Kevin et le surveillant free-fight

Kevin et le surveillant free-fight

Kevin a 26 ans. Petit blond au teint blafard, il écume les centres de détention depuis l’adolescence. Dernier en date : la prison de Joux-la-Ville, à quelques kilomètres d’Auxerre. Lieu d’un différend avec un gardien qui a rallongé sa peine de six mois. Il interjette appel : « En première instance, je n'ai pas eu le temps de m'exprimer. »

Kevin, le prévenu.

Kevin, le prévenu. (Illustration : Pauline Dartois)

La juge, l’œil sévère, rappelle les faits. Vers 2 h du matin, le 23 février 2013, dans cette petite prison de 600 détenus. Rompu à la vie carcérale, Kevin sait d’expérience que la nuit est propice pour sortir son téléphone. À l’abri des gardiens. Mais pas ce soir. Ces derniers géolocalisent l’appel clandestin, font irruption dans sa cellule, le fouille, et retrouvent le portable dans ses fesses. Hors de lui, Kevin crache à l'attention d'un des surveillants : « Je vais te faire attraper dehors. Je sais où t'habites. Tu vas ramasser. » Le maton ne relève pas. Il en a vu d’autres. Mais quelques heures plus tard, encore chaud, Kevin balance à un groupe de matons : « Tu vois le surveillant free-fight ? Sa fille Mélanie (NDLR : il se trompe de prénom), je vais la faire violer dehors. » C’en est trop. Le gardien porte plainte.

« On m’a dit qu’il avait l’habitude de cogner »

« C’est quoi le surveillant free-fight ?, interrompt la juge, pas très à l’aise avec l’anglais

Le surnom du surveillant qui m’a confisqué mon portable.

Pourquoi ce surnom ?, enchaîne-t-elle, après s’être fait expliquer par la cour la signification du terme barbare

On m’a dit qu’il avait l’habitude de cogner… »

Changement de sujet.

Les juges s'intéressent à son séjour en détention, qui ne se passe « pas vraiment bien ». Nombreuses procédures disciplinaires : petits trafics, tentative d'évasion, refus de rentrer dans sa cellule. Il aurait même vendu un téléphone à un détenu. Kevin dément : « J’ai été relaxé pour ça. Le mec a dit qu’un Kevin le lui avait vendu. Je suis pas le seul à m’appeler Kevin. » Pour lui, sa détention se passe bien : il travaille, ne fait plus de vagues depuis deux ans.

Sceptique, la cour lui rappelle ses 19 condamnations, à chaque fois pour des petits délits. Demande des explications.

« Je dois me débrouiller seul depuis que j’ai 11 ans, précise Kevin, et sans l’aide de personne.

— Vous avez été aidé, vous avez bénéficié de TIG.

Si vous appelez ça aider… », lâche-t-il, la voix empreinte de mépris.

«L’appel est un droit, mais aussi un risque»

L’avocate du gardien intervient en son absence. Les insultes ? Son quotidien. D'ailleurs, il ne porte pas plainte à chaque outrage. « Mais cette fois on ne s'en prend pas à lui, mais à sa fille. » Pendant ce temps là, Kevin se ronge les ongles dans son box en verre, l’air blasé. L'avocate rappelle son casier et son comportement en détention : « Après tout, qui me dit que ce sont des paroles en l'air. » Elle réclame 1 500 euros pour préjudice moral.

L’avocate générale débute son réquisitoire. Prend le parti des surveillants, « qui exercent un métier difficile et doivent être protégés par les magistrats ». Quant à Kevin, ses « menaces réitérées » doivent être sanctionnées. Elle souligne que « l’appel est un droit, mais aussi un risque ». Les six mois en première instance ? « une peine indulgente. » Elle, ne l'est pas : elle réclame un an.

L’avocate de Kevin proteste : « On a été lui chercher le portable dans les fesses. C’est humiliant. La CEDH a déjà dénoncé le déroulement des fouilles au corps en prison. » Depuis deux ans, « Kevin a réfléchi, mûri. » Auxiliaire de cantine depuis cinq mois, il circule librement entre les cellules : « Une belle preuve de confiance de la part des surveillants. » Il a même obtenu une permission de cinq jours pour assister à la première échographie de sa compagne. Elle demande l'indulgence.


Décision dans un mois, en visioconférence depuis la prison

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