« La vérité, j’ai essayé de l’expliquer à plusieurs reprises. Personne ne me croit »

Elle sourit, Maëlys. Elle saute sur les genoux de son père, s’agite dans sa robe blanche, danse au rythme de la musique. Les lumières des boules à facettes et autres projecteurs rosient la scène, on entend I gotta feeling des Black Eyed Peas et leur « good night » répété. Derrière, sur la piste de danse, les danseurs d’un soir s’amusent et enchaînent les pas maladroits mais joyeux. Anne-Laure et Eddy viennent de se dire « oui », c’est une nuit heureuse du côté de la salle des fêtes de Pont-de-Beauvoisin.

Dans la salle d’audience de la cour d’assises de l’Isère, dans ses murs au bois lisse, sous une lumière crue, blafarde, les regards sont tournés vers le grand écran qui retransmet ces images, les derniers instants de Maëlys De Araujo, 8 ans, le 27 août 2017, peu après minuit. Dans le box, Nordahl Lelandais lève les yeux, puis les baisse. Juste devant lui, de l’autre côté de la vitre du box, Me Alain Jakubowicz s’est tourné complètement vers le grand écran, le dos appuyé sur le dossier de sa chaise. Il fait non de la tête, visage tendu, se frotte le visage de ses deux mains. Une fois, deux fois. Il dirige vivement son regard vers son client, une fois, deux fois. Mais Nordahl Lelandais n’affronte pas.

Nous sommes au sixième jour d’audience devant la cour d’assises à Grenoble, et le procès semble déjà interminable. Nordahl Lelandais comparaît pour le meurtre précédé de l’enlèvement et de la séquestration de Maëlys De Araujo, agression sexuelle sur deux de ses petites-cousines, détention et enregistrement d’images à caractère pédopornographique. Il paraît changé depuis le procès devant la cour d’assises de la Savoie, à Chambéry, en mai 2021, alors qu’il comparaissait déjà pour le meurtre du caporal Arthur Noyer, 23 ans. Son impulsivité y était perceptible. Elle ne l’est plus. Huit mois ont passé. L’accusé est plus sombre, plus calme, même s’il fait preuve de caractère à plusieurs reprises. Il se montre un peu plus volontiers ouvert à se retourner vers son passé aussi, à appréhender son histoire. Dans le contrôle, sûrement, comme il a beaucoup été dit et écrit. Mais qui ne le serait pas dans pareil cas.

Cela n’avait par ailleurs pas été le cas lors du procès de Chambéry, mais cette fois, ses limites intellectuelles s’entendent aussi, à l’occasion de multiples moments d’incompréhension, qui ne le servent pas du tout et qui permettent plutôt de le placer là où il doit être sur l'échelle de l'intelligence humaine. Tenant des discours parfois très basiques, il ne semble pas se rendre compte de leur impact dans le contexte d’une salle d’audience (comme le « je veux bien dire que je ne suis pas un ange, mais faire du mal à un animal, non, jamais », prononcé sur un ton offusqué). Sa très bonne expression et son assurance certaine laissant penser le contraire, on a peut-être tendance à oublier qu’à 38 ans, il est seulement détenteur de l’équivalent du diplôme national du brevet (obtenu en détention) et qu’il fait face à des professionnels — magistrats, avocats (et journalistes) — au bagage intellectuel normalement plus imposant.

« Et même s’il avouait, qui pourrait encore le croire ? »

Dehors, depuis le premier jour du procès, les curieux patientent parfois dès 2 h du matin à l’entrée du palais de justice de Grenoble. L’affaire a agité la région pendant quatre ans et demi. Les mois passants, à force de révélations, Nordahl Lelandais est devenu une figure criminelle. Les fantasmes sont aussi allés bon train au fil de détails inventés. Alors nombreux sont ceux qui veulent le voir, en vrai. Des pancartes « Justice pour Maëlys », avec un même portrait de la fillette au regard direct, ont été accrochées tout au long du parcours entre le centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, où l’accusé est détenu, et le palais de justice. Le premier matin, une banderole a été déroulée au pied du parvis : « Vérité et justice pour Maëlys ». Une voiture s’est arrêtée un temps, juste devant, avec la musique « Maëlys » des chanteurs Vitaa et Slimane s’échappant de ses enceintes. Le père, la mère et la soeur de la fillette sont arrivés ce jour-là, chacun avec un portrait encadré de celle qui manque. Sa mère, Jennifer Cleyet-Marrel, portait une peinture grand format et colorée. À la demande de la défense (et contrairement à ce qu’elle avait accepté lors du procès de Chambéry), ce grand portrait est resté à l’extérieur de la salle d’audience. Il a été déposé à l’entrée de la cour d’assises, sur une table. Des fleurs y ont été ajoutées, une bougie aussi. Le lieu est devenu au fil des jours un mausolée.

Tout au long du mois de janvier, le matraquage médiatique a été intense. La barre des 260 journalistes accrédités pour le procès a été franchie, soit une soixantaine de médias représentés. L’émotion autour de cette affaire était forte et entretenue. Le procureur général de la cour d’appel de Grenoble avait bien tenté de calmer le jeu, une fois, en demandant l’ouverture d’une enquête pour violation du secret professionnel, mais c’était illusoire, et il le savait bien. Les jours d’avant aussi, des jurés avaient demandé à être dispensés pour ce procès : trop de pression. Les parents de Maëlys avaient, eux, donné de nombreux interviews. Et le père Joachim De Araujo avait lancé, dans une interview commune au journal local Le Dauphiné Libéré mi-janvier : « Et même s’il (Nordahl Lelandais, ndlr) avouait, qui pourrait encore le croire ? »

Un procès long, difficile et impossible allait alors commencer en ce 31 janvier 2022.

« J’ai fait entrer le loup dans la bergerie à mon propre mariage… »

« Cet été-là, on souhaitait juste partager notre bonheur. » Ils sont beaux, Anne-Laure et Eddy, d'une beauté mélancolique. Les mariés de cette fin d’été 2017 deviennent à la barre de la cour d’assises les témoins d’un « cauchemar ». Eddy connaissait Nordahl Lelandais depuis « environ dix-huit ou vingt ans ». Ils s’étaient un peu perdus de vue depuis cinq ans, la vie faisant. Et puis Nordahl, qui avait appris la bonne nouvelle du mariage, avait appelé le futur marié, quelques jours avant la noce, pour se réjouir avec lui. « Cela me paraissait normal de l’inviter, se souvient Eddy face à la cour d’assises. Je lui avais dit naturellement “passe à l’apéritif”. » Près de 200 invités virevoltaient alors à l’extérieur de la salle des fêtes de Pont-de-Beauvoisin. Le décor était champêtre, le sourire sur toutes les lèvres. Une vingtaine d’enfants étaient là, dont Maëlys De Araujo, venue avec son père, sa mère — la cousine du marié — et sa grande sœur, depuis le Jura. Les mariés avaient tout prévu pour la soirée des plus petits : une salle à part, une baby-sitter jusqu’à une heure du matin. « Ce mariage, avec ma femme, on le voulait sécurisant », soupire Eddy.

Nordahl Lelandais était donc là, bien invité au vin d’honneur, dans son short blanc et son tee-shirt bleu froissé. Il était venu sans cadeau, mais il avait le sourire, il revoyait là des copains de Pont-de-Beauvoisin. « Je n’ai pas vu d’inconvénient à ce qu’il revienne, pour le gâteau et la fin de soirée, raconte Eddy. J’ai souvent entendu dans les médias que c’était un inconnu à ce mariage. Or, il connaissait 23 ou 24 personnes invitées, il connait mon père aussi. » Le quadragénaire militaire poursuit : « J’avais une certaine confiance en lui. Ma famille avait une certaine confiance en moi. J’ai de la colère contre cet individu dans le box. Parce que j’ai fait entrer le loup dans la bergerie à mon propre mariage… »

« Quand je suis revenu au mariage pour la soirée, j’étais à la table des mariés. »

Nordahl Lelandais s’est levé à la demande de la présidente de la cour d’assises, Valérie Blain. Nous sommes le 11 février, au dixième jour du procès. Il s’apprête à raconter la nuit durant laquelle il a tué, une deuxième fois. « À un moment donné, une petite fille est passée derrière moi. Je ne l’avais jamais vue, ni au vin d’honneur, ni avant. J’ai appuyé au même moment sur le bouton “home” de mon téléphone pour regarder l’heure. En fond d’écran, j’avais une photo de mes chiens, Tyron et Câline. La petite fille m’a demandé : “C’est tes chiens ?” “Oui, oui, c’est mes chiens.” Et puis elle est partie. » Maëlys était une amoureuse des chiens, elle en avait plusieurs chez elle. « Pour elle, une personne qui avait des chiens, c’était une personne meilleure que les autres », avait raconté une amie de longue date de la famille à la barre, quelques jours plus tôt. Au point, « de lever cette timidité, cette réserve, cette méfiance » qu’elle pouvait avoir envers les gens qu’elle ne connaissait pas ? « Bien sûr, parce que pour elle, c’était forcément une bonne personne. » Mais d’après Nordahl Lelandais, Maëlys ne s’est cette fois pas attardée. Puis, un peu plus tard, elle a croisé sa mère qui s’était levée d’une table voisine pour aller aux toilettes. « Elle m’a demandé “Je peux aller voir les chiens de mon copain ?” » raconte à son tour à la barre de la cour d’assises Jennifer Cleyet-Marrel. Elle a accompagné sa fille près de Nordahl Lelandais. Un bref échange s’est noué, autour des photos des chiens du trentenaire. « La deuxième fois que j’ai vu cette petite fille, reprend l’accusé, c’est quand je suis sorti fumer. Je suis passé dans la salle des enfants. J’ai renvoyé le ballon aux enfants. La petite était là. »

Ce soir-là, Nordahl Lelandais a un peu de cocaïne sur lui, il la partage avec deux autres invités, lors de « quelques allers et retours aux toilettes ». Puis il sort de la salle. « Je sais que je ne vais pas être cru, compris, mais ça s’est bien passé. » Il fume une cigarette, en compagnie d’un vieil ami. « Maëlys était avec un petit garçon. Ils m’ont demandé si j’avais mes chiens. J’ai dit non et j’ai ouvert la porte de ma voiture, qui était à côté, pour leur montrer. » « Personne n’a vu cette scène », avance la présidente, alors que la question de la présence d’un petit blond, affirmée par Lelandais au début de l’enquête mais jamais démontrée, a agité l’instruction à ses débuts. « Mais je maintiens.

— Vous continuez à dire qu’un petit blond est monté dans votre voiture ?

— Bien sûr. Je ne vois pas pourquoi je vous dirais aujourd’hui qu’il y avait un petit blond s'il n’y en avait pas. »

Ensuite, il dit aux enfants de rentrer dans la salle par l’accès principal, pour éviter, explique-t-il, de se prendre les pieds dans les nombreux câbles envahissant la petite entrée de la salle plus proche d’eux et menant directement au DJ de la soirée. Lui passe par là, et retourne s’asseoir à la table des mariés. Les minutes passent. « Quelque chose vous a choqué chez Nordahl Lelandais ? demande Me Mathieu Moutous, pour la défense, à Nelson, invité du mariage avec qui Lelandais a partagé de la cocaïne.

— Oui, sa tenue vestimentaire, ce n’était pas dans les codes d’un mariage. Mais au-delà de ça, ce qui m’a choqué, c’est qu’il avait pris des kilos. Il prenait habituellement soin de lui et là, ça dénotait. Il avait l’allure de quelqu’un qui se laissait aller.

— Concernant la cocaïne, Nordahl Lelandais a préparé les rails de coke, vous avez snifé et il n’a pas demandé d’argent, c’est bien ça ?

— Oui.

— Vous trouvez que c’est le comportement d’un dealer ?

— Non, ce n’était pas l’esprit.

— C’était plutôt un consommateur qui dépannait ?

— Oui, on peut le dire comme ça. »

« C’est le jour où vous vous retrouvez le plus en mode avion »

L’autre convive avec qui Lelandais a partagé de la cocaïne lui demande par la suite s’il en a encore pour « agrémenter la soirée ». Pas assez, estime le trentenaire. « Je retourne à ma voiture, je monte, les fenêtres sont ouvertes. Maëlys s’est approchée. “Tu vas voir tes chiens ?” J’ai dit oui. Elle a ouvert la porte passager avant. “J’ai demandé à ma maman qui m’a dit que je pouvais aller voir les chiens”. Alors je lui dis “monte”. C’est bête, je sais. » À l’extérieur, à cet instant, il y a du monde, des allers et venues, des départs en voiture, des cigarettes fumées. Une serveuse de l’équipe du traiteur chargé du repas dira devant les enquêteurs : « Je ne comprends pas comment cette petite fille a pu disparaître avec tout ce monde à l’extérieur. » « À ce moment-là, l’interroge l’un des juges assesseurs, vous avez eu l’autorisation des parents pour emmener leur fille ?

— Non, je ne l’ai pas eue.

— Qui maîtrise quand vous êtes dans la voiture ?

— C’est moi.

— Vous estimez que parce que Maëlys serait montée volontairement dans la voiture, il n’y a pas eu enlèvement ?

— À ce moment-là, je ne l’enlève pas. Je ne fais pas en sorte de l’emmener. Je n’ai aucune intention à part lui faire plaisir en allant voir les chiens, comme elle me l’avait demandé.

— Entre l’adulte et l’enfant, qui possède le discernement ?

— C’est moi. » Nordahl Lelandais met son téléphone en mode avion, au moment de quitter le périmètre de la salle des fêtes. Il est 2 h 46. « En sortant du parking, je me suis rendu compte que j’étais alcoolisé, que j’allais chercher de la cocaïne et que j’avais une petite fille avec moi », explique-t-il pour justifier cette précaution.
 « C’est le jour où vous vous retrouvez le plus en mode avion », lui fait remarquer la présidente.

« Sur le parcours, ça ne se passe pas comme ça aurait dû se passer. Dans la discussion, Maëlys me dit qu’elle aime ma voiture. Et puis il y a un grand silence, on ne se parle plus. À un moment, désolé du terme pour la famille, mais elle se met à chouiner, comme je l’ai dit aux juges d’instruction. J’ai appris par la suite qu’on disait “hoqueter”. À ce moment-là, j’ai tourné la tête. Je sais pas ce qui s’est passé. En avril, j’avais déjà tué un homme et j’avais ça constamment en tête. Je comprends que ce soit fou, incompréhensible, mais j’ai eu peur de ce qui s’était passé en avril. »

Lelandais s’explique encore, mais terriblement mal : « Les coups étaient volontaires, c’est moi qui les ai donnés. Mais je n’avais aucune intention de lui donner la mort. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais c’est moi qui lui ai donné la mort. » Face à lui, juristes et journalistes voient dans cette réponse une contestation de la qualification de meurtre pour laquelle il comparaît. En réalité, si chacun a le souci de l’honnêteté, il faut plutôt y voir une incompréhension de ce qu’est l’intention homicide qui qualifie un meurtre et qui se mesure juridiquement à l’instant T, quand lui conteste une intention de tuer au moment où la petite fille monte dans sa voiture. D’ailleurs, lors des questions des avocats des parties civiles, Nordahl Lelandais dira : « L’intention homicide et la préméditation, c’est la même chose pour moi ». Une réponse vite oubliée par l’assistance. « Vous lui portez ces coups très violents quatre minutes après votre départ de la salle des fêtes, dites-vous. C’est sur ce temps-là que je vous interroge. Vous l’avez tuée quatre minutes après votre départ ?

— Si c’est le temps qu’il faut pour se retrouver devant l’Hyper U, là où j’ai porté les coups, alors oui, c’est ça.

— Maëlys crie à ce moment-là ?

— Non, il n’y a pas de cris.

— Est-ce qu’elle demande à revenir à la salle des fêtes ?

— Je ne me souviens plus exactement… » C’est ce qu’il a pourtant dit lors d’une audition devant les juges d’instruction. « Je suis désolé, j’aimerais vous dire. Elle le demande certainement, mais je ne suis pas sûr de ça. Je voudrais juste dire, pas pour me justifier ou pour me trouver des excuses, mais à un moment durant l’instruction, j’avais un traitement médical très lourd et j’ai eu du mal à répondre à certaines questions. » La présidente est parvenue, les jours passants et la pression retombant légèrement, à instaurer un échange avec Lelandais, courtois, parfois dans la douceur, et souvent directif. « C’est important Monsieur Lelandais que vous expliquiez. Est-ce que Maëlys a eu peur ? Oui, elle a certainement eu peur…

— Je ne veux pas interpréter ses pensées. Mais elle a certainement dû réaliser en tant que petite fille, elle s’est peut-être dit qu’elle aussi faisait une bêtise en partant de la salle des fêtes.

– Pourquoi ne la ramenez-vous pas à ses parents ?

— Parce qu’à ce moment-là, j’ai eu un ressenti, je ne sais pas comment l’expliquer, avec ce qui s’est passé en avril 2017. Comment expliquer l’inexplicable, en fait ? C’est des sentiments mélangés, confus, on sait plus où on est. » D’après un légiste, il est peu probable que Maëlys soit décédée immédiatement après les coups portés au visage et ayant provoqué trois fractures. Elle a sûrement agonisé dans la voiture de l’accusé. « Quand on porte trois ou quatre coups d’une violence extrême au visage d’une petite fille de 28 kilos, cela conduit nécessairement à sa mort.

— Malheureusement, c’est ce qui a engendré, sa mort.

— Aujourd’hui, êtes-vous en mesure de constater que vous avez donné la mort à Maëlys ?

— Oui c’est moi, les coups étaient volontaires. Mais je n’avais pas l’intention de la tuer.

— Donc ce serait des coups sans intention de donner la mort ?

— Elle n’est plus là… » Nordahl Lelandais semble au bord des larmes. « Je n’ai pas voulu lui donner la mort, je n’ai pas voulu… Mais je sais que je vais être condamné pour la mort de cette petite. »

« C’était le sang de Maëlys… »

Nordahl Lelandais raconte ensuite avoir roulé et avoir abandonné l’enfant près d’une ligne de chemin de fer. « Je l’ai sortie de la voiture, je l’ai déposée par terre et je suis reparti. » Chez lui d’abord, dans la maison familiale où il habite depuis une rupture amoureuse. « J’ai passé mon short sous l’eau pour essayer d’enlever le sang. Ça ne partait pas. C’était le sang de Maëlys… » Il raconte avoir jeté ce short dans la benne à ordures devant la maison. — « j’avais peur que ma mère réagisse en voyant la tache de sang » — et être retourné au mariage, quarante minutes à peine après son départ. « Enfin ce qu’il en restait malheureusement… » « J’y suis retourné, oui, je le dis, pour avoir une forme d’alibi. Je n’ai pas recherché Maëlys parce que je savais ce que j’avais fait. J’étais à ce moment-là à la salle des fêtes, mais je ne savais plus où j’étais, j’étais perdu. » Il va aux toilettes, pris d’une envie de vomir. « Je ne me sentais pas bien. » La fête est finie à Pont-de-Beauvoisin. L’angoisse a pris le pas sur le bonheur. « On est en costard, avec de belles chaussures, et on se retrouve au bord d’une rivière à crier “Maëlys !”, et c’est le silence », racontait tristement un cousin de Jennifer Cleyet-Marrel, trois jours plus tôt à la barre. « C’était l’une des plus belles soirées de mariage que j’ai faite. Jusqu’à ce moment qui a tout renversé. »

La présidente poursuit l’interrogatoire de l’accusé, et explique que l’une des premières personnes qu’il voit sur place à son retour, c’est la mère de Maëlys. « Quelques minutes après avoir déposé le corps de sa fille, vous la croisez et elle vous demande si vous avez vu Maëlys. Là aussi, qu’est-ce qui vous est passé par la tête ?

— Qu’est-ce que vous voulez que je pense à ce moment-là ?…

— Vous donnez le change.

— Bien sûr, je lui ai dit “non, je ne l’ai pas vue”. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise aujourd’hui ?… J’aurais aimé… Déjà que ça ne se passe pas, d’abord. Et qu’ensuite, si ça se passe, que ça se passe correctement. »

Nordahl Lelandais ne s’attarde pas sur place. « Je suis retourné là où j’avais déposé Maëlys, je me suis dit que je ne pouvais pas la laisser comme ça. » Dans un premier temps, il avait prétendu lors de l’enquête l’avoir laissée contre un cabanon près de chez lui. Avant de changer de version et d’affirmer qu’il l’avait d’abord abandonnée près d’une ligne de chemin de fer. « En fait, c’était quelque chose de bête de ma part. J’ai voulu l’asseoir à cet endroit-là dans mon histoire. Pour moi, dire “je l’ai assise” plutôt qu’allongée sur l’herbe près de la voie ferrée, c’était… vous voyez ? » Non, la présidente et d’autres ne comprennent pas, et Lelandais ne trouve pas plus de mots pour s’expliquer. Il semble vouloir dire que c’était en réalité lui donner, malgré tout, une certaine dignité dans la mort. « Mais vous mentez sur le lieu de dépose. Pourquoi ?

— Oui, j’ai menti… Je suis désolé. Pour la famille, pour tout le monde. J’ai emmené tout le monde dans mes bêtises, mes mensonges, on est bien d’accord. De la honte, des remords, de la culpabilité, j’en aurai toute ma vie. Déjà, avouer que j’avais donné un coup, c’était déjà honteux. Trois coups, c’était… pire en fait.

— Pourquoi ?

— Donner trois coups à un enfant, c’est… »

Quand il arrive donc près de la voie ferrée, toujours en pleine nuit, « elle était toujours inerte, elle ne bougeait pas. J’ai décidé de ne pas la laisser là, pour encore une fois, lâchement, cacher mon crime. Je l’ai mise dans mon coffre et je suis parti, sans savoir où aller. D’où mon problème le 14 février. »

Ce jour-là, en 2018, alors que des experts de l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale venaient de découvrir, après avoir désossé la voiture Audi A3 de Lelandais dans laquelle il avait transporté Maëlys De Aurajo (et Arthur Noyer avant elle), une tache de sang microscopique appartenant à la fillette, Nordahl Lelandais avait avoué avoir tué Maëlys, après avoir nié pendant six mois. Il avait emmené magistrats, avocats, enquêteurs et experts à l’endroit où il avait laissé le corps de Maëlys, dans le massif de la Chartreuse, à Attignat-Oncin en Savoie, sur un chemin près de la cascade de la Pissoire. La journée avait été longue pour chacun des protagonistes, éprouvante alors que la neige avait recouvert les lieux. Lelandais avait cherché, les professionnels avaient douté de sa bonne volonté. Mais il avait désigné la bonne zone, les restes de la fillette y avaient finalement été retrouvés.

« J’ai ouvert le coffre, j’ai pris Maëlys, je suis descendu dans ce petit chemin, je l’ai abandonnée à cet endroit. Et je suis reparti. En me disant que ce qui vient de se passer, c’est incompréhensible. Mais c’est la réalité. Je suis reparti et je suis rentré chez moi… Malheureusement, cette petite fille, elle est plus là… Je sais très bien que la famille et vous mes juges aujourd’hui, vous attendez des réponses. C’est ce qui s’est passé, c’est la vérité. Je sais qu’on aimerait que je dise que c’est un crime sexuel. Mais pas du tout. Je sais que je vais être condamné lourdement. Je l’accepte. Parce que je sais qu’en face, il y a une famille qui a de la peine d’avoir perdu une petite fille. J’aimerais leur présenter mes excuses. J’espère, j’aimerais pour eux qu’ils avancent. Que le procès les apaise d’une certaine façon. Je sais pas… Je souhaite… Je souhaite vraiment qu’ils prennent du temps pour eux. » Nordahl Lelandais, qui s’adressait jusque-là à la cour et aux jurés, se tourne vers la famille de Maëlys : « Je vous présente vraiment mes excuses. » Sur le banc, les proches s’agitent. « On n’en veut pas de tes excuses. »

Une pierre de plus de 14 kg a été retrouvée sur les ossements découverts, au niveau du thorax de la fillette. Nordahl Lelandais l’affirme : il n’a jamais posé de pierre sur le corps de Maëlys. Un expert du département anthropologie-hémato-morphologie de la gendarmerie considère, lui, « qu’avec une pierre de 14 kg, le crâne aurait été complètement fracturé ». Un autre mystère entoure cette mort : deux mèches de cheveux appartenant à Maëlys ont été trouvées à proximité de ses ossements, alors qu’elles avaient été coupées, des deux côtés, par un objet « coupant et tranchant », estime une autre experte de la gendarmerie, sans être en mesure de déterminer le moment de leur coupe. « Cela reste un gros point d’interrogation, lance, dubitative, la présidente à l’adresse de Nordahl Lelandais.

— Pour moi aussi, Madame la présidente. Je n’ai aucune explication. Je n’ai jamais utilisé d’objet coupant ou tranchant sur cet enfant. Je ne comprends pas, je ne comprends pas…

— Nous non plus.

— Moi en premier, je ne comprends pas ! »

« Ce qui s’est passé avec Arthur Noyer, c’est présent tout le temps dans ma tête. Tout le temps »

« Vous avez donné beaucoup de versions au cours de l’instruction, reprend la présidente Valérie Blain. Et elles ont évolué à chaque fois que l’enquête apportait un élément nouveau. Vous êtes d’accord avec ça ?

— On peut dire ça comme ça. »

Alors que la magistrate revient sur ses positions anciennes, une à une, Nordahl Lelandais se montre las : « Madame la présidente, j’ai menti tout le long. Bien sûr qu’on peut revenir sur toutes mes contradictions, on peut tout reprendre point par point, bien sûr. L’emballement médiatique… On va dire que je remets la faute sur les autres… C’est pas ça. Mais l’emballement médiatique m’a bloqué. »

Il revient sur le fantasme propagé du tueur en série — « ce que je ne suis pas », dit-il — et sur la mort du caporal Noyer en avril 2017. « Suite à ça, je ne veux pas faire offense aux familles, mais ma vie à ce moment-là ne ressemble plus à rien. J’ai dit que j’étais un “vagabond”, mais le mot est faible. J’étais plus rien. Avant, j’étais perdu. Après, j’étais complètement perdu. Il n’y avait plus que la drogue, l’alcool, le sexe… »

« Dans quel état êtes-vous après la mort de Maëlys ?

— Bah j’étais pas bien du tout.

— Pourtant, ce que vous faites après paraît complètement organisé.

— Je suis dans tous les états. C’est compliqué de dire comment on se sent dans ce moment-là…

— Et c’est la deuxième fois.

— Malheureusement, oui. »

Les jours suivants, comme après la mort d’Arthur Noyer, il poursuit sa vie, ses rencontres. Le 27 août, jour de la mort de Maëlys, il va au McDo avec un ami. Le 29, il achète un ticket de loto. Le 31, il a une relation sexuelle avec sa compagne Anouchka. « Que dire ? J’en sais rien…

— Cela donne l’impression que vous reprenez un semblant de vie normale.

— C’est ce que j’essaie de montrer.

— Et vous y parvenez puisque là encore, personne ne remarque rien. » La présidente revient sur les semaines qui ont suivi la mort d’Arthur Noyer. Des gendarmes étaient venu perquisitionner son véhicule, après sa brouille avec une automobiliste à une station de lavage, qui lui avait valu une condamnation en cette année 2017, sur reconnaissance préalable de culpabilité, à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 500 euros d’amende, pour usage public et sans droit d’un insigne de police et dégradation du bien d’autrui. « Oui, j’ai eu peur », admet-il aujourd’hui, pensant alors qu’ils venaient l’interpeller pour la mort du caporal. « Je crois que tous les sentiments se sont mélangés. La peur, la honte par rapport à ce que j’avais fait. » Mais rien de tout cela. « Plus le temps passe, moins vous avez peur ? tente de comprendre la présidente.

— Non. Tous les jours, je ne suis pas dans un état normal. Ce qui s’est passé avec Arthur Noyer, c’est présent tout le temps dans ma tête. Tout le temps. Le matin, le soir, tout le temps. »

« Je vais vous surprendre. Moi je vous crois. »

L’interrogatoire de la présidente a duré près de trois heures, la nuit a eu le temps de tomber sur le palais de justice de Grenoble. Nordahl Lelandais prend les coups, les uns après les autres, mais reste debout, les pieds bien ancrés dans le sol. Une suspension d’audience plus tard, l’heure est aux questions des avocats des parties civiles. « Je vais vous surprendre. Moi je vous crois. » Me Yves Crespin, représentant les associations L’Enfant bleu-Enfance maltraitée et La Voix de l’enfant, adopte un ton paternel, plutôt bienveillant en apparence, afin de faire parler Lelandais. « Je ne vous crois pas toujours. Mais je vous crois quand vous expliquez comment ça s’est passé. Et je suis tenté de vous croire quand vous dites qu’il n’y avait pas de motif sexuel pour Maëlys. Mais je voudrais comprendre… Pourquoi ? Pourquoi vous frappez Maëlys ?

— C’est ce que j’essaie d’expliquer. C’est un ressenti, une peur. Le sentiment de revoir ce qui s’est passé en avril 2017.

— Mais Maëlys n’a rien à voir dans tout cela.

— Je suis tout à fait d’accord, elle n’a rien fait.

— Alors pourquoi vous la frappez ?

— C’est une remontée de sentiments, de mauvais sentiments, d’émotions. Et malheureusement, c’est une petite fille qui subit les conséquences de mes gestes. »

Lelandais insiste : « De mes gestes.

— Comment avez-vous fait pour tenir le coup jusqu’au 14 février 2018 ?

— J’ai été très sédaté par les médecins. »

Ce n'est pas relevé, mais il n'était pourtant pas hospitalisé à cette période. « Vous n’avez pas eu envie de tout lâcher pendant l’instruction ?

— Si, mais j’étais incapable de le faire.

— Vous êtes un garçon intelligent…

— Ça n’a rien à voir avec l’intelligence. Comme je l’ai expliqué, c’était très compliqué de dire que j’avais tué un enfant. Pouvoir le dire, ouais, ça aurait pu faire du bien à tout le monde. Enfin, du bien… J’espère que je suis compris…

— Oui. »

Me Armel Juglard, collaborateur de Me Fabien Rajon, prend à son tour la parole, pour la mère, la soeur et d’autres membres de la famille de Maëlys. Le ton n’est pas le même, plus condescendant. *« Vous ne considérez pas que c’est un risque inconsidéré de revenir avec votre voiture au mariage ?

— Si. Vous avez répondu à la réponse.

— D’accord, j’ai répondu à la réponse… » L’avocat poursuit : « J’ai beaucoup de mal à vous croire sur beaucoup de choses mais alors là encore plus. Cette histoire de short jeté dans la benne en face de chez vous…

— Je ne réponds plus à vos questions si vous prenez mes réponses comme ça, s’agace Lelandais.

— Monsieur Lelandais, votre short est plein de sang, vous le jetez à la poubelle, et personne ne le retrouve alors que toute la France en parle ?

— Je l’avais rincé avant de le jeter.

— Rincé… D’accord.

— Bon, je ne vous réponds plus, Maître.

— Ce short n’a jamais été dans votre poubelle, Monsieur Lelandais ? »

Silence.

« Je crois que vous n’aurez plus de réponse, Maître, intervient la présidente.

— Je sais Madame la présidente. Je n’ai plus de questions. »

L’échange glacial se poursuit avec Me Rajon. « Vous dites “J’ai menti durant l’instruction." Pourquoi vous croire aujourd’hui ?

— J’ai déjà expliqué.

— Aujourd’hui, vous mentez ?

— Non.

— Vous ne vouliez pas prolonger votre expérience sexuelle sur Maëlys De Araujo ?

— Pas du tout.

— Il y a une question qui hante mes clients. Il y a deux moments où le viol de Maëlys est possible, selon eux. Quand est-ce que vous avez abusé d’elle ?

— Je n’ai pas abusé de Maëlys, et je n’avais aucune intention de le faire.

— Quelle est votre taille et votre poids au moment des faits ?

— 1,83 m pour 86 kg.

— Et ceux de Maëlys ?

— 1,30 m pour 28 kg.

— Vous êtes d’accord pour dire que vous ne lui avez laissé aucune chance ?

— Oui.

— Comment vous voyez votre avenir ?

— C’est compliqué.

— Et celui de la famille de Maëlys ?

— C’est compliqué aussi. Je souhaite qu’ils puissent avancer. »

« Je ne t’emmène pas à l’échafaud, Nordahl »

« Est-ce qu’il est utile de vous poser des questions sur les faits, Monsieur Lelandais ? » Le procureur général Jacques Dallest vit ici son dernier procès, avant son départ à la retraite. Cette affaire médiatique est devenue au fil du temps « son » affaire, raconte-t-on dans les palais. « Je crois que je réponds aux questions. Je suis debout depuis un moment.

— Vous pensez que vous avez répondu aux attentes de la famille ?

— Je sais très bien qu’ils n’auront jamais les réponses qu’ils attendent.

— Qu’est-ce qui vous fait dire que vous serez lourdement condamné ?

— Parce que je comparais devant une cour d’assises pour meurtre.

— Qu’est-ce qui pourrait atténuer votre peine ?

— Aucune idée. Moi je suis l’accusé. Il y a des juges pour juger. Peut-être qu’ils sachent que je travaille en détention. Je me répète souvent une phrase que j’ai affiché dans ma cellule. Elle est de l’Abbé Pierre et dit : “Il ne faut pas attendre d’être parfait pour commencer quelque chose de bien.”

— Vous pensez que vos juges peuvent vous voir un avenir ?

— J’espère. J’ai conscience que je ne dois plus jamais recommencer. J’ai envie d’avancer, d’essayer de reconstruire quelque chose. »

L’heure tourne, 20 h est passé quand Me Alain Jakubowicz se lève au nom de la défense. Pendant les questions des autres parties, on l’a vu faire des allers et retours, dans la salle, mais aussi à l’extérieur. Comme depuis le début de cette affaire, et de manière très inhabituelle pour lui, il tutoie son client. « Je vais faire simple et court. Nordahl, tu as été condamné pour avoir volontairement donné la mort au caporal Noyer. Tu as conscience d’avoir volontairement donné la mort à Arthur Noyer ?

— Oui.

— Il ne s’agit plus d’ergoter. Il s’agit de prendre conscience, enfin, de la gravité des faits commis. Tu es aujourd’hui renvoyé pour des faits précis. Tu n’es pas jugé pour viol. Chacun pensera ce qu’il voudra, mais ce n’est pas le sujet. Je respecte ces questions, il est normal, légitime de se les poser. Est-ce qu’au minimum, toi, tu en as réellement, profondément conscience ?

— Oui, maître.

— Tu es poursuivi pour le meurtre d’une petite fille de 8 ans. Est-ce que tu reconnais lui avoir volontairement donné la mort ?

— Oui.

— Le terme d’accident, on peut l’oublier ?

— Oui, j’ai donné la mort volontairement à Maëlys.

— Je ne t’emmène pas à l’échafaud, Nordahl. Je veux que les choses soient dites, clairement. Est-ce que tu reconnais que la façon dont cette petite fille de 8 ans monte dans ta voiture à trois heures du matin est un enlèvement ?

— Oui.

— Clairement ? Pas parce que je te le demande ?

— Oui.

— Est-ce que tu reconnais les agressions sexuelles commises sur deux toutes petites filles ?

— Oui. »

Nordahl Lelandais est touché à cet instant précis. Il est parfois permis de douter de son émotion, mais là, beaucoup moins.

« Est-ce que tu reconnais avoir enregistré les images de ces agressions sexuelles ?

— Oui.

*— “Oui, je reconnais l’intégralité des faits qui me sont reprochés.” J’aimerais que tu assumes la portée, la force de ce propos en le disant toi-même.

— Je reconnais l’intégralité des faits qui me sont reprochés. »

L’audience est suspendue. Me Alain Jakubowicz se rassoit, ému, comme s’il mesurait à cet instant le chemin parcouru depuis ce mois de septembre 2017, quand il avait accepté de prendre la défense de Nordahl Lelandais. Nul coup de théâtre ou rebondissement d’audience ici, juste l’affirmation nette de ce qui était admis depuis un long moment mais assumé sans clarté aux yeux de tous.

« S’il-vous-plaît, dites-nous la vérité »

Sauf que la famille de Maëlys attend plus, entraînée par des professionnels et par l’opinion publique. Colleen, la grande sœur de Maëlys âgée aujourd’hui de 17 ans, a lu à toute vitesse à la barre un texte, plein de colère envers l’accusé mais aussi, en deuxième ligne, envers son avocat. Avant de retourner s’asseoir dans la salle, elle demande à la présidente de pouvoir s’adresser directement à Nordahl Lelandais. Valérie Blain hésite, puis accepte. Colleen se tourne alors vers le box. « S’il-vous-plaît, dites-nous la vérité… Avez-vous violé Maëlys ? » Le « s’il-vous-plaît » est répété et suppliant, presque doux. « Non, j’ai pas violé votre sœur, lui répond Lelandais.

— On ne sera pas dans le jugement. Vous avez des gens qui vous aiment, votre famille est encore là. Dites la vérité. S’il vous plaît. Pour mes parents, pour tout le monde, et même pour votre famille et votre entourage. Vos mensonges, on en a marre. Ayez ce courage et cette dignité, comme j’ai moi en vous parlant. S’il-vous-plaît, répondez à nos questions.

— Je m’expliquerai.

— Monsieur Lelandais, moi je vous demande des réponses maintenant. Vous avez brisé nos vies, on n’a pas brisé la vôtre. Donc j’aimerais bien des réponses maintenant. S’il-vous-plaît. On voudrait la vérité, pas des mensonges.

— La vérité, j’ai essayé de l’expliquer à plusieurs reprises. Personne ne me croit.

— Vous avez eu plusieurs versions.

— Je peux comprendre votre point de vue. Aujourd’hui, j’entends toute votre douleur.

— Je pense que vous ne l’entendez pas, parce que vous ne la vivez pas. Cette violence. Elle avait 8 ans. Pourquoi faire du mal à une enfant ? Elle voulait juste s’amuser avec ses copains. Vous aviez beaucoup d’amis, vous, une vie plutôt bien. Pourquoi vous continuez à mentir ? »

La présidente voyant que la jeune femme n’aura pas la réponse attendue intervient : « Madame De Araujo, on va laisser Nordahl Lelandais s’asseoir, puisque vous n’aurez pas de réponse.

— C’est dommage… » Colleen demande la diffusion d’une vidéo de sa sœur qu’elle a elle-même filmée. Maëlys y est vive et souriante. Puis l’audience est suspendue. Dans le box, Nordahl Lelandais a tout de suite repris ses esprits.

« Ceci est une attaque en règle contre la défense ! »

Le magistrat retraité entre par la petite porte des témoins. Lors du déclenchement de l’affaire, Jean-Yves Coquillat était procureur de la république à Grenoble. Il a été cité à l’audience par Me Rajon, qui trouvait que, sous son costume et sa robe de magistrat, l’homme avait été touché par cette affaire. Jean-Yves Coquillat pose ses deux mains sur la barre. Il a une inimitié, à la fois envers le procureur général Jacques Dallest, à sa gauche à cet instant précis, mais aussi envers Me Alain Jakubowicz, à sa droite. Et il n’est pas du genre à se priver dans ses paroles. Celui qui en prendra clairement pour son grade sera cette fois l’avocat de la défense. Nordahl Lelandais et ceux qui le défendent sont de « véritables joueurs de poker », estime-t-il. La tactique de la défense consistait à « essayer de discréditer l’enquête et les témoins, en prenant un ou deux éléments, en les montant en épingle et en décrédibilisant le tout, sur le terrain médiatique, puis judiciaire ». Le banc de la défense s’agace. « La vérité, nous l’avions dès le départ, malgré les rideaux de fumée montés. Cette affaire aurait dû s’arrêter à un moment : quand il y a eu la vidéo avec la petite forme blanche. Ce n’est pas Nordahl Lelandais qui a inventé la femme mûre. »

Me Jakubowicz avait avancé « subjectivement » cette hypothèse sur le plateau de BFMTV en décembre 2017, alors que la chaîne avait diffusé une reconstitution de ces images, loin de la réalité des images vidéos, comme ont pu le constater l’ensemble des personnes présentes à l’audience. Clairement visé quatre ans plus tard en pleine audience, Me Jakubowicz se lève alors. « Je suis désolé, je suis obligé d’interrompre. Ceci est une attaque en règle contre la défense ! Un réquisitoire avant l’heure de la part d’un magistrat, un fait inédit devant une cour d’assises. Et cela ne vise pas l’accusé, cela vise sa défense. Clairement, Monsieur Coquillat est venu régler ses comptes avec l’avocat de la défense ! Il conteste le principe même de la défense et ne témoigne pas sur les faits. C’est le principe des droits de la défense qui est en cause et qui est attaqué. Je vous demande de ne pas le tolérer, Madame la présidente, avec une suspension de l’audience et un appel au bâtonnier. » La présidente refuse, l’avocat n’insiste pas. « Je n’ai aucune critique sur la défense, mais sur la façon dont elle a été exercée dans cette affaire », se défend Jean-Yves Coquillat. « Monsieur le procureur général, vous devriez être le premier à vous lever pour défendre les droits de la défense ! n’a pas fini Me Jakubowicz.

— Vous avez raison, Me Jakubowicz… lance Jacques Dallest.

— Alors dites-le !

— … mais ce n’est pas parce que ce témoin vous dérange qu’il ne doit pas parler.

— Je n’ai pas l’impression d’être l’accusé dans ce procès, et c’est pourtant un réquisitoire en règle. Je vous demande au moins, madame la présidente, de veiller à ce que les attaques contre la défense soient proscrites. »

Cette fois, la présidente accède à cette demande, et impose au témoin d’éviter « tout avis personnel ». Elle n’a en revanche pas de question à son ancien collègue. Me Fabien Rajon se lève alors. « J’ai senti très vite que cette affaire vous tenait particulièrement à cœur. Il y avait un ressenti personnel ? Un homme qui vibrait dans cette affaire ?

— Vous ne vous trompez pas. Mais d’un côté de la barre, on me reproche de donner mon avis, de l’autre, on se félicite de mon comportement. J’ai eu la réaction que tout procureur aurait dû avoir. La tache que je m’étais fixé était de retrouver Maëlys, vivante ou morte. »

Il revient sur la journée du 14 février 2018. « C’était une journée très longue, difficile pour tout le monde. » À un moment, « Nordahl Lelandais s’est entretenu avec son avocat, il a pleuré et s’est mis à genoux. J’ai eu l’impression que c’était du cinéma et je ne suis pas le seul, vous pouvez demander aux parents de Maëlys. Est-ce que ça vous satisfait comme réponse ? « La présidente intervient : « Peu importe en réalité.

— Oui, je ne veux satisfaire personne », se reprend le magistrat retraité.

Le procureur général n’ayant lui non plus pas de question pour son ancien collègue, Me Jakubowicz se lève à son tour. La première salve d’attaques a été virulente, la seconde le sera tout autant. « Je maintiens qu’à ma connaissance, c’est une première de voir un procureur de la république venir mettre en cause le principe des droits de la défense devant une cour d’assises. Mais il est vrai que n’est pas François Molins qui veut… » Ambiance. *« J’en viens à mes questions. J’ai le sentiment que vous avez de la haine à l’égard de l’accusé. Je me trompe ?

— Oui, absolument. Châteaubriand disait : “Il faut être économe de son mépris, étant donné le grand nombre de nécessiteux.” Et je ne pense pas qu’à Nordahl Lelandais en disant cela. »

Soupirs dans la salle.

« Il y a eu de nombreuses violations du secret de l’instruction dans cette histoire, poursuit l’avocat. Vous avez écrit aux juges d’instruction à ce propos. “Ces fuites jettent des doutes sur la capacité de la gendarmerie à mener une enquête objective et impartiale”, *écrivez-vous. Très clairement, vous mettez en cause la gendarmerie.

— Depuis le début de cette affaire, je demandais à la gendarmerie de prendre toutes dispositions pour éviter ces fuites. Elles viennent de la direction centrale de la gendarmerie nationale, et je sais qui c’est.

— Vous venez de dire que vous savez d’où viennent ces fuites ?

— Oui.

— Et il n’y a pas eu de poursuites ?

— Mon cher maître, il faut des preuves pour cela…

— Là pour le coup, c’est un scoop. Le procureur de la république que vous êtes alors connaît les sources de fuites gravissimes et vous considérez qu’il faut protéger de hauts fonctionnaires de la gendarmerie.

— Je savais parfaitement en déclenchant l’enquête pour violation du secret de l’instruction dès 2017 que nous n’aurions pas de preuves. Les sources des journalistes sont sacrées et c’est acquis.

— Pardon, mais il suffisait de demander les fadettes des gendarmes pour avoir des preuves. Je constate que le parquet n’a pas de problème pour demander les fadettes des avocats, mais qu’il en a pour demander celles des gendarmes. »

« J’ai été lâche, c’est dégueulasse  »

À l’occasion de l’enquête menée après la disparition de Maëlys De Araujo, deux vidéos ont été retrouvées dans le téléphone et dans l’ordinateur de Nordahl Lelandais, malgré leur suppression. Ces vidéos, similaires, de deux minutes pour la plus longue, ont été diffusées sur grand écran à l’audience. On y voit à chaque fois en gros plan le sexe d’une petite fille, alors qu’elle est endormie. Un doigt apparaît et touche à plusieurs reprises la zone, sans pénétration. De la salive y est parfois visible. « Ma fille n’avait d’yeux que pour lui. » La mère de la première fillette, également filleule à l’époque de Nordahl Lelandais (ce n’est plus le cas aujourd’hui) et âgée de 4 ans, est à la barre. « Il avait toujours une petite attention pour elle. Quand il est venu à Pâques en 2017, il lui a apporté des œufs en chocolat. “Tonton, viens avec nous ! Tonton…” Il n’y avait jamais de non, il était vachement présent, avec sa filleule comme avec mon autre fille. Pour moi, c’était impossible qu’il fasse ça. » Le portrait élogieux se poursuit : « Nordahl, c’était quelqu’un qui aimait faire la fête, quelqu’un de bien, quelqu’un de correct, un homme qui avait des valeurs. Pour moi, c’était une personne droite. Il faisait la morale à mon mari pour le cannabis. » Et puis, c’est vrai, « il nous disait : “j’aimerais bien être comme vous, avec une maison, un travail.” On lui disait que ça allait arriver. » L’incompréhension est totale. « C’était un frère pour mon mari », le cousin de Nordahl Lelandais qui a fait une forte dépression et qui a été admis une semaine en hôpital psychiatrique après la révélation de cette vidéo.

« Je reconnais les faits commis sur ma filleule, que j’aime, que j’ai beaucoup aimé. » Nordahl Lelandais s’est levé. Il n’a pas regardé la vidéo projetée sur l’écran de la salle d’audience juste avant. « Moi aussi j’ai du dégoût, beaucoup de dégoût. J’ai été lâche, c’est dégueulasse. Je l’ai fait pendant qu’elle dormait, comme pour mon autre petite cousine. Je sais que la famille De Araujo se demande si je l’ai fait sur Maëlys. Je le dis solennellement : non, je ne l’ai pas fait. Je souhaite en rester là. » La défense a un temps envisagé faire valoir son droit au silence à ce moment-là, présageant que Lelandais n’allait pas pouvoir s’expliquer face aux questions des différentes parties. L’accusé a cependant répondu aux questions qui ont suivi. « Oui, j’ai une attirance pour le sexe féminin, bien sûr. Mais pourquoi je le fais, je suis incapable de vous le dire. Je sais, bien sûr, que ce n’est pas bien, je reconnais que c’est quelque chose de mal, j’en ai bien conscience. Mais en aucun cas je n’ai voulu lui faire du mal. » Cette vidéo-là date de juillet 2017. Nordahl Lelandais l’assure : « C’est la première fois que j’ai commis un acte de cette nature. » Quand il vient séjourner dans la famille de sa filleule, Nordahl Lelandais a en réalité une autre envie, raconte-t-il : dire à ses cousins ce qui s’est passé avec Arthur Noyer quelques mois plus tôt. *« J’avais besoin de les voir pour leur parler. Mais c’est compliqué de parler de la mort d’une personne.

— Pas seulement de la mort, l’interrompt la présidente. C’est compliqué de dire qu’on a tué une personne, non ?

— Oui. »

Il ne leur dira rien, et la nuit précédant son retour en Savoie, il passera à l’acte sur sa filleule. « Ce n’est pas que la faute de l’alcool ou de la drogue. C’est moi. C’est moi ! » Nordahl Lelandais insiste et on dirait qu’il essaie d’en prendre réellement conscience. « Je suis le responsable. Ça a eu un effet désinhibiteur, mais c’est moi. Je suis responsable ! » Il revient sur les faits en tant que tels : *« C’est du sexe, une certaine forme de plaisir. Je ne me dis pas c’est une petite enfant, c’est du plaisir de le faire sur une petite enfant. C’est du sexe.

— Donc c’est du plaisir ? » en conclut la présidente. Nordahl Lelandais acquiesce en silence. « Pourquoi tombe cet interdit ?

— J’ai beaucoup parlé avec mes psys, qui me disent que je vais avoir des réponses. Mais on me dit qu’il faut du temps. Moi j’aimerais que ça aille vite. Le problème à Saint-Quentin-Fallavier, c’est qu’il n’y a pas de pôle dédié à ces faits de nature sexuelle. » Il aimerait rencontrer des spécialistes de cette problématique. « Là, les rendez-vous sont très courts, trente minutes. J’essaie de repousser, un peu plus, mais ce n’est pas possible. »

« Quel acte ? Dites-le »

« Vous visualisez le contexte ? » La magistrate assesseure s’adresse à l’accusé et tente de l’extraire du box pour le faire revenir chez ses cousins, la nuit des faits. « Il est minuit passé. Vous revoyez ce moment-là ?

— Oui.

— Qu’est-ce qui se passe ? Vous savez comment vous vous propulsez près du lit de votre filleule ?

— Non pas du tout.

— J’aimerais que vous m’expliquiez votre cheminement cette nuit-là.

— Le moment que je me rappelle, c’est quand on mange ensemble sur la terrasse. Après, je ne me souviens plus. Après, je suis dans la chambre de ma filleule.

— Vous vous souvenez d’avoir filmé une vidéo pornographique ?

— Je suis incapable de le dire.

— Mais vous vous souvenez de l’avoir vécu ?

— Oui, je me souviens d’avoir commis cet acte.

— Quel acte ?

— Ce que vous venez de visionner.

— Quel acte ? Dites-le.

— L’agression de ma filleule.

— Qu’est-ce que vous ressentez à ce moment-là ?

— Je n’ai pas eu une réelle excitation.

— Donc vous arrêtez de filmer ?

— Oui.

— Et puis ?

— Je suis incapable de vous dire ce que j’ai fait après.

— À quel moment vous vous dites que peut-être vous n’auriez pas dû faire cela ?

— Le lendemain peut-être. C’est une période de ma vie où j’étais paumé. »

Côté parties civiles, les avocats se lèvent à leur tour. « C’est la première fois que vous touchez le sexe d’une enfant, dites-vous, lui lance Me Caroline Rémond, pour les deux petites-cousines et leurs familles. Ça a donc dû vous marquer ?

— Ça m’a marqué puisque je m’en souviens. »

L’avocate avance l’idée que Lelandais a craché sur le sexe de sa filleule, comme sur celui de son autre petite-cousine, sans que l’on sache bien d’où cela sort. Le ton est désagréable des deux côtés. Lelandais finit par s’agacer : « Je ne réponds plus à vos questions. Votre façon de me les poser, ça ne convient pas, je ne le prends pas bien. »

L’avocate change de ton, réalisant qu’elle n’a aucune chance d’obtenir des réponses dans le cas contraire. « Qu’est-ce qui se déclenche à ce moment-là ?

— Je sais que mes cousins aimeraient comprendre. Moi aussi. Mais je suis incapable de répondre à cette question.

— Vous n’avez pas eu peur que votre filleule se réveille ?

— Bien sûr. Mais à ce moment-là, je sais pas pourquoi je fais ça. »

Me Fabien Rajon poursuit, le ton est toujours désagréable. « Est-ce que vous avez été dérangé pendant cette vidéo ? Je ne parle pas de votre conscience. Dérangé par quoi que ce soit ?

— Non.

— Ce qui m’intéresse, c’est avant et après cette vidéo. Est-ce que ces faits d’atteintes sexuelles ne dureraient pas plus que 55 secondes ?

— Y’a pas eu avant, y’a pas eu après.

— Moi j’ai quelques doutes.

— C’est vos doutes. Il n’y a rien eu de plus.

— Vous vous en tenez à 55 secondes ? » La présidente intervient : « Monsieur Lelandais vous a déjà donné une réponse… » Me Jakubowicz en remet une couche : « Ce n’est pas parce que vous posez cinq fois la même question que vous aurez une réponse supplémentaire ! »

Il y a de l’inimitié aussi ici, les deux avocats ne s’appréciant guère. Me Rajon reprend : « Moi je ne vois pas l’intérêt de vos déclarations aujourd’hui. Vous avez le sentiment d’avoir avancé dans vos déclarations ?

— Tous les jours, j’essaie d’avancer. »

Me Laurent Boguet poursuit. Il représente le père de Maëlys De Araujo et, malgré son arrivée tardive dans ce dossier (à l’été 2021), il parvient à installer un échange avec Nordahl Lelandais, qui lui répond calmement et respectueusement à chaque fois, même si l’avocat ne l’épargne pas. « J’ai l’impression que votre voiture est devenue folle, que votre moteur s’est emballé, que vous roulez à 200 km/h en direction d’un mur, et qu’il n’y a plus de frein.

— C’était ma vie en 2017, oui. » Nordahl Lelandais semble vouloir développer. « Une fois qu’on a tué un homme, on ne vit plus pareil. Je sais que c’est dur à entendre mais il faut que je m’explique. On ne vit plus pareil, on ne dort plus, on voit le mort partout. Je ne sais plus ce que j’ai fait après en 2017, j’ai oublié. » Il tente d’expliquer, mais cela reste inaudible. « Quand j’étais pas bien, c’est pas un reproche, mais on me disait “oh ça va aller, toi tu aimes rire”. Bah ok ça va aller. » Il hausse les épaules. *« Quand j’arrivais, il fallait que je montre le Nono que tout le monde aime. J’arrivais pas à passer à travers ça. C’est peut-être pour ça que personne n’a rien vu.

— Monsieur Lelandais, vous êtes impressionnant de froideur à ce moment-là, constate encore l’avocat. À l’extérieur, parce que je ne dis pas que vous ne vivez pas le volcan à l’intérieur.

— Voilà, vous dites le terme. Je passais beaucoup de temps seul dans ma chambre et quand j’en sortais, on descend manger, ok, on sourit.

— Vous n’êtes pas qu’une loque, vous êtes en tension, Monsieur Lelandais. Vous n’aviez pas des choses à évacuer ?

— Oh, si ! J’étais en colère contre moi. »

L’avocat reste sur sa faim. « Vous parlez, mais vous ne dites pas grand chose, Monsieur Lelandais.

— Bah je m’assois et je me tais alors.

— Non, non… Et merci d’avoir essayé de le faire. »

« Madame la présidente, il n’y a qu’un moi »

Après la projection des deux vidéos de l’agression sexuelle commise sur sa deuxième petite-cousine, la présidente interroge Nordahl Lelandais. « Les trois vidéos des agressions de vos petites-cousines ressemblent à des sextapes retrouvées dans votre téléphone. La salive sur le sexe de ces petites filles, c’est pour quoi ?

— Pour caresser.

— Vous faisiez la même chose avec vos partenaires ?

— Oui.

— Où est la frontière entre les petites filles et vos compagnes ?

— À ce moment-là, il n’y a plus de frontière.

— Vous appelez ça des caresses. C’est une agression sexuelle. Vous le savez aujourd’hui ?

— Oui.

— Tous les interdits, tous les tabous sont levés et ça ne vous pose pas de problème, Monsieur Lelandais. Vous commettez des premiers faits sur votre filleule et ça n’arrête rien, alors que vous avez compris que c’était mal. Pourquoi ?

— J’en sais rien. À ce moment-là, je vois une petite fille endormie et je répète l’acte. Je suis désolé, j’explique les choses mais elles sont parfois mal comprises. C’est pas de la faute des parents. C’est moi qui ai commis ces faits, j’aimerais le dire.

— Celui qui passe à l’acte avec ses deux petites-cousines, est-ce que c’est le tonton bienveillant ? On sait qu’il existe celui-là…

— Forcément, oui.

— Vraiment ? C’est le tonton bienveillant ?

— Madame la présidente, il n’y a qu’un "moi".

— C’est vous, mais est-ce qu’il y a une autre part de vous qui se met en action ?

— Forcément, pour ces actes horribles, il y a une autre part.

— Qu’est-ce qui vous empêcherait de commettre de nouvelles agressions ?

— Le travail que je fais avec mes psys. Je cherche à comprendre qui j’étais avant et qui je veux devenir. Je me suis rendu compte avec ce travail que même ma passion pour les chiens arrivait à ce moment-là après la cocaïne.

— Vous avez expliqué que vous vous en êtes pris à ces deux fillettes avec douceur, que vous n’aviez pas l’intention de leur faire du mal. Est-ce qu’on peut considérer que pendant ces passages à l’acte, vous êtes uniquement dans l’instant, et pas dans la conséquence de ces passages à l’acte ?

— Oui, à ce moment-là, je suis dans l’instant. Je pense à ce moment-là ne pas leur faire de mal. Je suis peut-être mal compris en disant ça, je peux le comprendre. Aujourd’hui, je sais que si elles avaient été réveillées, ce serait compliqué. »

La présidente compare ces petites filles à des objets au moment de l’agression. Lelandais est presque choqué : « Je ne les considère pas comme des objets. À ce moment-là, elles restent mes petites cousines. »‌‌

Les questions des parties reprennent. Me Yves Crespin se lève et adopte toujours son ton paternel avec Nordahl Lelandais. « Vous admettez aujourd’hui que vous êtes pédophile ?

— Oui.

— Vous admettez avoir des penchants pédophiles ?

— Oui.

— C’est bien de le dire. C’est ce travail que vous devez faire, pour vous. »

Me Martin Vatinel, pour le père de Maëlys, tente de prolonger la réflexion de Lelandais : « Quel est le fruit de votre réflexion concernant votre attirance à l’égard des jeunes enfants ?

— Pour moi, c’est du sexe. Le travail est loin d’être fini et ça va prendre du temps. Mais aujourd’hui, je suis capable de mettre un mot sur ce que j’étais à l’époque et c’est très important pour moi.

— Vous avez examiné aussi les circonstances factuelles de votre passage à l’acte. Les fillettes étaient endormies. Qu’est-ce que ça vous inspire ?

— De la lâcheté.

— Vous êtes dans l’autocritique, pas dans l’analyse. Vous n’avez pas aussi le sentiment que vos victimes sont en position de vulnérabilité ?

— Je ne saurais pas répondre à cette question. Elles étaient endormies, j’ai profité de l’occasion.

— N’est-ce pas de votre part une forme de toute-puissance ?

— Non, je ne me sens pas tout-puissant. »

Me Jakubowicz se tourne à son tour vers son client. « Le mot a été lâché et il est important, Nordahl. Agresser des petites filles, ce sont des actes pédophiles. Tu n’as pas regardé les vidéos de ces agressions qui ont été diffusées à l’audience. C’est une lâcheté de plus ? Tu refuses de voir une réalité qui s’impose à nous ?

— Avec le temps, j’ai pris conscience de la gravité de mes actes.

— Tu les as en mémoire ?

— Je sais ce qu’elles montrent, donc oui il y a une forme de mémoire.

— Tu as conscience que l’une des vidéos est filmée une semaine avant les faits concernant Maëlys ? » Nordahl Lelandais acquiesce en silence.« Tu as conscience que ce sujet est au coeur de nos débats ?

— J’en ai totalement conscience.

— Qu’est-ce qui te permet aujourd’hui d’affirmer que tu n’as pas reproduit ces agressions sexuelles sur Maëlys, à part ta parole ?

— Je n’étais pas du tout dans les mêmes conditions. Ce n’était pas du tout une histoire sexuelle.

— Ta lâcheté répondrait à la question ? Passer à l’acte ou ne pas passer à l’acte, avec des fillettes endormies ou non endormies ?

— Oui. »

« Y’en a qui renient un enfant pour moins que ça… »

« J’ai regardé un peu les photos de 2017, pour me remémorer cette année. On s’était vu en avril, en juillet et en août. » La mère de cette deuxième fillette âgée de 6 ans, cousine de Nordahl Lelandais, s’avance à son tour à la barre, comme dans une éternelle répétition. « Quand on a appris, on s’est dit que ce n’était pas possible. On a passé notre enfance ensemble, une partie de notre adolescence, la suite… On s’est dit que ce n’était pas possible d’avoir partagé la vie d’un monstre. Un autre dans notre entourage peut-être, mais pas lui… Jusqu’en février 2018, quand il a avoué pour Maëlys, on prenait sa défense. C’était pas possible. » Mais la femme raconte ses tourments d’aujourd’hui : « Ma fille aurait pu être réveillée, elle s’est peut-être réveillée. Est-ce qu’il est allé plus loin ? Je sais pas si je veux savoir en fait… » Elle raconte avoir rompu tout contact avec « tous ceux qui le défendent encore ». «“Oh mais on l’aime…” Mais je comprends pas comment on peut aimer un monstre. Ce sont tous des monstres en fait. Ils savent des choses aussi. Y’en a qui renient un enfant pour moins que ça… »

« J’essaie de comprendre. J’aimerais savoir ce qui s’est passé. Je suis une mère et pas un monstre, ah ça non ! Je suis une mère et j’aimerais savoir. » Christiane est la mère de Nordahl Lelandais. Malgré la douleur infinie, malgré l’horreur, elle n’a pas lâché son fils.‌‌ « Au deuxième semestre 2016, je me suis énormément occupé de mon mari malade. Je ne me suis pas occupé de Nordahl, alors que j’ai vu qu’il n’était pas très bien. Mais je pensais à des amours et des désamours. »‌‌ « Qu’est-ce que c’est aujourd’hui d’être la mère de Nordahl Lelandais ? lui demande, doucement, Me Alain Jakubowicz.

— On ne peut plus rien faire. » La femme de caractère laisse passer des sanglots dans la voix. « On n’a plus le droit de vivre. Juste le droit de crever, voilà ce que c’est. Je ne peux même plus aller au cinéma. J’ai été hospitalisée sous mon nom de jeune fille. Je tiens debout parce que je suis une mère et une grand-mère, mais je n’ai pas le droit de vivre, pas le droit de sourire. » Alors qu’elle a treize frères et soeurs, elle ajoute : « C’est fini. C’est fini la famille, depuis les faits. Sauf avec mon frère et ma belle-soeur. »

Alexandra est la soeur de Nordahl, la plus âgée de la famille. Comme lors du procès de Chambéry, comme sa mère, elle est là au procès, elle prend des notes, elle tente de comprendre. Elle ne vit pas dans la région, mais à Chambéry, elle était venue les premiers jours de l’audience avec une perruque. Cette fois, elle se présente sans. Elle s’est peu affichée durant l’instruction, alors qu’elle vit loin des Alpes. On a su en revanche très vite qu’elle avait envoyé une lettre à la famille de Maëlys, peu après les aveux de son frère, en mars 2018. « Vous vous en souvenez ? lui demande Me Rajon

— Oui. »

L’avocat s’apprête à la lire, mais la présidente de la cour refuse. « Mais elle est disponible sur internet, avance Me Rajon.

— Peu importe. Ce n’est pas possible, en vertu du respect du contradictoire, puisque vous ne l'avez pas communiquée aux parties avant. »

Alexandra y partageait notamment sa tristesse, sa meurtrissure, et sa peine pour la famille de la fillette. « Ma mère et moi, quoi qu’on va faire, quoi qu’on va dire, ça va se retourner contre nous. Je ne banalise pas les actes de mon frère. Ce n’est pas qu’on accepte mais on est obligé d’avancer. J’aime toujours mon frère. Pour autant, il y a des faits qui nous font horreur et ceux-là en font partie. »‌‌

Me Jakubowicz l’interroge à son tour. « Expliquez ce que ça signifie au quotidien d’être la soeur de Nordahl Lelandais.

— Il y a des menaces, des insultes, une perte de confiance. C’est la souffrance de se dire “si j’avais su, si j’avais pu”. C’est avoir en permanence cette épée de Damoclès, avec laquelle on vivra toute notre vie. C’est comme ça…

— Se dire “toute notre vie on vivra avec ça”, c’est aussi savoir la souffrance de la famille de Maëlys ?

— Oui, je la comprends, et cette souffrance est incomparable à la nôtre.

— Vous êtes une femme, une maman, et vous avez décidé en votre âme et conscience que Nordahl était toujours votre frère ?

— Oui. Je pense que vu sa situation, c’est peut-être bien d’être là quand tout le monde s’en va.

— Malgré les faits qui vous font horreur ?

— Bien sûr. C’est marqué au fer rouge. Il n’y a pas de mot pour ça. »

À son tour, Sven, le frère aîné de Nordahl, se présente à la barre. Il a été très présent lors de cette affaire, défendant son frère avec force, dans les médias et sur les réseaux sociaux notamment. Il était attendu, un peu craint vu sa nervosité et sa tendance à répondre facilement aux provocations. Finalement, il est calme, presque timide devant la cour, à peine audible même. « Vous avez quelque chose à dire à votre frère ? lui demande la présidente.*

— Je voudrais qu’il se soulage en disant ce qui a été fait. Beaucoup de monde attend la vérité aujourd’hui. Je pense aussi que ça ne pourra lui faire que du bien d’expliquer. »‌‌

Silence. « Vous voulez lui dire autre chose ?

— Que je l’aime. Et qu’il me manque. »‌‌

Les questions se poursuivent. Un problème de micro intervient lorsque la défense se lève à son tour. Or, vu l’affluence médiatique, le micro est indispensable pour se faire entendre dans la salle de retransmission des débats, juste au-dessus de la salle des assises. « Vous savez, Madame la présidente, moi je m’adresse à la cour et aux jurés, ce qui me suffit amplement, lance Me Jakubowicz avec une pointe de provocation. Je n’arrête pas mon activité parce que le micro ne fonctionne pas. Si la presse ne m’entend pas, j’en suis fort ravi. » La salle s’agite. Et une solution au problème de micro est trouvée, l’avocat peut donc poser ses questions. « Etre frère de Nordahl Lelandais, vous l’avez vécu de plein fouet, peut-être plus que votre soeur. Cela fait partie du dossier et de la compréhension pour la cour… Et au-delà de la cour, puisque je parle dans le micro. Qu’est-ce que cela signifie d’être le frère de Nordahl Lelandais ?

— C’est l’enfer. Le travail, les agressions physiques et verbales. Et là je suis dans l’optique de changer d’identité, nom et prénom, pour pouvoir trouver un travail et avancer dans la vie. »

« Je suis responsable. Je suis le seul responsable. »

Nordahl Lelandais a entendu sa mère, sa soeur et son frère tenter d’expliquer ce que lui-même n’explique pas, du moins pas de manière satisfaisante. Pourquoi en est-il arrivé là ? Les jours passent et les réponses n’arrivent pas. « Je suis le seul à pouvoir répondre à ces questions, ce n’est pas à eux de le faire. »

« On a eu une belle enfance. Il n’y avait pas de souci, on pouvait dire qu’on s’aimait, il n’y avait pas de gêne à ça. » L’accusé doit maintenant se raconter. Et sa vie de famille ressemble à celle de beaucoup d’autres. Côté maternel, les retrouvailles sont fréquentes. « Côté paternel, beaucoup moins. Mes grands-parents, j’ai dû les voir deux fois. Mon père ne rentrait pas trop dans les détails parce qu’on sentait que ça lui faisait du mal de parler de son enfance. » En 2015, ce père, pilier de la famille, tombe gravement malade, avec une fybromyalgie et une autre maladie dégénérative. « Ma mère, il fallait qu’elle soit toujours là pour mon père. » Il est décédé en décembre 2020, sans jamais être allé voir son fils au parloir de la prison. Il en était incapable physiquement.

Parmi les points sur lesquels tout le monde semble s’accorder, c’est que Nordahl Lelandais n’a jamais été un grand travailleur. L’école, « c’était pas trop mon truc », admet-il lui-même. Il s’inscrit pour un brevet professionnel et abandonne, pour un CAP mécanique et il est viré par son employeur, pour une formation en sport-études mais cela ne lui plait pas.‌‌En 2001, il intègre alors l’armée, au 132e Bataillon cynophile de la Marne. Il n’a pas encore tout à fait 18 ans, mais c’est pour lui un moment important, qui plus est près des chiens, sa grande passion. Il y est vu comme « un sportif de bon niveau », capable d’obéir et d’être un bon camarade, mais « à la maturité incertaine », explique l’enquêtrice de personnalité face à la cour d’assises, selon les archives militaires qu’elle a pu consulter. Il accède au grade de caporal mais quitte finalement l’armée en 2005, avant la fin de son contrat. Alors qu’il aurait aimé y faire une carrière longue, il en est déçu. À l’audience, il évoque deux raisons. Une visite de la ministre de la défense Michèle Alliot-Marie d’abord, qui le laisse a minima dans l’incompréhension : on lui demande de peindre l’herbe en vert juste avant sa venue, quelle idée. Et surtout, en 2003, il reçoit une fléchette dans l’oeil, ce qu’il a toujours considéré comme un acte volontaire de la part d’un de ses supérieurs. Pour lui, c’en est trop, la confiance est rompue.‌‌ « Ce n’est un secret pour personne, le dossier de Nordahl Lelandais a été depuis le début étalé et réétalé sur la place publique, dégaine Me Alain Jakubowicz face à l’enquêtrice de personnalité. Il a été dit qu’il avait été viré de l’armée. Il a été viré de l’armée, Madame ?

— Non.

— Merci Madame. » C’est en réalité « lui qui demande la rupture de son contrat ». « Pour moi, il a été réformé pour infirmité », ajoute l’enquêtrice de personnalité.

Alors il revient en Savoie et commence une nouvelle vie professionnelle, avec un niveau d’élève de quatrième. Il enchaîne des expériences courtes, monte sa micro-entreprise de dressage canin en 2010, qu’il abandonne rapidement sans avoir déclaré le moindre chiffre d’affaires. L’intérim lui convient parce que cela lui permet de mieux gagner sa vie et de travailler quand il veut. Les employeurs défilent, les raisons de quitter les emplois avant le terme des contrats aussi, et s’accumulent les arrêts maladie pour tout un tas d’excuses laissant à désirer. « J’ai essayé mais ça marchait pas. C’est de ma faute, je ne me donnais pas les moyens », admet-il encore à l’audience. En revanche, tous ses proches et ex-amis l’ont qualifié de « serviable », prêt à aider à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. « Je pouvais ne pas aller au travail pour aller aider un ami. Parce que pour moi, un ami, c’est important. Mais je réfléchissais pas, j’étais complètement con… » Après l’armée, c’est une vie en pointillés, décrit Lelandais. « Je m’éparpille. Un petit peu de boulot, je m’arrête, une copine, je m’arrête. Je m’éparpille, je fais n’importe quoi. J’ouvre mon PC, je regarde des vidéos pornos, je prends de la cocaïne, un café, une clope, encore des vidéos… » Il sort aussi, et boit pas mal d’alcool. « L’alcool et la cocaïne vous permettent de tenir ? lui demande la présidente Valérie Blain.

— Aussi. Mais pas que. Ça me permet de ne pas être dans la réalité, en fait. De croire que tout est beau, que tout va bien. Je me dis que je n’ai pas le droit de montrer à mes amis que je ne vais pas bien.

— Qui êtes-vous, Monsieur Lelandais ? Est-ce que vous pouvez nous le dire, vous décrire ?

— C’est compliqué. Aujourd’hui, je suis Nordahl Lelandais et je suis dans le box pour m’expliquer sur des faits très graves. Aujourd’hui, je sais qui je ne veux plus être.

— Alors, qui étiez-vous à l’époque des faits ?

— Je ne sais même pas, Madame la présidente. J’étais perdu, je faisais n’importe quoi. Et aujourd’hui, je suis là. Si encore j’étais le seul là… Mais non, je ne suis pas le seul… »

C’est en fait surtout sa sexualité qui envahit à l’époque son quotidien. Son addiction aux vidéos pornos est forte, et il multiplie les conquêtes, amoureuses ou d’un soir. « J’ai eu la chance de plaire. Alors pourquoi ? » Il s’en étonne lui-même, « parce que j’avais pas grand chose pour moi ». « J’ai pas été tout le temps sympa avec ces filles, admet-il aussi. J’arrivais pas à m’investir. C’était plus des plans sexuels avec beaucoup. Je m’en excuse d’ailleurs auprès d’elles. »‌‌ « Les vidéos pornos, vous les regardez et vous passez à autre chose ? lui demande Me Boguet.

— Oui.

— Cela devient une obsession ?

— Je sais pas si c’est une obsession, mais oui, j’étais un habitué de ces vidéos. »

Interrogé par Me Rajon, il affirme, et y tient particulièrement : « Je ne suis jamais allé sur un site pédopornographique. Et j’insiste sur le jamais ! »‌‌ L’avocat n’en a pour autant pas fini à ce propos : « Vous avez eu un échange épistolaire avec une certaine Camille en détention ?

— Oui. Elle s’est présentée comme ayant une vingtaine d’années et comme étant lycéenne. »‌‌L’échange a été stoppé par l’administration pénitentiaire, sans que la raison soit donnée à l’audience. Me Rajon insiste sur le fait qu’il s’agit d’une lycéenne, en s’appuyant notamment sur sa page vue sur le réseau social Pinterest.‌‌

Plus tard, Me Jakubowicz revient sur ce point : « On a eu droit à un effet d’audience de la part de mon confrère de la partie civile, s’offusque-t-il. Et on a matraqué cela sur certaines chaînes info, et notamment une : Nordahl Lelandais a eu une relation épistolaire avec une lycéenne, il est donc pédophile et n’a pas changé. » Le conseil brandit alors une lettre, avec son enveloppe, et lit : « “Je m’appelle Camille, j’ai 20 ans et j’habite aux alentours de Chambéry”. Elle écrit qu’elle est en BTS Commercial, voilà pourquoi l’on dit qu’elle est lycéenne ! Nulle part il est écrit qu’elle est mineure ! Elle a assisté au premier procès et elle a eu de l’empathie, voilà tout. » Il sort une deuxième lettre et lit : «“En ce moment, je vais bien, malgré que je me suis séparée d’une relation de deux ans…” » Me Jakubowicz a décidé que sur ce point il fallait hausser le ton et il ne s’en prive pas : « Voilà la lycéenne ! Voilà le pédophile ! La presse a matraqué cette idée avancée par mon confrère, alors que c’est objectivement faux ! »‌‌Me Rajon répond à son tour : « Qu’elle dise qu’elle a 20 ans, c’est une chose. Qu’elle apparaisse plus jeune sur sa page Pinterest en est une autre… Par ailleurs, j’ai évoqué des vidéos et des intitulés de vidéos équivoques, pas pédopornographiques. Donc ne faisons pas semblant de jouer avec les mots. »

« Nordahl, c’était mon pote »

« Je m’interdisais de montrer que je n’étais pas bien devant mes amis. Même quand Nazim et sa femme m’ont dit “Viens, assieds-toi, qu’est-ce qui va pas ?”, rien. Et je rentrais pleurer chez moi. » Nordahl Lelandais raconte sa « honte » après le 12 avril 2017 d’avoir tué un homme, « qui était, on l’a vu, un bon mec ». « J’aurais dû en parler à mes amis, des supers amis. Ils auraient pu m’aider. »
« Pourquoi vous ne l’avez pas fait ? lui demande alors Me Boguet.

— C’est toute la complexité humaine. J’ai voulu en parler à mon cousin, j’ai pas réussi, j’étais incapable d’en parler, je ne savais pas comment faire.

— Il aurait sans doute mieux valu…

— Je sais. »‌‌

Nazim s’avance justement à la barre. Au procès de Chambéry, il avait renversé tout le monde. À Grenoble, il va assécher toute la salle. L’ancien ami de Lelandais s’avance vers la cour et les jurés, pour la deuxième fois donc. Le ton est différent, il y a toujours de la douleur ainsi que de l’affection, mais l’émotion n’est pas la même. Silence. Regard vers le box. Mains posées sur la barre. Ouvrons les guillemets, nous ne les refermerons qu’à la fin de son propos, ponctué de silences absolus dans la salle d’audience. « La dernière fois que l’on s’est vu, Nordahl, c’était dans le même contexte. C’était nécessaire et traumatisant.La personne qui est là aujourd’hui dans le box, je suis désolé, mais j’ai énormément de mal à comprendre ce qui s’est passé pour elle. Je ne pourrais pas vous dire mieux qu’à Chambéry. C’est ça qui est fou : ne pas arriver à comprendre les faits.
Nordahl, c’était mon pote.
Je pense et je repense tous les jours à ce qui s’est passé, je me pose des questions. Qu’est-ce qui fait qu’un gars comme Nordahl passe de l’autre côté de la barrière et qu’on ne peut pas le récupérer ? C’est inconcevable, et pourtant, on en est là.‌‌J’ai imaginé mille fois ce que j’allais vous dire ici. J’ai pensé à mille versions. Et il n’y en a pas une dont je me souvienne. La petite fille n’est toujours pas là.
Je n’ai qu’une question : comment mon pote a pu faire ça ? Il était serviable, c’était quelqu’un de confiance, quelqu’un que j’aimais recevoir, toujours prêt à rendre service. C’était quelqu’un de bienveillant avec nos enfants. Et tout d’un coup, c’est quelqu’un qu’on n’a plus compris à travers la télé.
La petite Maëlys, je la connaissais pas, mais je pense tous les jours à elle. Il n’y a pas un jour où je ne pense pas à elle. J’arrive pas à comprendre. J’arrive pas à ne pas être triste, parce que désolé, c’était mon pote. Alors je comprends, que ce soit clair, qu’il va être puni. Mais je peux pas m’empêcher d’être triste, c’était mon pote. Je le suis pour sa mère, ses amis, la famille de Maëlys…
On sait tous comment ça va se terminer. Cependant, je reste persuadé qu’il y a une explication, parce que ce n’est pas possible autrement.
Je sais que c’est très dur, parce que Nordahl ne parle pas. Même si je n’ai pas envie de le voir, les médias m’imposent de le voir à la télé, alors je le sais.‌‌J’aimerais qu’il comprenne une chose : il faut qu’il soit condamné comme un homme compris, même si c’est dur à dire et à entendre. Parce que ce sera plus dur d’être condamné comme un homme incompris. Il n’aura qu’une seule chance, et elle est maintenant.‌‌C’est tellement difficile d’imaginer ce qui a pu se passer, tellement difficile de se défaire des images à cause des médias. Mais savoir, c’est nécessaire, pour faire les choses bien.
Même si vous ne connaissez rien d’autre, Nordahl, c’était réellement quelqu’un de bien, et c’est pour ça que c’était notre pote. Mais il était aussi ça. Moi, l’autre, je ne le connais pas et je sais qu’il est là. Je sais que mon ancien pote, il est là.
Tu n’as plus qu’une chance maintenant, Nordahl. Tu vas être jugé et condamné. Il n’y a pas de doute, on connait la fin de la pièce de théâtre. Sois jugé comme un homme compris, Nordahl. Ce qui ne veut pas dire que tu vas être pardonné, mais tu seras compris.
Est-ce qu’il y a quelque chose qui m’a échappé ? Voir ce qui ne va pas, ça sert à ça d’être un ami. Dans notre société, quand y’en a un qui déraille, c’est qu’on a tous notre part de responsabilité. C’est comme ça que je réfléchis. Et si vous connaissiez Nordahl comme nous on l’a connu, vous réfléchiriez pareil.
Dans les médias, on a beaucoup parlé de la sexualité de Nordahl. On a tous appris à travers eux sa bisexualité. Quel jugement on peut avoir de ça ? Aucun. Il ne nous l’avait jamais dit.‌‌J’endosse aucune culpabilité. Ce qu’il a fait, il l’a fait tout seul. Mais on a tellement l’habitude de pointer les gens du doigt que certains déraillent. Avant d’être un meurtrier, c’était un simple citoyen, c’était notre pote, Nono. C’était pas Nordahl Lelandais, ou l’affaire Lelandais ou quoi que ce soit.
Je sais que ce procès doit durer trois semaines et que beaucoup de gens attendent de parler comme moi. Mais la seule parole qui a la plus grande valeur, c’est la sienne. Rien que pour ton bien-être, Nordahl, sois jugé en homme compris. Personne ne peut expliquer à part toi. Aujourd’hui, tu as la chance d’avoir un temps de parole et c’est précieux. Un temps de parole où tu peux parler, expliquer l’inexplicable, même si c’est incompréhensible. Evidemment, tu dois le faire pour les proches des victimes. Mais tu dois aussi le faire pour toi. Je te dis ça, Nordahl, parce que c’est très certainement la dernière fois de nos vies qu’on se voit et j’en suis vraiment très triste. Sois compris, c’est tout ce que je te souhaite. »‌‌

Nordahl Lelandais pleure. Il n’y a pas de question. La présidente paraît touchée elle aussi. « Eh bien la cour vous remercie, Monsieur. »

« Je ne peux pas comprendre comment on en est arrivé là. »

Fabien connaissait Nordahl depuis 2010, c’était aussi un ami. « Il avait une vie sociale. Il avait des amis, il pouvait trouver des copines comme il voulait. C’est quelqu’un qui a du vécu. Je ne peux pas comprendre comment on peut en arriver là, quand on a connu toutes les bonnes choses de la vie comme lui. Pour moi, il avait goûté à tout ça, peut-être plus que d’autres hommes. Pour moi, ce n’est pas à cause de l’alcool ou de la drogue. À un moment, on sait ce qu’on fait. Franchement, je comprends pas. On tombe de haut, tous, parce qu’on n’a jamais rien vu de spécial. C’est pas un jugement, c’est une constatation, un étonnement. Vraiment. »‌‌Fabien pointe tout de même une faille, repérée par plusieurs proches, alors qu’il est interrogé par la présidente. « Moi, j’ai une compagne, des enfants, un travail. Nous, on évoluait.

— Lui n’est pas parvenu à construire ça, c’est ce que vous voulez dire ?

— Tout à fait. Nous, on arrivait à un stade où à trente ans, on faisait le même boulot depuis dix ans.

— Cela lui pesait ?

— Ce n’est pas que cela lui pesait, mais il voyait la différence. On n’est pas obligé d’avoir une femme et des enfants dans la vie, mais on est quand même obligé d’avoir un travail pour avancer. On a des responsabilités que lui n’avait pas, parce qu’il n’avait pas la même vie que nous. »‌‌

Au travail, « il ne pérennisait pas et ne pouvait pas évoluer. Certains commencent par un CAP et s’installent. Lui, il n’avait pas commencé.

— Vous lui en parliez ?

— Oui, on essayait, mais ça ne marchait pas. C’était plus de la désolation de notre part, on était malheureux pour lui qu’il ne s’en sorte pas. On lui disait “bouge-toi, quoi !”‌‌ »‌‌

Fabien fait partie des amis de Nordahl qui l’ont vu après sa première garde à vue du 31 août 2017, alors que les enquêteurs l’ont relâché, faute d’éléments suffisants. La bande de copains ne le sait pas, mais leur ami est toujours dans le collimateur de la justice à ce moment-là. 
*« Il arrive chez moi le samedi. Je me dis que s’ils l’ont relâché, c’est qu’il n’a rien à voir avec cette histoire. »* Yacin, un autre ami de la bande, l’avait appelé juste avant : « Je vais chercher Nordahl, il n’est pas très bien. Est-ce qu’on peut venir chez toi ? ». Fabien avait accepté, évidemment. « Je comprends qu’il n’est pas bien si on l’accuse alors qu’il n’a rien fait. »‌‌Fabien et Coralie, sa femme, observent Nordahl à ce moment-là. « On était devant BFM, des photos de Maëlys étaient diffusées et lui ne regardait pas la télé. Il levait et baissait les yeux », raconte la trentenaire. « Je l’ai interrogé sur la disparition de Maëlys. Il m’a répondu qu’il était en train de fumer. Mais il n’était pas très concerné, c’est vrai », ajoute Fabien. « Je lui ai dit d’enlever son compte Facebook parce qu’on se faisait harceler par les journalistes. Je lui ai donné mon portable pour qu’il le fasse, pendant que nous on regardait la télé », poursuit Coralie. « Au moment de partir, il me dit “si ça repart en couilles, tu pourras dire à ta mère de prendre un avocat ?”, reprend Fabien. Je lui réponds que s’ils l’ont relâché, c’est que c’est fini. Mais le lendemain matin, c’était pas fini… »‌‌

Il y a de la colère chez Fabien, mais elle reste contenue. « Moi, dans la même situation, j’aurais eu besoin de regarder mes amis proches, mon père, ma mère, “dites-moi que vous me croyez”. Il ne l’a pas fait. Il aurait pu le faire mais il n’a pas vraiment cherché ça. On parle pas d’un vol de vélo là, on parle d’une petite fille. » L’ancien ami poursuit, sur question de Me Yves Crespin : « Je n’ai pas pensé que c’était impossible, j’ai pensé, si c’est lui, c’est un accident. La petite était derrière la voiture, il était bourré, il l’a pas vue, il l’a percutée, il a fait disparaître la petite, et après il s’est enfermé dans ses mensonges. Pour moi, Nono… Nordahl, c’est quelqu’un d’intelligent, mais d’intelligent dans la connerie. Il aurait pu être capable de faire disparaître le corps, même si c’était un accident. »

Comme les amis de Lelandais, ses conquêtes éphémères et ses relations amoureuses défilent et déposent chacune leur tour leur incompréhension à la barre.‌‌ « Je reste dans l’incompréhension », reconnaît Vanessa. Elle raconte un épisode unique de violence, durant lequel Nordahl Lelandais l’avait soulevée et secouée fortement au-dessus d’un lit « comme une vague », en prononçant des menaces alors qu’elle voulait le quitter. Mais la jeune femme décrit aussi un homme, avec qui elle vivait, comme très demandeur dans les relations sexuelles mais respectant son consentement et se comportant bien avec son fils.‌‌

Laura a été sa conquête de fin 2016. Puis leur relation a repris entre mai et août 2017, soit au moment des faits, et alors que Nordahl Lelandais entretenait une autre relation avec une autre femme dans les mêmes temps. « J’étais surprise d’apprendre par les médias toutes ces histoires. Avec moi, il a toujours été tendre. » Au moins trois femmes sont tombées enceintes de lui, toutes ont avorté. Laura en fait partie. « Il m’a juste dit que je faisais comme je voulais pour l’enfant, mais que lui était déjà incapable de s’occuper de lui-même alors encore moins d’un enfant. »‌‌Elle admet quand même : *« Il n’a jamais fendu la cuirasse avec moi. C’était un bloc, il n’y avait pas d’émotion, il était un peu détaché de tout. J’aurais aimé qu’il me parle plus, mais il ne s’est jamais dévoilé. »‌‌

« Vos rencontres étaient purement physiques, n’est-ce pas ? »* Du côté de la défense, Me Valentine Pariat est de nouveau chargée d’interroger les ex-compagnes de l’accusé. « Nordahl Lelandais ne vous promet ni engagement, ni investissement, ni fidélité ?

— C’est ça, on ne s’est rien promis.

— On parle beaucoup de mystère. Mais il n’est pas induit par votre relation qui ne demandait pas plus ?

— C’est vrai, mais ça n’empêche pas d’échanger un peu. »

Anouchka était l’autre compagne de Nordahl Lelandais à la même époque, celle qui comptait selon lui. « C’était une belle relation, intense, se souvient la jeune femme. Pour moi, c’était un coup de foudre. Il était attentionné, tout allait bien. » Elle aussi est tombée enceinte de lui, elle aussi a avorté. Lors de leur relation, Nordahl a, en plus de Laura, revu Céline, une autre ex, qui s’est beaucoup exprimée dans les médias lors de l’affaire mais qui s’est fait porter pâle lors du procès de Grenoble. « À partir de là, ça a été compliqué. »‌‌ « Aujourd’hui, c’est plus de l’amour, c’est de la tristesse, de la colère, de l’incompréhension. Je comprends pas comment on peut en arriver là, commettre des faits pareils et ne pas assumer jusqu’au bout. Si quelqu’un devait faire un meurtre dès que quelque chose ne va pas dans sa vie, on ne s’en sortirait pas. » Chez elle également, il y a de la colère contenue, de la douleur aussi face à cet être aimé. Souvent, elle regarde en direction du box.‌‌

Anouchka est restée près de Nordahl Lelandais dans les premiers mois de son incarcération. Elle n’avait pas de droit de visite au parloir, mais elle échangeait avec lui par téléphone. Deux écoutes ont été diffusées à l’audience.‌‌La première date du 14 octobre 2017, alors que Lelandais conteste les faits qui lui sont reprochés.‌‌ « J’aimerais être là pour toi, dit Nordahl à Anouchka.

— J’espère que t’as rien fait.

*— Mais non. J’espère que t’as pas douté de moi. C’est aberrant, un truc de malade, t’imagines pas dans quel état est mon cerveau. Il faut que les enquêteurs avancent, qu’ils retrouvent la petite. Y’en a d’autres qui lui ont parlé !

(…)

— Tu m’aimes ? veut se rassurer Nordahl.

— Mais t’étais pas drogué ? se demande quand même Anouchka.

— Non. Tu m’aimes ?

— Oui.

— C’est tout ? T’imagines même pas comment ça me rassurerait que tu me dises que tu m’aimes… Moi en tout cas je t’aime vraiment très fort.

(…)

— Pourquoi tu m’as pas dit que tu étais au mariage ? doute Anouchka.

— Rappelle-toi, on s’était embrouillé…

(…)

— Tu étais où quand tu m’as envoyé ton message ? »

Nordahl Lelandais lui avait envoyé un SMS dans la nuit du 26 au 27 août, avant la disparition de Maëlys. Il tenait en deux mots : “Tu dors ?”. Anouchka lui avait répondu à son réveil, après la mort de Maëlys. « J’étais au mariage. Si tu m’avais répondu, ça aurait tout changé, putain. » À la lecture, cette phrase est terrible, culpabilisante au possible. Quand Nordahl Lelandais la prononce, il est pourtant comme mathématique, avec une équation en tête : si Anouchka avait répondu plus tôt à son message, Nordahl aurait quitté le mariage pour la rejoindre et donc Maëlys serait toujours vivante. Le ton est constant, banal, sans nuance. Mais les mots lui sont évidemment reprochés à l’audience. Et des mots des différentes parties semble naître la culpabilité injustifiée d’Anouchka dans la mort de Maëlys, alors qu’avant de la réentendre dans la salle d’audience, elle-même ne se souvenait pas de cette phrase.

L’échange se poursuit : « Tu mens pas ? demande Anouchka.

— Mais non, mon coeur, je mens pas.

(…)

— Je veux pas qu’on me plaigne mais j’aimerais entendre que tu m’aimes, que je te manque, si c’est vrai.

— Tu peux comprendre que je sais plus quoi penser.

— Mais oui, je peux comprendre… »

Le procureur général demande la diffusion d’une autre écoute et elle est bien plus terrible pour l'accusé. Elle date du 6 mars 2018. Nordahl Lelandais a avoué être responsable de la mort de Maëlys il y a moins de trois semaines, il est hospitalisé à l’UHSA (Unité hospitalière spécialement aménagée) du Vinatier, près de Lyon. « Pourquoi j’arrivais pas à te joindre ? demande Nordahl.

— Bah je bosse, répond Anouchka.

(…)

— Il faut pas écouter les médias, relance Nordahl.

— Je sais pas, je suis plus, ça m’a gonflée.

(…)

— Et toi ça va ? lui demande quand même Nordahl.

— Bah écoute les journalistes reviennent à la charge, ça me casse les couilles.

(…)

— Tu es à l’hôpital jusqu’à quand ?

— Je sais pas, c’est eux qui décident. Mais c’est beaucoup plus calme ici. »

Le malaise s’entend entre les deux.« Du coup, ça en est où l’enquête ? interroge Anouchka.

— Je sais pas. Tu sais, au téléphone, je peux pas…

— Ouais, mais je comprends tellement rien à rien, Nordahl.

— Je sais. Comment tu m’as appelé ? »

Nordahl n’aime pas qu’Anouchka l’appelle par son prénom, parce que cela signifie qu’elle est en colère. Il préfère le plus amoureux “mon chéri”.

« Ta mère t’a pas dit ? Comme c’est une affaire pour meurtre et que je suis pas de la famille, je n’ai pas le droit de venir te voir au parloir.

— Mais c’est n’importe quoi. Bah tu veux te marier avec moi ? »

Anouchka refuse, vu les circonstances : « Je ne sais pas ce qui s’est passé.

— T’es pas obligée de me parler comme ça. »‌‌

Anouchka fait preuve d’une patience remarquable, quand d’autres n’auraient pas manqué de raccrocher.

« C’est involontaire ? cherche-t-elle à se rassurer.

— Hein ?

— C’est involontaire ?

— Bah oui, c’est involontaire, mais c’est pas grave, j’ai pas envie d’en parler, je suis au téléphone, tu sais bien. »‌‌ Nordahl Lelandais se méfie des écoutes téléphoniques. « En fait, tu veux juste des réponses, moi tu t’en bats les couilles !

— Mets-toi à ma place aussi, Nordahl. »

« Nordahl, on peut aussi donner sans recevoir »

« Nordahl, on a besoin d’un accent de sincérité de ta part, il faut qu’on comprenne qui tu es, parce qu’on sent des blocages, des freins. » Me Alain Jakubowicz interroge de nouveau son client sur son parcours de vie. « À ton retour de l’armée, tu vas d’échec en échec…

— Oui.

— Et tu es responsable de ces échecs ?

— Totalement.

— Dans ta vie sentimentale ?

— Pareil, je suis responsable de ces échecs.

— Parmi ces femmes, il y en a certaines que tu as aimé ?

— Oui.

— Aimer, c’est quoi pour toi ?

— Partager… C’est dur à dire…*

— Aimer, c’est donner. Tu sais donner ?

— Oui. Parce que donner, c’est recevoir. » Nordahl Lelandais répond ces derniers mots avec une certaine fierté, Alain Jakubowicz en est comme surpris. Echange de regards, l’avocat prend un ton paternel. « Nordahl, on peut aussi donner sans recevoir. »

L’accusé acquiesce en silence. « Si, aujourd’hui, toutes ces femmes étaient là, que leur dirais-tu ?

— Que je n’ai pas été très honnête avec elles. Je leur présenterais mes excuses.

— Pour ?

— Mon infidélité, mes mensonges.

— Des violences ?

— Non, pas du tout.*

— Vanessa ? Tu l’as bousculée. » L’avocat se tourne vers la cour : « Pardon, mais on a dit et écrit tant de choses sur Nordahl Lelandais. Qu’il était violent, qu’il était un monstre… » Il pivote de nouveau vers son client : « Autre que ce moment avec Vanessa, y a-t-il une femme avec qui tu as été physiquement violent ?

— Jamais.

— Cela ne ressort pas du dossier, en effet. Je crois que c’est important que ce soit acté. Ensuite, vos rapports sexuels, c’était toujours avec leur consentement ?

— Bien sûr. »

Puis l’avocat l’interroge sur sa vie en détention, à l’isolement. « Depuis quatre ans et demi, tu as croisé des personnes autres que les gardiens dans la prison ?

— Oui.

— Tu as en effet de la visite. Ta mère, ta soeur, ton frère. Plus une correspondance. Parmi le courrier que tu reçois, il y a celui de la gent féminine qui souhaite correspondre avec toi.

— Oui.

— Parmi elles, il y a Elisabeth. »‌‌

Elisabeth a fait parler d’elle à grands bandeaux “exclusif” dans Le Dauphiné Libéré, mi-janvier, deux semaines avant l’ouverture du procès de Grenoble. Elle y raconte peut-être des vérités, difficile de le vérifier, mais aussi, sans complexe, beaucoup de bêtises, réjouissantes pour certains.‌‌

« Qu’est-ce qu’elle veut ? poursuit Me Jakubowicz.

— D’abord établir une correspondance avec moi, et après bien plus.

— Elle commence à venir te voir. Elle te fait des cadeaux ?

— Oui. Des vêtements, des chaussures…

— Elle te parle d’elle ?

— Oui.

— C’est la première fois qu’elle venait en prison ?*

— Non. Son ancien mari était en prison pour avoir tué une petite fille.

— Pour toi, c’est quoi cette relation ?

— Un échappatoire du quotidien.

— Les visites, le courrier, les cadeaux qu’elle te fait, l’argent qu’elle te donne, cela améliore ton quotidien ?

— Oui.

— T’as profité d’une relation inestimable ?

— Oui.

— Elle t’écrit beaucoup ?

— Oh, oui !

— Madame la présidente, je ne produis pas, je montre. »

L’avocat brandit un sac plastique transparent plein de courrier. Il lit aussi un extrait de l’une des lettres signées d’Elisabeth et reçues par son client : “Tu sais Nono, j’ai entendu des trucs à la radio sur toi, pas cool. Ça m’énerve, ça me met en colère. Aujourd’hui, tu es aux antipodes de ça. (…) J’aime notre relation, elle est riche et saine.” Me Jakubowicz raconte aussi qu’Elisabeth voulait venir témoigner lors du procès de Chambéry, ce qu’il lui avait demandé de ne pas faire. Elle avait donc écrit un courrier à la cour, que l’avocat dévoile seulement à Grenoble : *“Nordahl n’est pas un monstre. Je l’ai vu évoluer. Je sais la peine incommensurable qu’il a causé. (...) Notre relation s’est construite au fil du temps, lui était très réticent au départ.”

« Quand a cessé votre relation ? poursuit l’avocat en direction de son client.

— Le 27 décembre dernier.

— Date à laquelle tu as pris la décision de demander la suppression de son droit de visite. Pourquoi ?

— Elle me menaçait de dire des conneries aux journalistes. »

La dernière lettre échangée date du 24 décembre. Nordahl y confirme à Elisabeth qu'il veut mettre un terme, au moins temporairement, à leur relation de couple, notamment en vue de ce nouveau procès à Grenoble. Elle en était d'accord, puis elle a changé d'avis. Une fois les contacts rompus, Nordahl Lelandais a reçu une réponse écrite dans Le Dauphiné Libéré, en janvier. « J’ai compté 80 visites de sa part au parloir entre mars 2020 et décembre 2021, reprend le procureur général face à l’accusé. Elle vous a apporté en décembre dernier un téléphone, deux cartes sim (ils ont tous les deux été condamnés pour cela le 9 mars dernier, devant le tribunal de Vienne, ndlr), de l’argent et de l’alcool. Elle dit qu’elle était sous votre emprise.

— Bah c’est pas moi qui suis allé la chercher. »

« En survie, tout le temps »

« Nordahl Lelandais a eu droit à 21 examens au cours du premier semestre 2018, dont neuf en février, et cela tout expert confondu », résume la présidente de la cour, Valérie Blain. Autant dire que la justice lui a réservé un traitement spécial. Plusieurs experts psychologues et psychiatriques ont été saisis. L’un des psychologues a rendu un rapport étonnamment bavard de plus de 70 pages, estimant que Lelandais cochait « un peu toutes les cases de la psychopathie », mais ce n’est pour autant pas celui qui a vu le mis en cause le plus longtemps. Un psychiatre conclut à « une très forte dangerosité psychiatrique », les autres à « une grande dangerosité criminologique ». Comme lors du procès de Chambéry, ils ont défilé à la barre de la cour d’assises à Grenoble, dans l’idée d’entrer réellement « dans la tête de Nordahl Lelandais ».‌‌

Pour la psycho-clinicienne Magali Ravit, il y a « une incapacité à appeler au secours » chez Nordahl Lelandais, avec des « carences affectives précoces », il est « en survie, tout le temps ». « Une espèce de honte à dire qu’il est en difficulté, qu’il est vulnérable » et « un dénigrement de l’affect qui le met en situation de vulnérabilité ». Il a comme « une toute puissance quand il est en position de vulnérabilité », avec « une utilisation de l’autre comme un objet ». « Si l’autre est un sujet, cela devient peut-être plus difficile », estime l’experte. Son passage à l’acte sur Maëlys lui permet, selon elle, « d’effacer une angoisse. Il n’y a pas d’affect, pas de plaisir à faire souffrir l’autre chez lui, ce n’est pas un acte sadique. Mais un élément identitaire fort, il est dans une autre réalité. » L’accusé s’est construit sur un clivage fort, avec « des mondes qui ne doivent pas se rencontrer »: il a « l’impression d’être témoin de sa vie plutôt que de se ressentir vivant ». « Ce n’est, quand je le rencontre, pas possible pour lui d’avoir une place de sujet ayant commis un tel acte », ajoute l’experte. « Le pronostic à court ou moyen terme pour Nordahl Lelandais, j’ai beaucoup de mal à le dire, parce que cela suppose une ressaisie de l’histoire, et c’est compliqué. J’ai l’impression que pour lui, ça va être le travail d’une vie de raconter ce qui s’est passé. Mais la vie est faite de rencontres… Pas forcément un psy, cela peut être une rencontre avec un éducateur ou autre. »‌ Elle précise : « il va devoir reprendre son histoire avec plein de gens, pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. Mais ce qui peut être très douloureux, c’est d’affronter ces actes qui sont dramatiques. C’est compliqué en détention parce que cela veut dire qu’il peut y avoir un passage à l’acte suicidaire important, très important. »

Me Jakubowicz prend la parole : « Vous avez dit “Il n’arrive pas à dire, il ne peut pas dire”. Qu’est-ce que cela signifie ?

— Parler, c’est s’adresser à quelqu’un, cela suppose de comprendre et de raconter des faits comme une histoire, ce qui est compliqué pour lui. J’ai cette impression de deux mondes qui ne se mélangent jamais, ils sont complètement différents. Parler, c’est d’une certaine manière se soumettre à la réalité.

— Est-ce qu’il triche avec ses proches à cette période ? C’est une question qu’ils se posent beaucoup.

— Non. Je pense que de plus en plus, ces deux mondes vont cohabiter. »

L’expert psychiatre Paul Bensussan voit aussi chez Lelandais « une personnalité caricaturalement psychopathique ». « Dans un crime psychotique, soit il n’y a pas de mobile, soit le mobile est absurde, alors il ne faut pas attendre que Nordahl Lelandais en donne un. Sur le plan psychopathologie, ce serait trop violent pour lui de dire ce qu’il n’a pas dit. » L’expert a un sombre diagnostic : « le psychopathe ne change pas », encore moins quand le mensonge et l’absence d’empathie sont des modes de fonctionnement, comme chez Nordahl Lelandais.

« On entend dire… »

Ce dernier expert avait participé, début 2018, à une émission “C dans l’air” sur France 5, au titre orienté “Nordahl Lelandais : les aveux d’un tueur en série ?” Le fantasme a traversé, infusé toute l’instruction, depuis la mise en cause de Nordahl Lelandais dans la mort du caporal Arthur Noyer. Lors du procès de Chambéry en mai 2021, la procureure générale s’était prononcée sur le sujet lors de son réquisitoire : « Ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que trois ans plus tard, en l’état actuel des investigations, certains dossiers ont été refermés, et à ce jour, Nordahl Lelandais n’est lié de près ou de loin à aucune autre disparition ». Pour autant, l’idée a subsisté, comme une envie et un plaisir de se faire peur encore un peu plus. « On entend dire… Ce n’est pas au dossier mais on entend dire que Monsieur Lelandais pourrait être un tueur en série, s’avance l’un des magistrats assesseurs, lors du procès de Grenoble, face au directeur d’enquête isérois.

— Je n’ai pas de remarque particulière à faire. Nous devons solutionner une enquête. Ce qui se passe à l’extérieur n’est pas l’objet de notre travail », répond le gendarme, alors même que la gendarmerie avait mis sur pied, au niveau national, en janvier 2018, la cellule Ariane, afin d'étudier le parcours de vie de Lelandais. Elle avait été dissoute moins de trois ans plus tard, sans résultat, alors que plus de 900 dossiers non-élucidés avaient été réétudiés. Face à l’absence de réponse claire de la part de ce témoin, Me Alain Jakubowicz revient à la charge : « Tueur en série, Nordahl Lelandais ?

— Je ne peux pas répondre à cette question.

— Avez-vous le moindre élément allant dans ce sens ?

— Rien ne me permet de l’affirmer. Mais rien ne me permet de l’infirmer non plus. »‌‌

L’avocat montre sa colère. « C’est terrifiant qu’un directeur d’enquête ne soit pas capable de dire qu’il n’y a pas le moindre soupçon allant dans ce sens, pas l’ombre d’un commencement d’un élément allant dans ce sens ! Dans ce cas, vous pouvez dire cela de la même manière pour chacun de nous ici ! »‌

De nouveau, c’est le procureur général qui a tranché le débat. S’il n’a pas toujours été très clair à ce sujet, notamment dans la presse et encore en aparté après l’intervention de ce directeur d’enquête, Jacques Dallest a, à deux reprises lors de cette audience, écarté publiquement cette hypothèse, voyant d’abord « un délire médiatique » à ce sujet. Puis, à son tour, lors de son réquisitoire : « Je voudrais dire qu’après les investigations de la cellule Ariane, je ne qualifie pas Nordahl Lelandais de tueur en série. Il a été condamné pour le meurtre d’Arthur Noyer, il est cette fois poursuivi pour le meurtre de Maëlys, mais ce n’est pas un tueur en série à mes yeux. Et je voudrais que les observateurs n’utilisent plus cette notion. C’est une facilité intellectuelle qui n’a pas lieu d’être. »‌‌*

Comme le procureur général l’avait demandé, Nordahl Lelandais a été condamné, vendredi 18 février 2022, à la réclusion criminelle à perpétuité, avec une période de sûreté de 22 ans, pour le meurtre précédé de l’enlèvement et de la séquestration de Maëlys, les agressions sexuelles sur ses deux petites-cousines, ainsi que l’enregistrement et la détention d’images pédopornographiques.‌‌

À l’issue de cette audience, on a entendu des vérités, mais aussi des bêtises et des fantasmes à foison. Des avocats des parties civiles se sont faits prendre en photo tout sourire dans la salle des assises, à l’issue de l’audience pénale et avant la décision sur les intérêts civils, seuls Mes Laurent Boguet et Martin Vatinel s’étant éloignés de la scène, mal à l’aise de la situation. Un journaliste m'a envoyé un SMS : « Cette affaire se termine comme elle a commencé ». Se respirait ce soir-là entre les murs du palais de justice de Grenoble un air de vengeance assouvie. Il était temps de partir.
En ce jour de verdict, un homme a eu 39 ans. Il a tué, deux fois, il a agressé sexuellement, deux fois, et près de cinq ans plus tard, on ne sait toujours pas pourquoi.

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