionne pas à la forte probabilité », explique le président. Pour les deux autres agressions, où l'ADN a été retrouvé, Cisco prend trois ans, dont un an de sursis et deux ans de mise à l'épreuve. Il accepte le jugement d'un air lointain. Un gendarme lui remet les menottes. Il est relaxé de l'agression de Priscila. Cette dernière est donc déboutée de sa plainte. D'une voix douce, le président lui explique : « Ça ne veut pas dire que vous n'avez rien subi… »