Chaque attentat draine son lot de délires consécutifs. La violence des attentats travaille les esprits, et chez certains, ça délire plein pot. C’est une lecture possible du dossier présenté en comparution immédiate lundi 26 mars 2018, à ceci près que Bachir B. est réputé dangereux. Il a 38 ans et en a passé dix-neuf en prison. Vendredi dernier en fin de matinée, une attaque terroriste dans l’Aude. Vendredi soir, avenue Boucicaut, à Chalon-sur-Saône, Bachir B. s’en prend à un passant qu’il croit policier, et, soûl comme une barrique (48 heures qu’il picolait et une nuit blanche en sus, il était dans un état propice au pétage de plomb), menace de le « planter » (il porte un cran d’arrêt ouvert), de le « gazéifier » (il a une grosse bombe lacrymo), et, rapporte la victime aux policiers, « d’aller au bled prendre une kalach, enculé de Français ». La victime n’est pas policier, c’est un militaire de carrière (alors en civil). La BAC intervient, un opérateur suit la scène via une caméra de vidéo-surveillance de la ville.
Près de six heures après son arrestation, Bachir B. a une alcoolémie de 1,7 g. Lorsqu’on l’a démenotté au commissariat, il a flanqué un coup de poing dans le mur. Il conteste les menaces de mort, il aurait juste dit à monsieur X, « arrêtez de me suivre et de me casser les couilles, faites passer à la juge ».
Les fantômes qui habitent l’esprit de Bachir B. ont le profil des forces de l’ordre et de la justice. Dix-neuf ans de prison, ça ramène les mondes possibles à un univers carcéral, y compris quand on est « dehors ». Libre à nouveau d’aller et venir, Bachir B. n’a donc rien trouvé de mieux, la semaine passée, que de « prendre un couteau dans la voiture d’un ami », de boire sans discontinuer, de s’acheter, c’est ce qu’il prétend, une lacrymo d’un modèle interdit aux particuliers, d’aller au quartier du Stade en fin de matinée le vendredi, « donner l’accolade » aux potes, puis en fin de journée d’apostropher un passant, l’hallucinant comme étant « un flic ».
« Vous êtes dangereux »
L’histoire du bled et de la kalach ? Ça le fait bien « marrer », et il doute fort d’avoir dit une ânerie pareille, parce que, franchement, « pas besoin d’aller au bled pour ça, on en trouve ici ! On va à Dijon, ou à Lyon, et voilà ». Il le sait parce que « j’ai grandi en prison ». En gros, ce qui ne lui ressemble pas, ce n'est pas d’avoir une kalachnikov à l’esprit et à la bouche, c’est de sembler ignorer qu’on en trouve « ici ». « Vous êtes dangereux », constate la présidente Foucault. « J’étais soûl, j’ai fait n’importe quoi. – Oui, mais tout le monde ne dit pas des choses aussi graves lorsqu’il a trop bu. »
Bachir B. a été scolarisé jusqu’à la 5e. Ensuite, il s’est forgé un casier judiciaire lourd de 23 condamnations pour des extorsions, des vols, des refus d’obtempérer, des outrages, des violences avec arme, des violences conjugales, enlèvement et séquestration, recel, stups, violence sur autorité publique et menaces de mort (déjà), rébellion. L’enquête sociale avant le jugement a été rapidement bouclée : « J’m’en fous, je vais aller en prison et puis c’est tout. » Il avait rendez-vous précisément ce vendredi 23 mars avec son conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, mais il a annulé, il n’était « pas bien » : « J’ai fait dix-neuf ans de prison en tout. Mon père est décédé en 2002, j’ai pas pu voir sa tombe. Je me retrouve à courir après des papiers au lieu de courir après sa tombe, j’ai besoin de voir sa tombe. » Il est noté au dossier que cet homme-là pense que « les musulmans sont persécutés en France », et qu’il a été fiché S en détention.
« J’ai rien de radical, dit spontanément le prévenu qui poursuit tout aussi spontanément, je ne voulais pas lui faire de mal, sinon je lui en aurais fait ! » La victime ne se constitue pas partie civile. « On peut s’interroger sur le danger possible en termes de radicalité, vu les références aux armes, à la police, et aux propos comme "sale Français". Le comportement de monsieur B. est inquiétant et dangereux, il trahit la haine qu’il a de l’institution policière. On peut s’interroger sur la volonté de passage à l’acte sur l’institution des dépositaires de l’autorité publique en France. » La vice-procureur Aline Saenz-Cobo requiert un an de prison ferme, et une révocation de sursis.
« Ma vie c’est que de la prison »
Pour l’avocat, le fond du dossier, c’est l’alcool. Pour le prévenu, le fond du dossier, c’est qu’il serait bien devenu plâtrier-peintre, mais que son existence semble à jamais vouée (à ce jour) à des allées et venues désormais sans âme, et menotté, et à cause de qui ? Des policiers et des juges.
Bachir B. est condamné à huit mois de prison, maintien en détention, et à la révocation de trois mois de sursis avec incarcération immédiate. Il part pour une 20e année entre quatre murs. Il disait au tribunal : « Mon père était reparti en Algérie avant son décès, mais c’est des choses que vous pouvez pas comprendre. La seule chose que je vous demande, c’est de pas me juger trop sévèrement, parce que j’ai pas de vie, ma vie c’est que de la prison. »