Finalement, on ne saura pas grand-chose de Lionel, sinon qu'il est né à Kinshasa en 1992 et qu'il est SDF. Il porte une veste noire avec des écussons cousus, des flèches jaunes, des sigles, et un pull à capuche rouge. Une barbe de trois jours sur sa peau noire, le crane rasé, rien de plus.
« Alors, vous reconnaissez ces faits de vol ? » demande le président, d'une voix plutôt douce. « Oui, oui », répond Lionel dans un grand soupir ennuyé.
La veille, il était à la Fnac. Les vigiles l'ont vu se diriger d'un pas lent vers le rayon informatique. Il s'est arrêté devant une petite imprimante, il a arraché le plastique et l'a embarquée avec lui.
Quelques secondes plus tard, il était dans le bureau de la sécurité du magasin, puis dans le fourgon de police, puis au dépôt. Maintenant, il est dans la 23e chambre du tribunal correctionnel, sur l'île de la Cité, pendant qu'une vague de froid s'abat sur la capitale.
À la fouille, dans ses poches, 1,4 g de cannabis, sa consommation personnelle.
« Ça fait combien de temps que vous consommez ?
– Trois ans. » Lionel ne dissimule rien. Il s'exprime plutôt clairement, mais il n'est pas bavard, au contraire : la situation semble lui être complètement égale.
Le juge, sans le bousculer, l’interroge : « La semaine dernière, vous étiez déjà là, exactement pour les mêmes faits. Pourquoi est-ce que vous recommencez, une semaine plus tard ? »
Effectivement, il y a une semaine, Lionel avait tenté de dérober un appareil photo, dans la même Fnac, avec aussi peu de conviction. Jugé en comparution immédiate, il avait été condamné à trois mois de prison sans mandat de dépôt, c'est-à-dire qu'il devait voir le juge d'application des peines pour connaître la manière dont il effectuerait la sienne.
« La prison, ce serait mieux en fait. Dehors, j'y arrive pas »
Comme s'il se réveillait, Lionel regarde le juge : « Pardon, c'est quoi la question ?
– Pourquoi est-ce que vous recommencez ?
– Je ne sais pas, c'est comme ça.
– Est-ce que c'est parce que vous voulez aller en prison ? »
Lionel semble hésiter : « Non… Je ne sais pas. C'est comme ça. » Un ange passe dans la salle à peu près vide. Le président reprend : « Bon… Quelqu'un a des questions ? » Il jette un regard à la procureure, à l'avocate. Non, personne.
« C'est difficile de comprendre sa démarche », reconnaît la procureure. Elle demande trois mois ferme, sans prendre la peine d'argumenter.
Derrière elle, l'avocate de Lionel tente une explication : « Ce qu'il ne vous dit pas, c'est qu'il est désespéré. Depuis plusieurs mois, il essaye de toucher le fond. Il n'a aucun revenu. Ces vols, ce sont plus des appels au secours qu'autre chose. La prison ne servira à rien, ce qu'il lui faut, c'est un travail, une formation. »
Avant que les juges ne se retirent pour délibérer, le président donne la parole une dernière fois à Lionel : « Vous avez quelque chose à ajouter pour votre défense ? »
Lionel soupire longuement, puis, après quelques secondes de réflexion, il se lance pour sa prise de parole la plus longue de la journée : « La prison, ce serait mieux en fait. Dehors, j'y arrive pas. C'est plus simple de trouver une formation et un travail à l'intérieur qu'à l'extérieur. »
Le président conclut : « Oui. C'est déjà ce que vous nous aviez dit la semaine dernière. »
En tout, l'audience a duré dix minutes.
Le tribunal revient cinq minutes plus tard et condamne Lionel à trois mois de prison, avec mandat de dépôt. Avant de partir, du bout des lèvres, il susurre un « merci » presque inaudible.