L'agence matrimoniale pour sans-papier

L'agence matrimoniale pour sans-papier

Trois ans de prison ferme et 8 000 euros d'amende. Après deux jours de procès, le tribunal a rendu sa décision : Mike dirigeait bien un réseau d'« aide au séjour irrégulier ». « Elle est belle la tête de réseau ! Il ne peut pas se déplacer et attend une opération des yeux », plaide son avocate. Son client, en détention préventive depuis un an et demi, n'a pas vraiment le pedigree du gros gangster : nain, quasiment aveugle, sans-papier, ne parlant pas français. Lorsqu'il entre dans le box, un gendarme doit l'aider à marcher et à s'asseoir.

En fait d'aide, Mike gérait un « réseau de reconnaissances frauduleuses d'enfants » moyennant finance. Il recrutait des hommes de nationalité française pour qu'ils jouent les pères d'enfants de femmes nigérianes. Sept de ces faux pères comparaissent en même temps que lui : six noirs, un blanc. En tout, ils ont reconnu 125 enfants.

Douze enfants en un an

Le service de l'état civil de la mairie de Paris a un jour averti la police. Un homme en était à sa douzième reconnaissance de paternité dans l'année. Étrange… On découvre « une véritable organisation mise en place pour recruter des hommes de nationalité française ». Au centre de cette organisation, Mike. Le président raconte les surveillances, lit les écoutes téléphoniques : Mike dans un bar à Stains recevant une dizaine de personnes une à une, Mike monnayant entre 1 000 et 1 500 euros une reconnaissance en paternité, 350 euros le retrait du livret de famille…

Les faux pères avaient tous de bonnes raisons. « Si j'ai fait ça, c'était par pitié pour les enfants, pour qu'ils soient soignés, prétend l'un d'eux. – Comment vous saviez qu'ils étaient malades ? s'étonne le président. – Pas maintenant, mais dans le futur… » Un autre invoque des « raisons humanitaires » pour la moitié des trente enfants qu'il a reconnus. « Mais il y avait aussi un aspect financier », finit par reconnaître un troisième. Parmi les prévenus, un ancien pilote de ligne devenu manutentionnaire, un ouvrier retraité décoré de la médaille du Travail, un ancien ingénieur informatique habilité militaire ruiné après un redressement fiscal. Ils touchaient quelques centaines d'euros par enfant reconnu.

« Facilitateur de rencontres »

Tous balancent Mike. « Tout le monde l'a chargé, avec des contradictions ubuesques », dénonce son avocate. En retour, son client lâche tout ce qu'il sait : « À S., je lui ai présenté huit, non, dix femmes. » Mike, « cerveau de la bande » ? Lui se présente comme un « facilitateur de rencontres, plutôt un entremetteur qu'un organisateur ». Sur son casier, une vieille condamnation : six ans de prison ferme et une interdiction de territoire pour trafic de stup en 1997.

Le président.

Le président. (Illustration : Pauline Dartois)

Les huit avocats, sept femmes blanches et un homme noir, s'opposent en bloc à toute la procédure : rien ne prouve que les accusés ne sont pas les pères des enfants ! Aucun test ADN n'a été fait. La procureur reconnaît des « arguments pertinents », mais les rejette « afin de juger les faits ». « L'aide au séjour irrégulier, ça peut être en accueillant un étranger à son domicile », lance-t-elle tout sourire. Elle demande des peines allant de quatre mois de sursis à trois ans ferme, accompagnées d'amende de plusieurs milliers d'euros.

Chacun leur tour, les avocats soulèvent un autre angle mort dans le dossier : « L'infraction n'est pas constituée, car on ne sait pas si les femmes étaient en situation irrégulière. » Tous critiquent une instruction « bâclée », « défaillante », un dossier « vide ». On parle de fraude aux allocations sociales ? « La CAF ne s'est pas constituée partie civile. On n'a pas évalué le préjudice, c'est le flou total. » Ils demandent tous la relaxe pour leur client.

Le tribunal ne l'entend pas de cette oreille : à côté de Mike, les faux pères prennent de trois mois de sursis à 30 mois ferme, et des amendes de 2 000 à 4 000 euros. Le président rappelle que cette condamnation « ne remet pas en cause la filiation de ces reconnaissances frauduleuses ». Ils restent donc les pères de 125 enfants…

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